Sarkozy : refonder le capitalisme

Quelques jours après le déclenchement de la phase aiguë de la crise financière

, Sarkozy prononce à Toulon un vibrant plaidoyer en faveur du capitalisme tout en critiquant les « excès de la dérégulation, de la spéculation ». Cela faisait longtemps que l’on n’avait pas entendu un discours aussi franchement pro-capitaliste. Mais il accompagnait cet engagement d’une campagne politique sur la réforme du capitalisme : remise en cause du pacte de stabilité européen, nouvelle conférence internationale sur la monnaie, sanction des fauteurs de crise… L’UMP lui emboîte le pas. Le 15 octobre, le parti du président lançait « les Ateliers du changement » avec pour thème : «refondation du capitalisme : changeons les règles du jeu ». Filmés et diffusés en direct sur le net, des économistes sont auditionnés : comme de règle désormais, la recette du pâté d’alouette s’impose avec, dans le rôle de l’alouette, Bernard Maris, le chroniqueur critique de Charlie Hebdo. L’attitude est audacieuse. Elle entend faire front à la menace politique d’une remise en cause du système. Bravache, Sarkozy veut l’être. Déjà, en 1997, quand la droite était au fond du trou : après une malheureuse dissolution : il proposait à son camp de se relever en affichant sa fierté d’être de droite. Aujourd’hui, au plus fort de la crise, il reprend l’argument en faveur du système qu’il défend. Il dit : « (…) Le capitalisme, ce n’est pas le court terme, c’est la longue durée, l’accumulation du capital, la croissance à long terme. Le capitalisme, ce n’est pas la primauté donnée au spéculateur. C’est la primauté donnée à l’entrepreneur, la récompense du travail, de l’effort, de l’initiative. Le capitalisme, ce n’est pas la dilution de la propriété, l’irresponsabilité généralisée. Le capitalisme, c’est la propriété privée, la responsabilité individuelle, l’engagement personnel, c’est une éthique, une morale, des institutions. Le capitalisme, c’est ce qui a permis l’essor extraordinaire de la civilisation occidentale depuis sept siècles. La crise financière n’est pas la crise du capitalisme. C’est la crise d’un système qui s’est éloigné des valeurs les plus fondamentales du capitalisme, qui a trahi l’esprit du capitalisme. »

L’esprit du capitalisme , c’est Christine Lagarde, la ministre de l’Economie, qui le résumait face à une assemblée d’investisseurs : « Enrichissez-vous, leur a-t-elle lancé. Travaillez plus et vous multiplierez l’emploi. Gagnez plus et vous augmenterez le pouvoir d’achat. Dépensez plus, et vous relancerez la croissance ! » Sarkozy et Lagarde mettent leurs pas dans ceux de Guizot qui, au XIXe siècle, associait réussite personnelle, richesse privée et progrès de la société. Le chef du gouvernement d’alors disait à l’adresse de ses alter ego bourgeois : « Messieurs, enrichissez-vous, améliorez la condition morale et matérielle de notre France : voilà les vraies innovations. » Au-delà, de la volonté d’inscrire, comme toujours, son action dans un discours idéologique producteur de vaste perspective, le discours de Toulon éclaire le sens de l’action publique et des discours du président. Ce dont il s’agit, c’est de défaire le XXe siècle qui a socialisé une part conséquente des richesses. Là se situeraient les racines des déviations, des altérations à l’essence du capitalisme. Selon cette « pureté originelle », le moteur de la société est du côté des riches et des puissants. Et non du côté du partage, de la distribution, de la démocratisation. De fait, depuis son élection, Sarkozy ne cesse de valoriser ses riches amis. C’est un message envoyé à tous : ce sont eux les locomotives de notre pays. Sarkozy ne bat pas en retraite. A l’instar des mécanismes analysés par Naomi Klein (1), il est déjà en position de transformer une crise en atout pour franchir un pas de plus dans la remise en cause de tous les progrès démocratiques du XXe siècle. Le projet de Sarkozy est en faveur d’une oligarchie. Et il argumente.

Catherine Tricot

1. Naomi Klein, La stratégie du choc. La montée d’un capitalisme du désastre , Actes Sud.

Paru dans Regards n°56, novembre 2008

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