Alors que le PCF appelle à l’union de la gauche, le PS conduit une offensive sans précédent dans plusieurs territoires communistes. But affiché : la prise de villes et des conseils généraux de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Le PS mise sur la mort annoncée du PCF. Mais le communisme municipal peut-il être enterré aussi vite ?
La fièvre a gagné les élus socialistes de la Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne. Conduit par Bruno Le Roux, député du 93 et secrétaire national aux élections, le PS a annoncé la tenue de plusieurs listes socialistes face à des maires sortants communistes, rompant ainsi la stratégie électorale de l’union de la gauche. Ce sera notamment le cas à Aubervilliers, La Courneuve, Pierrefitte, Villetaneuse, Saint-Denis, Bagnolet, ainsi qu’à Vitry-sur-Seine ou encore Le Havre. Sans compter les élections cantonales, où le PS compte réitérer les résultats de 2004. Il avait, par exemple, réalisé une belle percée en Seine-Saint-Denis en remportant quatre bastions communistes (Aubervilliers, La Courneuve, Montreuil, Pierrefitte) tandis que le PCF ne sauvait que trois cantons sur les neuf soumis à la réélection. La stratégie socialiste est claire : gagner des villes et des cantons, remporter la présidence du conseil général de Seine-Saint-Denis et surtout la présidence de la communauté d’agglomération Plaine-Commune. Cette forme récente (1999) de coopération intercommunale a montré son efficacité, aiguisant l’appétit socialiste. Ce qui fait grincer des dents son actuel président, communiste, Patrick Braouezec : « Nous avons démontré que ce terrain est porteur d’avenir, explique-t-il. Les socialistes viennent de s’en apercevoir. Mais qui va profiter de tout le travail mené ? Nous, nous voulons changer la situation de la population qui vit dans le 93, et non pas changer la population existante par une autre, plus riche. »
BESOIN D’AFFICHAGE
L’attitude des socialistes dans le département suscite colère et abattement. Dans une déclaration, les maires de Plaine- Commune s’indignent. « Il est difficile de comprendre cette démarche autrement que comme une stratégie globale de conquête de pouvoir sur la gauche. Force est de constater que toute cette énergie mise à diviser n’est pas mise dans la volonté de reconquérir les mairies perdues au profit de la droite (dans celles-ci, l’union des communistes avec les socialistes s’est faite sans difficulté) ! » , écrivent-ils. Pierre Laporte, conseiller général de Tremblay-en-France, estime que « ces primaires, c’est le signe que le cycle de l’union de gauche est fini et cela uniquement par la volonté du Parti socialiste. Le PS veut créer une alternative entre un parti de droite et un parti social-libéral, imposant un bipartisme et considérant les autres partis de gauche comme de simples courants » . Gilles Garnier, conseiller général de la Seine-Saint-Denis (Noisy-le-Sec), fustige la stratégie du PS. « Apparemment, nos amis socialistes ont besoin d’un affichage au soir du 16 mars prochain. Comme ils pensent que cela sera très dur de reprendre à la droite les villes qu’ils ont perdues en 2001, ils lorgnent sur les villes communistes.»
Claude Bartolone, député, patron des socialistes locaux et premier couteau de l’offensive départementale, justifie l’action du PS : « Notre principal motif, ce sont les électeurs ! Ils se sont prononcés lors de la présidentielle, les écouter relève de la démocratie participative. Il est logique de leur répondre que nous entendons le message et prenons nos responsabilités.» Claude Bartolone déplore à ce propos « une tradition communiste de trop fort encadrement de la démocratie participative ». « Le PS tient le discours le plus cohérent sur les enjeux d’un département comme la Seine-Saint-Denis : faire face au devoir social, comme le logement ou la lutte contre la pauvreté, mais aussi accueillir les bobos, qui donnent de la force au département, et réussir la mixité sociale. »
L’appétit socialiste se traduit ainsi par des choses étonnantes. Bruno Le Roux (PS), qui a perdu Epinay-sur-Seine face à l’UDF en 2001, n’essaie pas de reconquérir sa ville et proposait de se présenter à… Saint-Ouen. C’est pourtant le même qui déclarait fièrement : « Si, comme on nous pressait de le faire, nous nous étions basés sur les élections présidentielle et législatives, ce ne sont pas sept mais plus de trente primaires qui auraient eu lieu. » Cette tentation d’hégémonie du PS, mené par des quadras socialistes en majorité fabiusiens, a commencé par une lettre adressée à François Hollande en novembre dernier par des «élus socialistes siégeant dans des villes communistes» . « Il y était écrit, nous