Pékin 2008. Au nom des JO et des intérêts

Si on peut être agacé par l’indignation sélective et temporaire de la société française, les récentes mobilisations lors du passage de la flamme olympique à Paris conduisent à revenir sur la situation des dissidents chinois, dont la répression ne s’est nullement adoucie, bien au contraire.

Discours alambiqués de Rama Yade, surmédiatisation de Reporters sans frontières (RSF), intervention de Jean-Luc Mélenchon dénonçant les mobilisations pro-tibétaines, visite en Chine pour redorer le blason français… Passé l’émoi, commence à se faire jour l’idée selon laquelle la question des libertés en Chine ne devrait être que secondaire dans le débat, tant à droite, chez ceux qui louent le miracle économique chinois, qu’à gauche, chez ceux qui louent l’inédit régime communiste en place. Faudrait-il taire la réalité d’un régime hautement répressif parce que d’autres pays n’ont rien à envier à la Chine en la matière ?

CENSURE ET PUNITION

Si certaines améliorations ont été observées dans le système pénal, la Chine détient toujours le record d’exécutions (1) (470 en 2007 contre 1010 en 2006), celui des condamnations à la peine de mort (1010 en 2007) et l’un des plus élevés taux d’emprisonnement par habitant dans le monde (près d’1,6 million d’individus) (2). Sachant que ce dernier chiffre exclut les personnes placées en détention administrative ou en centre de rééducation par le travail. Remis au goût du jour en 2006, après avoir été aboli en 2003, ce système autorise une détention pour des infractions mineures sans jugement préalable. Côté libertés, l’Administration générale de la presse et des publications (GAPP) rappelait en 2007 que « les reportages doivent être vrais, précis, objectifs, justes et ne doivent pas s’opposer aux intérêts de l’Etat ou enfreindre les droits des citoyens ». Chaque jour, le Département de la propagande rappelle aux rédactions les sujets interdits. Mais l’efficacité chinoise a surtout fait ses preuves dans la surveillance d’Internet. Hormis les accès bloqués à une multitude de sites, des milliers de pages et d’e-mails sont contrôlés. Depuis 2003, des condamnations lourdes, dix à douze ans de prison, sont tombées pour cyber-dissidence (3).

EXPULSIONS, POLLUTION

L’approche des JO ne semble pas avoir freiné les arrestations et condamnations. Des exemples (4) : Yang Chunlin, 52 ans, a été condamné le 25 mars 2008 à une peine de cinq ans de prison pour avoir lancé la pétition « Nous voulons les droits humains, pas les Jeux Olympiques », qui avait recueilli près de 10 000 signatures. Pour l’avoir soutenu, Wang Guilin a été condamné à 18 mois de rééducation par le travail forcé, tandis que Yu Changwu est détenu au secret depuis janvier. La liste serait longue.

La répression suit aussi les bouleversements et drames qui traversent la Chine : logement, pollution, épidémie de sida, conditions de travail… Après Ye Guozhu, condamné en 2004 à quatre ans de prison après avoir demandé l’autorisation d’organiser une manifestation contre les expulsions forcées à Pékin, en marge des travaux « olympiques », de nombreux Pékinois ont été inquiétés. Le problème toucherait selon le Centre sur les droits au logement et les expulsions (COHRE) près d’un million de personnes ; le ministère des Affaires étrangères chinois avance le chiffre de 6 037 familles déplacées qui auraient, bien sûr, été indemnisées… Wu Lihong dénonçait depuis dix ans la pollution massive du lac Tai (province de Jiangsu), dont la conséquence directe est une invasion par l’algue verte, qui répand une odeur fétide et prive d’eau douce près de deux millions de personnes. Il a été condamné à trois ans de prison en 2007. De nombreuses autres protestations ont pris corps, le plus souvent par voie de pétition. Elles sont souvent étouffées et les signataires inquiétés.

La dénonciation du scandale du sang contaminé (des milliers de villageois ont contracté le VIH après avoir vendu leur sang dans les années 1990) a conduit à une surveillance des médecins et à l’emprisonnement de militants anti-sida. Hu Jia, 34 ans, en fait partie. Pour ses activités et la dénonciation de la situation politique dans son pays, il est la cible des autorités depuis longtemps : placement au secret en 2006, 241 jours de résidence surveillée pour sa femme Zeng Jinyan (ils en tireront un film Prisoners in Freedom City, disponible sur Youtube)… Le 3 avril, il a été condamné à trois ans et demi de prison pour « incitation à la subversion du pouvoir de l’Etat ». En cause, trois articles publiés sur un site Internet basé à l’étranger, notamment Boxun, lieu majeur d’expressions dissidentes. Précisons qu’il n’a pas pu faire appel, ses avocats ayant été empêchés de le rencontrer afin de lui remettre les formulaires adéquats. Au Tibet : dont l’accès est toujours bloqué et où les premières condamnations post-émeutes sont tombées :, au Xinjiang musulman : où les condamnations pour « séparatisme » sont légion :, on use de la même méthode : accusations invérifiables, défense impossible, condamnations sans appel. Et c’est sans aborder la question plus générale du régime de détention, l’un des plus terribles dans le monde. Ils sont des centaines à être condamnés pour leurs revendications. Difficile dans un tel contexte de soutenir que la question des libertés est secondaire. E.C.

[[1. Amnesty International, Condamnations à mort et exécutions recensées en 2007 .
]][[2. The New York Times , édition américaine, 22 avril 2008.
]][[3. Notamment Shi Tao dont il semblerait que Yahoo ait contribué à son identification, Yang Tongyan (nom de plume Yang Tianshui) et Huang Jinqiu (nom de plume Qing Shuijun).
]][[4. Lire JO de Pékin : quel héritage pour les droits humains ? , rapport d’Amnesty International, avril 2008 et le rapport 2008 d’Human Rights Watch.
]]Paru dans Regards n°52, mai-juin 2008

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