La diversité, c’est nous !

«La diversité, à la base du pays, doit se trouver illustrée par la diversité à la tête du pays.»

Le discours de Nicolas Sarkozy, le 17 décembre 2008, se veut la réponse française à l’élection américaine de Barack Obama. Yazid Sabeg, nommé à cette occasion Commissaire à la diversité et à l’égalité des chances, avait d’ailleurs publié le 8 novembre, dans le Journal du dimanche , un «manifeste pour l’égalité réelle», avec des signatures de gauche comme de droite: «oui, nous pouvons» . Le «contraste cruel» entre l’Amérique et la France souligne «les manquements de la République» . D’où sa proposition, «soumettre les partis politiques à un pacte national de la diversité» .

Nicolas Sarkozy la reprend à son compte. En effet, «quelle peut être la légitimité d’une classe politique dans laquelle une bonne partie de la population ne se reconnaît pas» Pour la «majorité» , c’est d’ailleurs une question d’intérêt bien compris: «Permettre à la diversité de s’exprimer au niveau de nos élites, c’est assurer les conditions de la sécurité, de la prospérité et de la tranquillité pour ceux qui n’appartiennent pas à des minorités mais qui sont intéressés à ce que ces minorités se sentent intégrées.»

Son discours reprend également les conclusions sur la diversité du rapport que lui remet Simone Veil le même jour. Si la commission qu’elle préside se déclare favorable aux «statistiques ethniques» pour mesurer les discriminations, elle refuse, pour les combattre, d’introduire en France une discrimination positive fondée sur des critères raciaux, jugés étrangers à la culture juridique française. En outre, les Etats-Unis ne s’en éloignent-ils pas aujourd’hui? Et de citer le discours de Barack Obama sur la race, à Philadelphie :pour n’en retenir toutefois que l’évocation de la «rancœur» blanche, et non l’analyse de la «colère» noire.

Comment concilier ces deux logiques, apparemment contradictoires? Barack Obama est invoqué dans les deux cas, mais tantôt pour préconiser la diversité en politique, et tantôt pour défendre la «color-blindness» contre tout critère racial. Carla Bruni-Sarkozy fournit la solution, au moment d’afficher son soutien au «manifeste pour l’égalité réelle». Elle tombe d’accord sur le constat (le «blocage» des élites), et sur l’objectif (le «volontarisme» ). «La reconnaissance des cités par le pouvoir ne suffit pas. Les gens des cités doivent devenir le pouvoir, eux aussi, à leur tour!» Certes, «Fadela est ministre, c’est une avancée formidable. Mais elle n’a pas été élue, et c’est notre limite» .

Toutefois, la première dame fait preuve «d’indulgence pour la France, qui est prête à bouger» . Selon elle, «la France est un pays ouvert, et l’étrangère que j’étais peut vous le confirmer. Pas seulement l’étrangère, mais aussi l’épouse du Président» . Certes, «mon mari n’est pas Obama. Mais les Français ont voté pour un fils d’immigré hongrois, dont le père a un accent, dont la maman est d’origine juive, et lui a toujours revendiqué être un Français un peu venu d’ailleurs» . Je sais bien, mais quand même. «Il ne ressemble pas aux élites françaises traditionnelles et ça n’a rien empêché…» En outre, «personnellement, je ne corresponds pas au profil type de la première dame! Je suis une artiste, née italienne»

Promouvoir la diversité, ce n’est donc pas seulement répondre (implicitement) aux critiques de la xénophobie d’Etat, en revendiquant le «métissage». C’est aussi se démarquer (explicitement) des «élites françaises traditionnelles». Le 7 octobre, Nicolas Sarkozy avait ainsi opposé la Garde des sceaux, issue de la diversité, aux magistrats, tous semblables : «comme des petits pois» : «mêmes origines, même formation, même moule, la tradition des élites françaises, respectables, bien sûr, mais pas assez de diversité» . Et de se féliciter du choix de Rachida Dati: «J’ai bien fait, parce que si la diversité ne vient pas par le bas, il faut que je l’impose par le haut.» En effet, «si je veux pouvoir être sévère avec les voyous dans un certain nombre de quartiers, il faut aussi qu’il y ait des symboles comme Rachida» . La diversité (symbolique) n’est donc pas seulement une garantie d’ordre; elle cautionne la répression des désordres.

Comment se faire le chantre de la diversité, sans prendre en compte les critères raciaux? La critique des élites «blanches» justifie une diversité d’exception: souverainement, le président la choisit, et le couple présidentiel l’incarne. Ses adversaires méprisent en lui la vulgarité du «parvenu»? Nicolas Sarkozy en profite pour revendiquer un statut de «paria» parmi les élites. Faute d’ouvrir vraiment la société aux minorités visibles, il joue sur les symboles politiques, avec des «parias» exemplaires :à commencer par le couple présidentiel, comme pour dire: «La diversité, c’est nous!»

É.F.

Paru dans Regards n°59 février 2009

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