Vu de Villetaneuse, Noisy-le-Grand ou Montreuil, Paris est là, tout près, à portée de RER. De là à s’y sentir bienvenu… Imane, étudiante en Seine-Saint-Denis, raconte le sentiment de relégation, du campus de banlieue au théâtre Mogador.
L’Université Paris-13, comme son nom ne l’indique pas, est à Villetaneuse, aux confins de la Seine-Saint-Denis. En poussant un peu vers le Nord, c’est le Val-d’Oise. Paris, à dix bornes au sud, avec sa Sorbonne et ses amphis dorés, est un autre monde. Villetaneuse, donc. C’est là qu’Imane Kherbouche, 21 ans, est étudiante en information communication. Elle habite Noisy-le-Grand, dans le même département, comme un tiers des étudiants de la fac, tandis qu’un bon quart habite le Val-d’Oise. Les Parisiens ? Ils représentent 11% seulement des effectifs.
On a de fortes chances de croiser Imane dans les couloirs, à la bibliothèque (bien chauffée) ou à la caféteria (glaciale) de l’université. Car pour Imane, rentrer à la maison n’est pas chose simple. De la fac, il faut attraper un bus jusqu’à la gare d’Epinay-Villetaneuse, prendre un train jusqu’à gare du Nord, puis un RER jusqu’à Noisy-le-Grand, en passant par Châtelet. Plus que quelques minutes de bus et Imane est arrivée chez elle. Total : si tout fonctionne bien, trois heures de trajet par jour pendant lesquels elle avale Entre les murs, de François Begaudeau et les best-sellers de Marc Levy ou Bernard Wéber. Alors, bien sûr, les emplois du temps en dentelle des étudiants ne permettent guère de rentrer au cours de la journée. Il aurait pu en être autrement. Dès 1965, alors que le campus n’a pas encore vu le jour, le RER est annoncé. De même, le prolongement de la ligne 13 du métro parisien semble également incontournable (1). Rien de tout ça n’a été réalisé. En 2012, quarante-deux ans après la première rentrée universitaire de Villetaneuse et les promesses de valorisation du territoire qui l’ont accompagnée, un tramway sera mis en service entre Saint-Denis et le campus. Mettant fin à un éloignement unique en Ile-de-France.
Imane n’est pas née en France et son histoire aussi est traversée par l’éloignement. Un père éloigné par le travail d’abord, qui faisait des allers et retours entre l’Algérie et la France. La famille a fini par se réunir en France en 1997. Imane a 10 ans et doit s’éloigner à son tour de sa ville de Jijel, direction Montreuil, toute proche de Paris. Pour Imane, son frère, sa sœur et les parents, l’un chauffeur livreur, l’autre assistante maternelle, ce sera une seule et unique pièce. Quand le petit dernier arrive, on décide de déménager. Eloignement encore, jusqu’à Noisy-le-Grand.
En semaine, Imane ne fait que passer à Paris. Le samedi, elle s’y rend. Trente à quarante minute de trajet, et c’est les Champs-Elysées, la porte des beaux quartiers, idéals «pour se promener avec les copines» . Le nec plus ultra, «le seizième arrondissement» : «ça change du centre commercial des Arcades à Noisy, où je vois toujours les mêmes têtes.» Paris devient alors le théâtre d’un spectacle, «je regarde les vitrines, les gens» , raconte-t-elle. Mais aussi le lieu d’expériences douloureuses. «Là-bas, on te regarde bizarrement. Récemment j’ai emmené mon petit frère au théâtre voir le Roi Lion. Les gens posaient les yeux sur nous, et à chaque regard, c’était comme s’ils disaient: «Qu’est ce que vous faites là»» C’est quoi le problème? Une jeune femme voilée et une petite tête brune sous les ors et tentures rouges du théâtre Mogador? Elle prend un temps et s’interroge: «Peut-être que c’est moi qui suis parano… Ou peut-être que c’est nous-mêmes qui nous enfermons? Enfin, nous sommes quand même beaucoup à avoir le même sentiment. Et ce qui est sûr, c’est que sur le campus de Villetaneuse, je ne sens pas ce regard pesant, on est tous pareils. Personne n’est arrogant comme à Paris.» Et après, quand la page de Villetaneuse, de Noisy et des Champs-Elysées du samedi sera tournée ? Imane répond sans l’ombre d’une hésitation: «Ce sera Londres!»
R.D.
1. L’arrivée du RER et le prolongement de la ligne 13 sont tout deux inscrits dans le SDRIF (schéma directeur de la région d’Île-de-France) de 1965.
Paru dans Regards n°58 janvier 2009
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