« Voilà plus de vingt-six ans que j’ai été élu à ce qui s’appelait encore le Comité central. Longtemps, j’ai rêvé d’un parti rénové, radicalement transformé, muté, révolutionné, métamorphosé : avec quelques camarades, je disais alors « refondé ». Longtemps, j’ai expliqué que la novation assumée était la seule manière de conjurer un déclin qui, sans cela, risquait de devenir inexorable ; longtemps j’ai expliqué qu’il n’y avait pas de mouvement sans risque, mais qu’il n’y avait pas de risque plus grand qu’une immobilité équivalent à la mort lente.
Longtemps, on m’a expliqué que mon pessimisme m’empêchait de voir les signes discrets mais réels de notre remontée. Que de fois m’a-t-on rétorqué que mes appels à la novation ne pouvaient que conduire à la liquidation et que, au demeurant, ils n’avaient pas de raison d’être puisque le parti s’était déjà transformé ! Le résultat est là. Quand j’ai été élu au Comité central, nous avions 16% des suffrages législatifs et 450 000 adhérents ; quand on a commencé à me classer parmi les « refondateurs », nous étions à 11% des suffrages et 370 000 adhérents ; nous sommes aujourd’hui à 5% législatifs (je laisse pudiquement de côté les scores présidentiels) et à moins de 80 000 cotisants. J’étais un liquidateur, mais curieusement les choix qui ont conduit à ce résultat et que j’ai critiqués sont, eux, exempts de toute suspicion de liquidation.
L’histoire ne repasse pas deux fois les mêmes plats. Changer l’appareil : c’est ce qu’il fallait faire il y a vingt ans, il y a dix ans, quand le PCF n’était pas à la marge de la vie politique mais au cœur de la gauche. Nous ne l’avons pas fait ; nous n’avons donc pas cessé de nous affaiblir. Nous le sommes tellement que nous ne pouvons plus aujourd’hui, à partir de nos seules ressources, espérer faire bouger la gauche en rassemblant autour de nous. Les communistes sont une force qui compte et rien ne peut se faire sans eux ; mais cette force n’a d’efficacité que si elle s’agrège à d’autres, non pas ponctuellement mais durablement. Cela bouge à gauche et notre seule chance serait de dire, sans peur : nous sommes disponibles, tels que nous sommes, en étant ce que nous sommes ; nous mettons notre outil politique à la disposition de la seule méthode qui puisse révolutionner la gauche : la convergence durable, au-delà des nécessaires fronts ponctuels, de toutes les sensibilités d’alternative. Manifestement, cette conviction n’est pas retenue dans les documents qui serviront de base politique aux directions et aux organisations du parti. Je le regrette, mais ce qui me désole plus que tout est que, cette fois et pour la première fois depuis longtemps, le choix majoritaire pourrait s’accompagner d’une mise à l’écart des options qui n’auront pas été retenues. Cela constituerait à mes yeux un recul historique et, en avivant les clivages, cela déboucherait sur un nouvel affaiblissement de l’espace communiste tout entier. À un moment où, d’une façon ou d’une autre, va se produire de la recomposition à gauche et notamment dans la gauche de gauche, ce serait une très mauvaise nouvelle, et pas seulement pour les communistes.
Communiste je suis et serai, plus que jamais. Je ne le serai plus comme membre de la direction du Parti communiste français. J’ai essayé d’y participer du mieux que j’ai pu, selon les impératifs de ma conscience. J’y ai passé des bons et de moins bons moments. Je ne me sens pas atteint par la limite d’âge, mais je ressens, non sans douleur, une évolution que je ne peux ni saluer ni cautionner. Je suis entré au Comité central en accord avec ce qui était alors la ligne politique décidée. J’ai été réélu, à plusieurs reprises, « malgré » mes divergences. En 2000, je suis entré à l’exécutif, non pas « malgré » mes différences mais « avec » mes différences. J’entends dire aujourd’hui que celui qui évoque une nouvelle force politique ne peut espérer diriger le parti. Cela me navre. Le communisme est une marche en avant ; ce ne peut être une marche à reculons. Mais, comme disait Galilée, « et pourtant elle tourne »… Un communiste est un indécrottable optimiste. Même si une forme communiste est épuisée, le parti pris communiste est le plus moderne qui soit. Ce parti pris est le mien, il est le vôtre, il est le nôtre. »
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