Russie : contre le mouvement social, la terreur

Le 13 novembre dernier vers 11 heures du matin, Carine Clément, sociologue spécialiste des mouvements sociaux, a été agressée dans les rues de Moscou. Alors qu’elle se rendait à une réunion publique sur la crise économique où elle devait intervenir, deux jeunes gens lui ont planté une seringue dans la cuisse, lui injectant un produit indéterminé. C’était la troisième agression contre elle en deux semaines. Attachée à l’Institut de l’Académie des sciences de Moscou, elle a crée en 2004 l’Institut de l’action collective, un organisme de soutien aux mouvements associatifs. Cette militante installée en Russie soutient activement le développement des initiatives sociales et syndicales indépendantes. La première agression avait eu lieu la veille de la « Journée de la colère », une journée interrégionale de solidarité associant une quarantaine de mouvements sur tout le territoire russe. Un homme l’a frappée et lui a volé son sac, en bas de chez elle. Une autre fois, un homme l’a suivie dès la sortie de son domicile, pendant un long moment, avant de l’insulter et de lui cracher au visage.

Le même jour, on retrouvait dans la cour de son immeuble le corps criblé de coups de Mikhaïl Beketov, rédacteur en chef du journal Kimkinskaïa Pravda, qui mène depuis deux ans un combat contre la destruction de la forêt et les constructions immobilières spéculatives. Il est toujours hospitalisé. Alexeï Etmanov, président du syndicat indépendant de l’usine Ford située dans la région de Saint-Pétersbourg, fut attaqué ce jour-là également, et pour la seconde fois en l’espace d’une semaine, à coups de barre fer. Ce ne sont là que les dernières agressions rapportées contre des militants.

La Russie connaît en effet depuis un bon moment une augmentation flagrante de cette forme de terreur. Sans compter les agressions racistes dont les Noirs, mais aussi les populations venues des régions du Sud telles que l’Azerbaïdjan, sont la cible depuis trois ans. Rappelons-nous aussi l’assassinat, le 7 octobre 2006, d’Anna Politkovskaïa, journaliste à la Novaïa Gazeta , connue pour ses enquêtes pointues sur les exactions de l’armée russe en Tchétchénie. Dans un autre registre, les mobilisations des gays et des lesbiennes sont auréolées dans ce pays d’attaques répétées, que ce soit lors des tentatives de Gay Pride dans les rues moscovites ou à l’occasion de l’organisation d’une quelconque réunion publique en Sibérie occidentale. Les intimidations contre les militants de la lutte contre le sida, épidémie qui ravage le pays dans une indifférence générale, ne se comptent pas non plus dès qu’il s’agit de contrer les discours officiels des autorités de santé.

Depuis la France, l’usage de cette terreur choque et inquiète. En Russie, on commence malheureusement à s’y habituer et à faire avec. Comme le rapporte Carine Clément, le « sentiment d’impunité progresse : de plus en plus de personnes n’hésitent plus à employer des méthodes de bandits pour s’en prendre aux acteurs du mouvement social ». Ces violentes pratiques cherchent avant tout : est-il besoin de le préciser ? : à annihiler toute volonté d’émancipation politique et l’émergence d’une société civile, porteuse d’une parole autonome. On pourrait voir dans ces histoires la déliquescence d’un Etat, incapable d’assurer la moindre sûreté à ces citoyens. Mais l’a-t-il déjà fait depuis sa transformation ? Si la Russie s’est dotée d’outils législatifs et politiques qui pourraient donner l’illusion d’une démocratie en mouvement, la réalité est celle d’un Etat fort et corrompu qui craint la constitution de contre-pouvoirs citoyens. Et ce climat de terreur l’arrange bien. Il pourrait néanmoins perdre à ce jeu-là. Car malgré la répression et les intimidations, le mouvement associatif russe est en marche. La permanence des attaques dont il est l’objet est d’ailleurs un signe malheureux de sa vivacité et lui donne une raison supplémentaire de poursuivre son chemin. E.C.

Regards n°57 décembre 2008

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