Pékin 2008. Point de vue : «Bilan globalement olympique »

La Chine actuelle incarne un vieux rêve de multinationale : une logique libérale alliée à un cadre totalitaire propre à l’exploitation des salariés. Va-t-on renoncer à ce paradis mondialisé pour quelques Tibétains acharnés ou quelques Chinois oubliés dans les geôles ? L’esprit des jeux va triompher, comme d’habitude…

Le boycott est une vieille tradition dans le mouvement olympique. La raison est simple : les JO se révélèrent dès le départ un concept politique. Quoi qu’en dise les Bisounours du CIO, les conflits et autres manifestations idéologiques ne s’invitèrent pas dans les Olympiades : ils y étaient intrinsèquement à leur place. La liste est si longue qu’il n’est plus possible de parler d’exceptions : instrumentalisations par les régimes totalitaires, rivalités pseudo-militaires sur fond de guerre froide, crise du Moyen-Orient, etc. Pourtant dans une tribune parue dans Le Monde en avril, Henri Sérandour, président du Comité national olympique et sportif français (CNOSF), continue de stigmatiser ceux qui chercheraient à idéologiser les Jeux en balançant sur les frêles épaules des athlètes tout le poids des misères du monde. « Mais s’il vous plaît mesdames et messieurs les censeurs, soyez cohérents : ne demandez pas aux sportifs de faire ce que les politiques n’ont pas réussi à faire. » Aucun risque.

L’histoire commence tôt. Inventés par un Pierre de Coubertin, conservateur « éclairé », qui redoutait autant un retour de la Commune que la perte d’influence de l’Europe, les JO reflétèrent autant les rêves impériaux du vieux continent que le volontarisme d’un promoteur visionnaire du sport. On a oublié un peu facilement les Journées anthropologiques, des sortes de Jeux « indigènes » à Saint-Louis, en 1904, ou le fait qu’il a fallu attendre 1928 pour que les femmes soient accueillies du bout du maillot. Enfin, et surtout, loin de l’illusion de la trêve olympique, les affrontements politiques ou armés s’invitèrent fréquemment dans les arènes, de la piscine rouge de sang du match de water-polo Hongrie-URSS, en 1956, à la prise d’otage sanglante de Munich, en 1972. Sans oublier Mexico en 1968 : l’autre anniversaire :, des jeux précédés par le massacre de Tlatelolco (qui fit au moins 200 morts). La volonté du CIO d’exporter les Olympiades dans un pays du Sud se heurta précocement aux limites de l’adéquation droits de l’Homme/olympisme.

CIO EN QUÊTE D’UNIVERSALITÉ

Car, par ailleurs, le CIO affiche une tendance lourde dans son histoire : sa quête obsessionnelle de l’universalité. Ainsi le mouvement olympique accompagna tranquillement la décolonisation après avoir fait la part belle aux empires. La montée en puissance du nombre de participants, de pays invités, et même de disciplines proposées résulte de cet ADN mondialiste. En 1924, 44 pays et 3 092 athlètes s’étaient déplacés en France. A Athènes, en 2004, 201 Comités nationaux olympiques

(192 sièges à l’ONU) étaient représentés, amenant 10 500 athlètes dans leurs bagages. Pékin 2008 illustre cette logique. Impossible d’ignorer 1,3 milliard de Terriens, et leurs 63 médailles, dont 32 en or, aux derniers JO. Le non-respect des droits de l’Homme, les milliers de personnes dans les centres de rééducation par le travail et le Tibet, cette Palestine d’Asie, passent vite au second plan. Les temps ont à ce point changé que des JO en terre communiste n’angoissent plus les esprits.

L’ARME DU BOYCOTT

Dans ce cadre, le boycott constitue une arme de choix. Si le monde se rassemble, quoi de plus efficace que de s’abstenir pour attirer l’attention. On doit néanmoins distinguer deux formes de boycott. La première, qui engage les Etats, est une forme de langage géopolitique. En 1976, les nations africaines boudent Montréal pour protester contre la clémence olympique envers le régime sud-africain d’apartheid. En 1980, les Etats-Unis ne se rendent pas à Moscou pour protester contre l’invasion de l’Afghanistan, suivis par 49 pays, dont la Chine ! En 1984, le bloc socialiste rend l’impolitesse sportive en ignorant Los Angeles. La période 1976-1984 faillit coûter sa survie au CIO. Mais les JO californiens furent les premiers à être rentables ; et avec la fin de la guerre froide, l’économie devint le principal moteur de l’olympisme. L’autre catégorie de boycott sollicite les opinions. En 1936, un vaste mouvement populaire notamment aux Etats-Unis et en France tenta de contrecarrer, en vain, l’onction olympique accordée au régime nazi. Alors qu’aucun Etat ne souhaite vexer le régime chinois et son milliard de clients potentiels, ce sont bien les opinions publiques occidentales qui sont interpellées, aussi bien comme actrices que comme spectatrices (Raymond Domenech incite ainsi les spectateurs français à ne pas regarder les jeux à la télé en signe de protestation). La surmédiatisation des JO offre une visibilité incroyable pour toute cause (certaines plus que d’autres, comme l’ont compris les Aborigènes en 2000). La campagne menée par le collectif L’éthique sur l’étiquette : qui désire pousser le CIO à adopter les normes de l’Organisation internationale du travail pour les produits siglés des anneaux, et plus largement à s’intéresser aux droits des travailleurs chinois : éclaire une autre réalité du problème. Le bulletin de la commission sport confédérale de la CGT, sans souscrire au boycott, s’interroge sur les réelles motivations du choix de la Chine : « Force est de constater que la Chine présente aujourd’hui un double attrait pour les firmes multinationales : d’un côté, le système économique chinois s’inscrit dans la logique libérale mondiale et de l’autre, il présente l’avantage de se situer dans un cadre totalitaire propre à l’exploitation des salariés. » N.K.

Paru dans Regards n°52, mai-juin 2008

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