explique Pierre Laporte qui a pu la lire, que la politique menée par les communistes n’était pas la bonne, qu’il fallait construire une offensive contre nous pour gagner et donc s’engager dans de nombreuses primaires. » François Hollande a cru bon de déclarer qu’il « veillait à ce que le principe de l’union l’emporte sauf dans les cas où les primaires ont été acceptées par les uns comme par les autres » . Ce à quoi Marie-George Buffet, aussi menacée d’une primaire au Blanc-Mesnil, a rappelé que son parti n’avait accepté aucune primaire. Les socialistes feront donc campagne contre des listes communistes. « La gauche n’a pourtant rien à gagner à faire des primaires en son sein, estime Patrick Braouezec. On aurait plutôt intérêt de se ranger autour d’un projet et d’une politique partagés. A Aubervilliers ou à Saint-Denis, on pouvait s’entendre mais les élus PS ne l’ont jamais voulu. Cela est d’autant plus étonnant qu’ils font comme s’ils n’étaient en rien dans la politique menée, alors que nous étions dans la même majorité !» Le PS veut-il tester dans le département de Seine-Saint-Denis une future stratégie de fusion de la gauche à son avantage ? « Il se joue surtout sur notre dos des guerres de courants internes au PS » , juge Gilles Garnier. Traduction : les fabiusiens, menés par Claude Bartolone, veulent montrer qu’ils sont la gauche du PS. « Mais asseoir son poids en interne au PS sur la défaite des communistes, c’est cher payé pour la population locale qui va beaucoup y perdre, poursuit Gilles Garnier. Surtout qu’elle ne comprend pas pourquoi, face à une droite très agressive, il n’y a pas d’union de la gauche aux municipales. »
L’HEURE DE LA RESISTANCE
Touchés dans leur amour-propre, les maires communistes de la Seine-Saint-Denis revendiquent leur bilan et leur volonté de continuer à exister sur ce terrain sociologique très particulier. « Il est vrai que la sociologie de nos communes a changé, ce qui conduit le PS à lorgner dessus, mais le changement ne se traduit pas tant que cela en termes d’augmentation de revenus, poursuit Stéphane Gatignon. Le 93 est surtout un véritable laboratoire de la France où on trouve des ouvriers précaires, toutes les nouvelles formes de salariat, des migrants et beaucoup de jeunes. » Pour Patrick Braouezec, il est possible de résister. « Les maires sortants partent avec de bons bilans, que ce soit en termes de développement ou de politiques locales. Cela ne sera pas si simple pour les socialistes. » Reste à montrer que le communisme municipal n’est pas une coquille vide mais est porteur d’une politique différente. « A Saint-Denis, les socialistes critiquent la politique municipale que nous avons menée car elle aurait «créé des ghettos», explique Pierre Laporte. Mais leur première demande, c’est d’installer de la vidéosurveillance. C’est vrai que les conditions de sécurité sont difficiles à Saint-Denis. Mais au lieu de chercher à travailler sur le contexte (la pauvreté, l’absence de police de proximité, etc.), le PS s’aligne sur les propositions de la droite. » Stéphane Gatignon estime que le PCF est encore le plus à même de mener des politiques locales qui répondent à une liste d’enjeux cruciaux. « Question des banlieues, répartition des richesses, question environnementale, rénovation des quartiers, redistribution des richesses entre les communes riches et les communes pauvres, emploi, transports. Voilà tout ce à quoi nous travaillons. » Les maires de Tremblay-en-France, Aubervilliers, Sevran et Saint-Denis sont réunis au sein de Rouge Banlieue, pour analyser et valoriser les politiques menées. « Nous examinons ce qui a été fait, en matière d’urbanisme, de culture, de proximité. Nous voulons montrer aussi que nous sommes encore en train de générer du possible et de l’avenir. Ce n’est pas le PS qui a la capacité de le faire» , conclut Pierre Laporte.
« Le problème est que, quand on ne représente plus rien au niveau national, il est très difficile d’exister au niveau local » , estime Stéphane Gatignon. Tous admettent la difficulté de parler encore de communisme municipal quand le nombre de municipalités remportées se réduit à chaque élection. Sans compter les derniers résultats à la présidentielle. « Là où les socialistes jouent sur du velours, c’est qu’il n’y a plus de lisibilité. Le communisme municipal n’existe plus quand il n’a plus de visibilité nationale. La communauté d’agglomération donne un nouveau dynamisme, une nouvelle énergie. Mais nous avons beaucoup de mal à imposer une crédibilité à l’échelle du pays » , juge Patrick Braouezec. Emmanuelle Cosse et Rémi Douat
Regards n°48, Février 2008
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