Mouvements sociaux. Comment converger ?

Le laminage savant des droits sociaux mené par la droite sarkozyste connaît un front du refus de plus en large, que la crise économique pourrait entretenir. Après la grève générale du 29 janvier, retour sur des luttes qui ne manquent pas, mais qui ne convergent pas pour autant.

Etudiants, chômeurs, sans-papiers, magistrats, médecins psychiatres, personnel hospitalier, intermittents, ouvriers de l’automobile, salariés d’EDF, de la Poste, de la SNCF, caissières, chercheurs, travailleurs sociaux, les mobilisations n’ont pas faibli. Depuis l’arrivée au pouvoir de Nicolas Sarkozy, la France est loin d’être atone. Alors que le dialogue social est pour le moins arrêté, on vient de connaître un appel à la grève générale unitaire, le 29 janvier, comme on n’en avait pas vu depuis longtemps. Il a agrégé une multitude de conflits locaux dans l’industrie et des contestations dans de très nombreux milieux professionnels. On est pourtant loin de l’ambiance qui prévalait en 1995, à la veille du mouvement social. Et des lendemains qui furent assez féconds, des Etats généraux du mouvement social aux appels collectifs visant à peser sur la gauche parlementaire, de «Nous sommes la gauche» aux divers appels pour l’autonomie du mouvement social.

Les choses ont singulièrement changé, tant dans le paysage politique et syndical que du point de vue des mobilisations elles-mêmes, qui utilisent aujourd’hui d’autres vecteurs. On voit ainsi, depuis plusieurs années, émerger un renouvellement des formes et des causes défendues: l’individu occupe une place importante dans ces mouvements, tandis que l’on a pu voir pointer une sorte de «zapping militant» , où le rapport aux politiques et à la politique est souvent dénoncé. Les lieux traditionnels de mobilisations (syndicats, partis, associations de défense de droits) se sont vu concurrencer par l’émergence de nouvelles mobilisations où l’affinitaire prend le dessus. Où, au-delà du creuset traditionnel, c’est en tant qu’individu : voisin, parent d’élève, professionnel : qu’on se mobilise. Ainsi, le visage de la solidarité avec les sans-papiers a totalement changé: elle part désormais du local : l’école ou le quartier, par exemple : et non plus du global.

Il faut dire que la pratique de Nicolas Sarkozy qui consiste à désigner constamment des catégories particulières de la population comme «ennemis» de la France (l’immigré, le jeune, le chômeur, l’intermittent, le malade) contre d’autres qui seraient les citoyens méritants, joue aussi sur les réponses de la société. Les réformes d’ampleur qui traversent actuellement un grand nombre de professions sont vécues comme des remises en cause profondes du métier. Ce qui se traduit également par une multiplication des contestations. Ici ou là, on voit de plus en plus de professionnels faire acte de «désobéissance civile» : contre l’évaluation en primaire, contre l’application de la rétention de sûreté, contre les fichiers…

L’APPEL DES APPELS

Le besoin de convergence existe néanmoins. L’unité qui a prévalu à l’organisation de la grève générale du 29 janvier en est un signe. Mais aussi l’initiative de l’Appel des appels (1): au départ, une trentaine de personnes, mobilisées autour des questions de la recherche, de la santé ou du travail social, ont souhaité fédérer la multitude d’appels et de pétitions qui ont fleuri ces deux dernières années. «Alors que nos métiers respectifs, qu’il s’agisse de la santé, du soin, du travail social, de l’éducation, de la recherche, de la justice, de l’information et de la culture, subissent une attaque sans précédent de la part du gouvernement, alors que des appels de réaction et de protestations sont lancés par dizaines dans le pays, le temps est venu, nous semble-t-il, de coordonner ces différents mouvements et d’en tirer tout le sens politique.» Pensé comme une initiative créatrice de débats, l’Appel a recueilli en moins de trois semaines 40 000 signatures…

FAIRE DU COMMUN
«Depuis plusieurs années, nous sommes un certain nombre à signer des pétitions avec des résultats plus ou moins probants, explique Roland Gori, l’un des initiateurs de l’Appel des appels, professeur de psychopathologie à l’université d’Aix-Marseille et psychanalyste Cela a été très efficace avec la pétition «Pas de zéro de conduite», mais ce n’est pas toujours le cas pour toutes les mobilisations. On a l’impression que la pétition est un nouveau mode de protestation qui place les individus quasiment dans une situation de consommateur. On clique et puis c’est tout. Il faut passer à quelque chose de plus transversal.» D’où l’idée d’une journée de rencontres, le 31 janvier, pour que des professionnels des milieux de la recherche, du travail social, de la culture, de l’éducation, du soin, échangent sur leur vécu et confrontent leur expérience. Et surtout trouvent des fronts d’opposition transversaux, là où la stratégie sarkozyste vise à diviser.
«Notre idée, c’est de relier les milieux professionnels, et donc aller vers une coordination des appels, poursuit Roland Gori On voit que les gens souffrent de la logique comptable et sécuritaire qui leur est imposée. Cela a pris le pas sur la culture de nos métiers. On est dans la culture du résultat, du management, et on cherche à détruire l’histoire et la mémoire. Il y a quelque chose à réinventer, qui permette de vivre ensemble nos expériences, professionnelles et quotidiennes. Face au délitement des partis politiques, nous voulons donner des moyens, des idées, du grain à moudre aux politiques. Ce que nous aimerions, c’est recréer du collectif, au sens d’Hannah Arendt, des sortes de «pluriels singuliers».» L’enjeu est de taille: créer de la mise en commun, mutualiser les moyens d’opposition sociale, tout en faisant en sorte que chacune de ces initiatives individuelles garde son autonomie et sa singularité.
«On nous demande d’obéir à des modèles de servitude volontaire, avec la culture de l’évaluation, la culture du chiffre et de la comptabilité. Donc il faut de la contestation, explique Roland Gori. Quand on voit comment a été cassée la logique de soins avec la stratégie managériale, c’est incroyable qu’on veuille nous faire gober les mots de la crise du capitalisme. Qu’est-ce qu’on propose face à la crise actuelle ? Si on ne donne pas à penser aux forces politiques, on est perdu.» Car sans transversalités, aucun débouché politique ne sortira de ces luttes multiples qui jusque-là, tendent à se juxtaposer plutôt qu’à s’agréger. E.C.

[[1. www.appeldesappels.org
]]Paru dans Regards n°59, février 2009

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