Regards démarre une série sur les chantiers qui clivent l’espace de la gauche radicale. Dans ce numéro : les enjeux de stratégie et d’alliances. A suivre : la conception de la République. Manière d’entrer dans le dur des discussions.
Les commentateurs mettent en avant les enjeux de pouvoir, les rivalités individuelles et les intérêts boutiquiers pour expliquer l’échec de la candidature unitaire antilibérale de 2007 et la difficulté à bâtir, pour les élections européennes et après, un front commun de la gauche digne de ce nom. Et si la querelle était plus profonde ? Pour résoudre l’équation, encore faut-il en connaître les termes. Cela suppose une mise à jour des enjeux de fond et de stratégie, pour définir ce qui peut et doit constituer la base commune et ce qui resterait du ressort des identités particulières composant le tout. Evidemment, chaque sensibilité, voyant midi à sa porte, considérera que tel point est fondamental et tel autre contingent… Tout le monde est d’accord, le rassemblement de la gauche de gauche est une condition de succès. Mais en pratique, ça n’a pas l’air facile… Impossible de traiter le puits sans fond des enjeux stratégiques en quelques lignes… Tentons juste de saisir l’actualité du clivage tel qu’il s’exprime dans la galaxie de la gauche de gauche. Les militants connaissent par cœur la chanson opposant les « contestataires stériles » et autres « candidatures de témoignage », d’un côté, aux « supplétifs du PS » et autres « sociaux-traîtres, prêts à tout pour conserver leurs élus », de l’autre.
Les clarifications d’orientation du Parti socialiste et la demande croissante d’alternative crédible amènent chacun à préciser sa stratégie et ses alliances pour transformer la société. « Parti de gouvernement » : la formule est lancée, élément d’identité fondatrice du Parti de gauche initié par Jean-Luc Mélenchon. De quoi hérisser du côté du NPA, davantage enclin à s’autoproclamer « parti des luttes » et à identifier ici le désir de Mélenchon et de ses amis de retourner au gouvernement avec le PS dès que l’occasion se présentera. Toujours est-il que, à l’instar du PCF ou des Collectifs unitaires, le Parti de gauche entend constituer une majorité politique, à même de gouverner le pays. D’où le renvoi d’Olivier Besancenot et ses troupes à ne pas vouloir « mettre les mains dans le cambouis » et du NPA à n’être qu’un « super-syndicat ». Souvenez-vous : la candidate à la présidentielle Marie-George Buffet voulait « changer la gauche » quand Olivier Besancenot proposait de « changer de gauche ». Nuance. Une gauche ou deux gauches ? La communiste Marie-Pierre Vieu « continue à essayer de penser la gauche dans sa globalité » . Visiblement, ça n’a pas vraiment l’air facile…
PESER A GAUCHE Peut-on former un gouvernement avec le Parti socialiste ? Ecoutons les leaders des deux formations a priori les plus éloignées sur les stratégies d’alliances. Pierre-François Grond, leader de la LCR et du NPA, prévient : « il faut tirer les leçons du passé et de la gauche plurielle. Dès que les constructions se sont retrouvées sous domination des idées social-libérales, il y a eu un renoncement politique et une déception populaire. On ne peut imaginer une alliance que s’il y a un changement de rapport de force. Si on change le rapport de force, alors les conditions d’alliance se posent différemment. » Il ajoute : « La condition du succès, c’est de peser à gauche. S’il n’y a pas de rassemblement, les chances de peser à gauche ne dépasseront pas le niveau du témoignage. Les 4 % de Besancenot n’ont jamais fait une alternative qui bouscule la situation à gauche. » Si le rassemblement de la gauche de gauche est une « condition du succès » , pourquoi Olivier Besancenot a-t-il accueilli si froidement la proposition de Jean-Luc Mélenchon de constituer un « Front de gauche » aux européennes ? Apparemment, « la petite musique » autour de la création du Parti de gauche ne sonnait pas suffisamment la rupture. Pourtant, dans un récent chat de Jean-Luc Mélenchon sur lemonde. fr, à la question « à quelles conditions pouvez-vous gouverner avec le PS ? » , l’ancien ministre de Lionel Jospin répondait : « Pour gagner comme pour gouverner, il faut que notre gauche passe en tête de la gauche. » Point de vue partagé par Claire Villiers, du mouvement Alternative citoyenne : « C’est très différent si on est majoritaire ou si on ne l’est pas. Pour piquer l’hégémonie au social-libéralisme, version Gramsci, l’alliance avec le PS ne me dérange pas si on est majoritaires. » Elle pointe alors le désaccord « avec ce que semble être le NPA » : selon elle, « l’alliance avec le PS mérite d’être discutée, ça dépend du rapport de force ».
ENJEU DES COLLECTIVITES Si un consensus à l’échelle nationale : pas de gouvernement avec le PS dans le cadre du rapport de force actuel : paraît donc possible entre les différentes forces de la gauche de gauche, c’est bien l’enjeu des collectivités qui fait clivage. Encore faut-il l’affronter franchement. Communistes, gauche des Verts ou républicains sont aux manettes dans de nombreuses villes, départements et régions, dans des majorités avec le PS. De son côté, le NPA pourrait emprunter la même voie que la LCR, à savoir aucun exécutif commun avec des sociaux-démocrates, sauf peut-être dans quelques petites communes. Claire Villiers reconnaît que, à la région Ile-de-France où elle est vice-présidente de Jean-Paul Huchon, « le bilan est mitigé » . La question du sens de la participation à des exécutifs locaux avec le PS mériterait sans doute d’être remise à plat et en débat, à partir d’un bilan critique. Pour quoi faire ? Quelles marges de manœuvre réelles ? Quelles politiques authentiquement alternatives en cas de majorité ? Au fond, prendre part aux « institutions bourgeoises » ne va pas de soi pour tout l’espace de la gauche critique. Si Mélenchon déclare : « je crois au combat institutionnel et je ne me reconnais pas d’autre souverain que le suffrage universel » , Besancenot aime à citer Louise Michel pour qui « le pouvoir donne des vertiges dès lors qu’il n’est pas partagé » . Mélenchon croit comprendre que le NPA propose en fait une stratégie de l’avant-garde. Or, dit-il, « je ne crois pas que la transformation de la société doive être l’œuvre d’une avant-garde mais celle de la société tout entière » . Pour Pierre-François Grond, « le suffrage universel ne suffit pas. Il faut une mobilisation pour de bon de la population contre tous les pouvoirs, politiques et économiques, avec une remise en cause par le bas » . En tout cas, selon Claude Debons, « on a une exigence de responsabilité qui passe par la nécessité d’offrir une autre perspective. Cette exigence n’épargnera pas le NPA, même s’ils ont un discours d’indépendance totale par rapport au social-libéralisme » .
Emmanuelle Cosse, avec Marion Rousset
Paru dans Regards n° 57, décembre 2008
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