Agglomération parisienne. Un pari capital

La continuité du tissu urbain avec la banlieue devient un enjeu pour Paris. Surgissent ainsi les questions du centre et de la périphérie, de l’intercommunalité, de la redistribution des richesses entre territoires. Énorme chantier, qui traverse tous les champs politiques.

Grand Paris, Paris métropole ou région capitale? Trois noms pour un seul et même enjeu, de taille: quel développement de la capitale et des communes de son agglomération? Un problème de vocabulaire, certes, mais qui implique des conceptions bien différentes. «Le terme de métropole me semble plus correct sur le plan politique et plus vrai sur le fonctionnement interdépendant de Paris et de sa périphérie» , explique le géographe Simon Ronai(1). Il indique, contrairement au terme de Grand Paris, qu’il ne s’agit pas d’une capitale qui «met la main sur ses voisins.» Le chantier est énorme, traverse l’échiquier politique et les champs de compétence. «Cela pose la question du rôle des communes, poursuit le géographe, du rapport entre le centre et la périphérie, du statut des villes capitales, de leur histoire, industrielle et politique…»

En 2001, sous l’impulsion de la majorité municipale de Bertrand Delanoë, le chantier s’ouvre avec la création d’une délégation à la coopération avec les collectivités territoriales confiée à l’adjoint communiste Pierre Mansat. La continuité du tissu urbain avec la banlieue devient un enjeu pour Paris.

MISE SOUS TUTELLE

En juillet 2006, s’ouvre une conférence métropolitaine de l’agglomération parisienne regroupant une centaine d’élus de 63 communes essentiellement de gauche, l’UMP ayant interdit à ses élus d’y participer. Elle se réunit pour plancher sur les déplacements urbains et l’habitat. De son côté, tout juste élu, Nicolas Sarkozy plaide pour le «Grand Paris», sorte de communauté urbaine incluant la petite couronne. La Région, qui travaille sur la révision du SDRIF(2), y est opposée et son président socialiste Jean-Paul Huchon dénonce une «mise sous tutelle de la région» . Que veut Nicolas Sarkozy? «Sa thèse, sur ce sujet comme sur bien d’autres, c’est que la capitale est en déclin» , analyse Simon Ronai. «L’Etat considère que Paris et sa région sont les atouts principaux du pays , poursuit-il, et qu’il n’est pas question de les brider au profit de la province. Pour y arriver, Nicolas Sarkozy estime qu’il faut des décisions économiques et une autre organisation institutionnelle pour porter les projets et arriver à une meilleure solidarité financière entre les territoires. C’est sur ce dernier point que le doute est le plus fort au regard de ce qui a été sa pratique en tant que président du conseil général des Hauts-de-Seine ou maire de Neuilly.» Peu après, Christian Blanc, ancien PDG d’Air France puis d’une banque d’affaires, est nommé secrétaire d’Etat chargé du développement de la région capitale. Jusqu’alors sans réelle feuille de route, Christian Blanc consulte «tous azimuts» avant de lancer les projets à l’horizon 2009.

SENTIMENT D’APPARTENANCE

Pierre Mansat, lui, défend le projet de la Mairie de Paris, Paris métropole. L’objectif: dépasser les schémas anciens, Paris contre banlieue, ville-centre opposée à périphérie. Concrètement? «Nous voulons faire émerger dans le cœur de cette métropole une plus grande cohérence, une meilleure articulation des politiques publiques et une meilleure solidarité financière et fiscale , répond l’adjoint de Bertrand Delanoë. Aujourd’hui, cette métropole est inégalitaire du point de vue des territoires et des ressources. Il faut mettre en place des mécanismes de redistribution des richesses entre des territoires au développement de plus en plus inégal et ségrégatif pour leurs habitants.» D’un point de vue institutionnel, le projet se cherche encore, même si Pierre Mansat estime qu’il est «nécessaire qu’il y ait une organisation politique au cœur de la métropole» . Et d’avancer la possibilité d’une «institution aujourd’hui inconnue dans notre pays qui prendrait un caractère fédéral. Elle unirait les institutions déjà existantes: région, départements, communes et aurait un rôle politique de coordination et de financement d’un certain nombre de grands projets mutualisés» . Mais l’essentiel n’est pas là. Pour Pierre Mansat, c’est «le sentiment d’appartenance à la métropole» qu’il s’agit de travailler. «Réfléchir en partant de l’échelon communal et départemental ne correspond pas à la vie des gens» , argumente-t-il.

BASSINS DE VIE

Illustration sur le logement, gros enjeu de la métropole, alors que le prix de la pierre explose. «Il faut une politique du logement à l’échelle des bassins d’habitat , préconise l’élu. La crise est énorme et on ne peut y répondre dans les limites communales même quand elles sont importantes, comme à Paris. Il faut penser à une autre échelle, car aujourd’hui, c’est la concurrence des territoires qui prévaut, ce qui aggrave les inégalités.» Qu’est-ce qu’une telle redistribution des cartes peut apporter sur les transports alors qu’existe et fonctionne le STIF, Syndicat des transports d’Ile-de-France? «En effet, les déplacements sont gérés à la bonne échelle par le STIF , répond Pierre Mansat. Mais Paris métropole permettrait de porter avec force des grands projets, comme Métrophérique(3) appelé aussi Arc express. Il ne s’agit donc pas de toucher l’institution qui gère et organise les transports, mais de porter de manière plus forte politiquement les projets nécessaires.»

