Quel sont les enjeux majeurs des débats actuels concernant l’avenir de la région parisienne ?
François Labroille. Il faut prendre la mesure des mutations d’une «ville-monde». Il s’agit de l’interpénétration croissante des territoires avec toujours plus d’interdépendance entre Paris et ce qui n’est déjà plus sa périphérie, avec de nouveaux pôles qui émergent et qui font système. Il en ressort des opportunités nouvelles de développement et de création urbaine mais aussi des ségrégations renforcées. Le cœur d’agglomération change d’échelle et de configuration pour le meilleur et pour le pire. L’enjeu n’est donc pas d’abord institutionnel. Il est avant tout de maîtriser cette métropolisation et d’aller vers une «altermétropolisation», selon l’expression du géographe Guy Burgel. A sa façon, en mettant en avant les défis de la lutte contre les inégalités, de la crise climatique et énergétique, en faisant le choix de la ville compacte, en cherchant à adosser le développement économique aux solidarités sociales et territoriales, la Région Ile-de-France a apporté une vraie contribution à cette réflexion dans l’élaboration du nouveau schéma directeur depuis 2004. Même si on attend la validation avant la fin 2008 avec des discussions tendues avec l’Etat. Mais beaucoup reste à faire pour produire des projets communs et renverser les processus ségrégatifs en cours. Cela renvoie non seulement aux choix à faire et à concrétiser sur le logement, les transports, l’emploi mais aussi à une redistribution des ressources entre territoires bien supérieure à ce qui se fait actuellement.
Il semble que des questions non soldées empêchent le débat de s’enclencher réellement. Quels sont les blocages?
F.L. Les difficultés résultent d’approches trop souvent politiciennes, obsédées par des enjeux de pouvoir ou des rivalités institutionnelles là où les questions du projet, de la conception du devenir de la région et de son cœur d’agglomération devraient prévaloir. A droite, les arrière-pensées électoralistes sont évidentes avec la recherche d’une reconquête de positions encore fragilisées en Ile-de-France à l’issue des élections de mars 2008. C’est une source de brouillage. Les tentations localistes au sens géographique ou institutionnel n’épargnent pas les familles de pensée à gauche. Et l’appartenance géographique l’emporte parfois sur l’appartenance politique avec la tendance à vivre l’institution que l’on représente potentiellement mise en danger par les autres. Il y a aussi des héritages culturels à dépasser avec le poids d’une vision de la domination parisienne, héritée de l’annexion de 1860, souvent confondue avec la tutelle de l’Etat et qui résiste parfois aux nouveaux rapports que Paris cherche à développer avec ses partenaires depuis 2001. Il faut aussi intégrer des identités nouvelles qui émergent, celles de nouveaux territoires avec des expériences prometteuses comme celle de Plaine Commune. Finalement, les enjeux de la métropole sont d’une telle envergure qu’ils s’imposeront tôt ou tard comme éléments centraux des débats à venir. Pour preuve, le travail assez novateur engagé par la Conférence métropolitaine comme les premières conclusions de la commission créée en novembre dernier par le conseil régional dites «scenarii métropole Paris Ile-de-France demain»
Que préconisez-vous pour avancer ?
F.L.** Je ne crois pas à une solution institutionnelle toute faite. Ni au statu quo , ni au big bang sorti de quelques cerveaux éclairés. Je préfère parler d’un processus. Avec avant tout les nécessaires dialogues et coopérations entre collectivités pour des projets communs. La matière et les défis ne manquent pas quand on sait par exemple la réflexion déjà engagée avec l’élaboration du SDRIF ou le nouvel élan donné au STIF (syndicat des transports) depuis sa décentralisation. En ce sens, l’activation de la conférence métropolitaine est une très bonne voie si elle devient plus opérationnelle et en forte complémentarité avec l’institution régionale. Elle a tout à gagner au développement simultané de vraies intercommunalités et à une implication de la Région. Il faut cesser de vivre les collectivités en concurrence, ne pas exonérer l’Etat de ses propres responsabilités et accepter que les géométries ou périmètres puissent varier selon les sujets traités. Mais dans ce cadre deux exigences majeures doivent être prises en compte : celle de la redistribution des ressources entre territoires, quelles que soient les solutions techniques retenues et celle de la démocratie. A cet égard, tout est à faire. La grande majorité des citoyens est hors-jeu de ces débats puisque perçus sous le seul angle de rivalités de pouvoir. Le défi pour tout projet progressiste est probablement là. **Recueillis par R.D.
Paru dans Regards n°52 mai-juin 2008
Laisser un commentaire