La solidarité active… entre pauvres

Le revenu de solidarité active, piloté par Martin Hirsch, est présenté comme la solution miracle du gouvernement contre la pauvreté. Mais son application pourrait se révéler machine à précarité.

Martin Hirsch maîtrise l’art de la contorsion. Le haut commissaire aux Solidarités actives doit pérenniser son revenu de solidarité active (RSA), aujourd’hui expérimenté dans une quarantaine de départements. En 2005, dans un rapport qu’il coordonnait, ce dispositif évoqué pour la première fois s’inscrivait dans un projet global de lutte contre la pauvreté. Il était évalué à 8 milliards d’euros. Depuis, l’ancien patron d’Emmaüs a révisé ses ambitions… pour les pauvres. Car Nicolas Sarkozy a vite prévenu: «Le RSA est une idée extrêmement intéressante mais qu’il faut calibrer en fonction des disponibilités financières.» Si l’UMP a trouvé l’été dernier 14 milliards d’euros pour les plus riches avec le paquet fiscal, les caisses sont jugées vides pour améliorer le sort des plus pauvres. Un récent rapport a pourtant révélé le fiasco de l’une des mesures phare du paquet fiscal, la détaxation des heures supplémentaires: 4,1 milliards d’euros de dépense pour l’Etat pour seulement 3,8 milliards de pouvoir d’achat supplémentaire! Dans ce climat, Martin Hirsch, en bon élève de l’ouverture, l’a joué modeste, ne réclamant au départ que 2 à 3 milliards d’euros pour son RSA en régime de croisière. Très vite, François Fillon a parlé d’un milliard, obligeant Martin Hirsch à hausser le ton contre «des clopinettes» . Visiblement pas à une couleuvre près, il est maintenant en passe d’avaler pire : déshabiller pauvre Paul pour habiller pauvre Jacques. En effet, le président de la République, lors de son intervention télévisée d’avril dernier, a annoncé un redéploiement partiel de la prime pour l’emploi (PPE) pour financer le RSA, à hauteur de 1 à 1,5 milliard d’euros. Comment? En revoyant à la baisse le plafond de la PPE, par une limitation probable de ce crédit d’impôt aux salariés touchant 1,2 fois le SMIC, et non plus 1,4 comme aujourd’hui. C’est la solidarité… entre pauvres.

IDEE SIMPLISTE

Les carences budgétaires pour financer le RSA symbolisent le mépris dans lequel le pouvoir en place tient les vaincus du système. Si la querelle publique se focalise sur les enjeux de financement, la philosophie du dispostif n’est pas neutre non plus. Permettre à des bénéficiaires de minima sociaux de remettre un pied dans l’emploi sans craindre une perte de revenu: voilà une idée simple, de bon sens. D’ailleurs, la gauche en son temps avait déjà créé un système de compensation pour lutter contre les effets de seuil. Idée simple donc… Idée simpliste surtout. Voyez le présupposé: «Il y a des emplois non pourvus, il y a des allocataires de minima sociaux: ceux-ci doivent occuper ces emplois-là.» Comme si le chômage était essentiellement volontaire et que notre société était en état d’offrir un emploi à tout le monde. Comme si la lutte contre la pauvreté passait par des incitations financières à la mise au travail, à n’importe quel travail. Comme si les chômeurs, ces «paresseux», étaient responsables de leur sort et qu’il fallait juste les rendre plus adaptables au système. Comme s’il n’y avait qu’une solution, contraindre les RMIstes à occuper les emplois dont personne ne veut, en compensant des salaires de plus en plus bas par une augmentation des prestations versées par la collectivité publique. Cela revient à considérer les petits boulots, l’intérim et les temps partiels comme une fatalité à accompagner socialement et non à combattre. L’UNIOPSS, qui regroupe les associations du secteur social, y a vu juste: «Le RSA risque de fonctionner comme une subvention aux entreprises, notamment s’il devenait pérenne. N’y a-t-il pas danger à les conforter dans une logique de bas salaire» Aussi paradoxal que cela puisse paraître, le RSA pourrait se révéler machine à précarité. Une autre logique est possible: hausse des bas salaires et des minima sociaux, meilleure sécurisation du contrat de travail, augmentation drastique des moyens alloués aux personnels du secteur social et à la formation professionnelle des moins qualifiés. Présentée comme la mesure phare de lutte contre la pauvreté, qui touche plus de 7 millions de personnes survivant avec moins de 817 euros par mois, le RSA ne touchera pas le cœur de la pauvreté. Le dispositif laisse sur le bord du chemin les personnes les plus marginalisées face à l’emploi.

C.A.

Paru dans Regards n°52, mai-juin 2008

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