Le débat transcende les clivages traditionnels et on observe des divergences de points de vue au sein de la gauche comme de la droite. Pour Patrick Braouezec, président communiste de Plaine Commune, difficile de voir la même chose côté Paris ou côté banlieue. «On ne peut pas concevoir ce débat simplement en fonction de l’intérêt des Parisiens , explique-t-il. La banlieue doit être au centre de la réflexion. Il est rejoint là-dessus par les Verts. «Comme les réflexions sont parisiennes, il manque cette notion de banlieu , explique Guy Bonneau, élu Vert au conseil régional d’Ile-de-France. Les zones agglomérées autour de Paris sont considérées comme la banlieue de Paris. Or, c’est de moins en moins vrai. Il y a de vraies vies dans ces zones de petite et de moyenne couronnes. Ainsi les Verts plébiscitent-ils l’intercommunalité, «ces bassins de vie dans lesquels les habitants ont une identité commune, où l’essentiel de leurs déplacements ont lieu»//.

A la tête d’une intercommunalité réputée pour bien fonctionner, Patrick Braouezec défend une vision de la «polycentralité» , dite aussi «théorie de la marguerite». Dans ce scénario, sans que la centralité de Paris, jugée nécessaire au développement économique, social et territorial, ne soit remise en cause, l’accent est mis sur la nécessité d’autres centralités. «On a autour de Paris 8 à 9 pétales, comme autant de centralités émergées ou émergentes. Il faut créer une nouvelle gouvernance autour de ces pôles structurants. Ces quelques grandes agglomérations et Paris intra-muros seraient réunis au sein d’une conférence métropolitaine, regroupant les présidents de ces communautés d’agglomération et le maire de Paris pour décider ensemble des choix stratégiques: les politiques économiques, les politiques de logement, de transports et d’aménagement pour ce cœur francilien. Cette polycentralité impliquerait que chaque ville se retrouve dans une intercommunalité.» Les réflexions étant parisiennes, il manque cette notion de banlieue.

Pour Pierre Mansat aussi, l’intercommunalité est un enjeu de premier plan. Mais l’adjoint au maire de Paris estime aussi qu’elle est «trop souvent adossée à l’idée d’un rapport de force avec Paris. Enfin, le scénario dit de la «marguerite» laisse Paris isolé dans sa limite administrative et politique, ce qui n’est pas acceptable» , juge l’adjoint de Bertrand Delanoë.

METROPHERIQUE

Pour la droite, c’est l’occasion de partir à la conquête d’une zone aux mains de la gauche, Paris, la région Ile-de-France, la majorité des départements limitrophes. Pour autant, pas plus de consensus qu’à gauche. Roger Karoutchi, chef de file de l’UMP à la Région, préconise la création d’un «syndicat mixte» afin que «les communes, les départements, la région et l’Etat se parlent et se concertent» . Pour lui, le Grand Paris ne doit pas s’incarner dans une institution supplémentaire mais dans des projets. «Le Métrophérique, de grandes constructions architecturales, un grand pôle d’affaires à l’Est, un grand campus universitaire, des éco-quartiers… On a besoin d’un maillage de transports publics qui privilégie le lien inter-banlieue y compris en grande couronne.» L’élu de droite voit ensuite un texte de loi, mais «il ne faut pas une strate de plus dans le mille-feuille , précise-t-il. Je crois à une structure de mission qui prendrait en charge une dizaine de projets structurants qui revitaliseraient notre région. Et dans cette structure, on retrouverait l’Etat, la région, les départements et les communes concernées» .

ÉLUS EXCLUS

A droite toujours, le sénateur de Seine-Saint-Denis Philippe Dallier proposait récemment la fusion de Paris, Hauts-de-Seine(92), Seine-Saint-Denis(93) et Val-de-Marne(94). Un projet qui semble faire l’unanimité contre lui. Selon un récent sondage effectué dans les trois départements concernés, 82% des maires y sont hostiles. Pour Pierre Mansat, «ce projet n’a aucune chance de voir le jour. C’est une solution du XIXe ou du XXe siècle, cela ne correspond pas à une métropole du XXIe siècle» .

Alors que quelques élus de premier plan communiquent sur leur projet, nombre d’élus se sentent exclus d’un débat qui les concerne au premier chef. Dans un sondage paru fin avril dans le Journal du dimanche, les élus franciliens se plaignent massivement de ne pas être suffisamment intéressés à l’élaboration des projets. «On sent bien qu’il y a une aspiration chez les élus locaux , analyse Simon Ronai. Tout le monde sait bien qu’on ne peut plus continuer comme avant. Mais on sent aussi des réticences quand il comprennent que le processus peut entamer leurs prérogatives. En attendant, il leur manque une culture urbaine et métropolitaine, qui leur permettrait de gérer et d’affronter les questions qui s’annoncent, en toute conscience.»

R.D.

1. Simon Ronai est géographe et directeur du bureau d’étude Orgéco, spécialisé dans l’assistance à la gestion des communes.

2. Le SDRIF ou schéma directeur de la région Ile-de-France est un document d’urbanisme qui définit une politique d’aménagement du territoire. La réalisation des objectifs passe par des contrats de plan Etat-Région ou Etat-Département.

3. Projet de métro en rocade situé à une distance de 2 à 5 km du périphérique.

Paru dans Regards n°52, mai-juin 2008

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