Gauches. C’est le chantier!

Face à un parti socialiste contorsionniste, la gauche de gauche est bien vivante mais toujours divisée. Au-delà des rivalités individuelles et des intérêts boutiquiers, retour sur les stratégies et alliances, une question qui fâche, et sur un projet de fédération. Paroles de plusieurs acteurs de la galaxie antilibérale.

Le Congrès du Parti socialiste s’est transformé en véritable thriller, sidérant jusqu’au bout. Une overdose de conflits de personnes, une portion congrue de débats de fond, beaucoup de contorsions : ainsi est allée cette séquence de la vie du PS. L’incroyable déchirement des socialistes a masqué les choix opérés. Les trois motions issues de la majorité sortante ont remporté plus de 80 % des voix : leur profil idéologique est comparable et même identique sur de nombreux points décisifs. Désormais, la messe est dite : ce sera l’accompagnement du libéralisme économique en lieu et place de l’affrontement nécessaire avec les ressorts du capitalisme. Si la motion portée par Benoît Hamon avait le mérite de proposer une autre orientation, pour une « gauche décomplexée », force est de constater qu’elle a été largement battue. Par ailleurs, la dynamique autour d’« Obhamon », comme le surnomment ses fans, et les tentatives de Ségolène Royal de modernisation des formes ont cristallisé chez les militants un profond désir de renouvellement. En face, Bertrand Delanoë et Martine Aubry incarnaient le « vieux parti ». Avec quelques discrédits aux basques : l’un marqué par son « libéral et socialiste », mal venu dans un contexte de crise économique, l’autre, peu à son aise pour défendre une ligne claire vis-à-vis du centre puisqu’elle pratique l’alliance avec le Modem à Lille : signe d’un double discours, quand Ségolène Royal disait tout haut ce que le PS se prépare à faire sans bruit. A l’heure où ce journal est sous presse, le PS se trouve en état de guerre interne, avec ce score étonnamment serré entre les deux candidates au poste de premier secrétaire. Bien malin qui peut prédire la suite du film… En tout cas, qu’elle épouse une version relookée et démocrate ou se moule dans les vieux modèles de la social-démocratie, la ligne adoptée de ce côté-là n’est pas celle d’une rupture avec l’ordre dominant.

Autour de Mélenchon ? Cette étape a vu s’éloigner un peu plus l’hypothèse d’un changement de l’intérieur de l’orientation du PS. C’est en tout cas l’un des enseignements qu’ont tirés Jean-Luc Mélenchon et Marc Dolez en claquant la porte du parti au soir du résultat du vote des militants sur les motions : un certain 7 novembre. Diantre. Il y avait longtemps que le scénario d’une sortie de Mélenchon du PS se rêvait, se supposait, ici et là. Ses interventions dans les espaces de la gauche de gauche (souvenez-vous de l’interview qu’il donnait à Regards dans le numéro du mois dernier) laissaient entendre la belle échappée. Ça y est, Mélenchon et ses amis ont franchi le Rubicon. Non seulement ce mouvement du PS vers l’autre gauche avalise les analyses sur la nécessité de changer, de l’extérieur, le rapport de force avec un PS « social-libéralisé », mais il relance l’espoir d’une recomposition de la gauche d’alternative. Ce n’est pas rien.

L’affaire n’est pas sans paradoxes ou contradictions apparentes. Mélenchon et ses amis créent leur propre organisation, le « Parti de gauche », et appellent dans le même temps à créer un « Front de gauche » en vue des élections européennes de 2009 pour « exprimer un message politique de rupture avec le traité de Lisbonne et les politiques sociales, fiscales, environnementales qu’il contient ». Le Parti communiste a d’ores et déjà répondu favorablement à cette proposition pour les européennes, escomptant sans doute ainsi sauver ses deux élus en Ile-de-France et dans le Nord. Si l’ensemble du spectre concerné, du PCF au NPA, en passant par les Alternatifs, les Collectifs unitaires, les Alter Ekolos ou les Communistes unitaires, se réjouit du geste politique de Jean-Luc Mélenchon, la méthode et l’ambition ne font pas l’unanimité. Figure militante de la lutte contre le chômage et vice-présidente au Conseil régional d’Ile-de-France, Claire Villiers résume ainsi l’appréhension : « La bonne nouvelle, c’est que ça bouge du côté de la gauche du PS. Mélenchon et Dolez ont compris qu’il fallait créer un rapport de force pour bousculer l’hégémonie sociale-libérale au PS. Sur la manière et sur le projet, je suis plus réservée. Ce ne sera pas «le» Parti de la gauche, ni Die Linke dont Mélenchon se revendique. Cette force dont on a besoin ne se construira pas autour d’une seule culture. Ni celle du trotskysme du NPA, ni la culture républicaine souverainiste de Mélenchon. Il faut la multiplicité des cultures. Le Parti de gauche est un segment de la galaxie antilibérale. » Même son de cloche du côté de Martine Billard, députée située à la gauche des Verts : « L’initiative de Mélenchon participe de la division, c’est un groupuscule de plus, celui de la gauche républicaine. » Pour Gilles Alfonsi, des communistes unitaires, « créer son propre espace, c’est légitime : Mélenchon fait son pôle républicain. Mais il ne peut pas dire qu’il représente le tout. Or, l’appeler «Parti de gauche», c’est donner l’impression de couvrir tous les champs. Un manque de modestie »… Claude Debons, ex-syndicaliste et aujourd’hui aux premières loges du Parti de gauche, ne l’entend pas de cette oreille : « Derrière le choix du nom, nous indiquons que nous voulons être au cœur de la gauche. Certains l’interprètent comme une volonté de se considérer comme le parti de toute la gauche. Mais nous ne sommes pas «la gauche» contrairement à Die Linke. Nous n’avons pas cette prétention. » C’est davantage dans un rôle de déclencheur, de passerelle qu’il conçoit la nouvelle organisation : « La sortie du PS de Mélenchon et Dolez offre une opportunité de construire une alternative politique au cœur de la gauche et non à ses marges. Nous pouvons parler à tout le monde, au PCF comme à la mouvance des Alternatifs et de l’écologie. Quant au NPA, ce n’est pas fermé. »

« Faire ensemble ». En tout cas, la main tendue du Parti de gauche s’adresse aujourd’hui à l’ensemble des forces organisées de l’autre gauche. Pour qu’aboutisse un large front commun, qui ne soit pas la somme des partis existants mais le produit d’une dynamique populaire qui n’exclut personne, tout l’enjeu est de savoir comment « faire ensemble » et non « autour de ». C’est la condition sine qua non pour que le « front », la « confédération », le « cartel » ou autre s’appuie sur l’apport de toutes les cultures et traditions de la gauche critique pour bâtir une réponse politique novatrice, à la hauteur des enjeux. Et pour qu’au final, le rassemblement soit suffisamment large pour boxer dans la même catégorie que le Parti socialiste : aujourd’hui encore dominant à gauche même si la question de sa survie et de son hégémonie à moyen terme est posée. La crise du capitalisme indique l’urgence et invite à dépasser les préventions et les routines. Sans bien sûr court-circuiter les rythmes des uns et des autres, les constructions en cours… Cela dit, toutes les combinaisons et autres calculs boutiquiers de court terme seraient non seulement cyniques au regard de la situation sociale et économique mais décidément mortifères pour tous.

Clémentine Autain, avec Emmanuelle Cosse et Marion Rousset

Paru dans Regards n° 57, décembre 2008
À lire également : Stratégie et alliances, une question qui fâche https://wp.muchomaas.com/article/?id=3644

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *