Les gouvernants, les financiers, leurs économistes
ayant clamé durant trois décennies les vertus du marché pérorent aujourd’hui sur la nécessité de réguler et de moraliser le capitalisme. Nul ne sait si le plan Paulson adopté aux Etats-Unis réussira à colmater les brèches d’un secteur bancaire et financier à la dérive. Quant à l’Europe, engoncée dans son orientation néolibérale, elle cache mal son impuissance.
Ce que les gouvernements et les économistes libéraux s’efforcent de dissimuler, c’est que la crise plonge ses racines dans la structure même du capitalisme néolibéral qui s’est imposé depuis trente ans. Le maître mot fut la restauration des profits, aux dépens des salaires, qui ont nourri une consommation extravagante des classes bourgeoises et des placements grâce à des produits financiers de plus en plus nombreux et sophistiqués, dont l’utilisation était d’autant plus aisée que le crédit était abondant. Mais les plus-values boursières ne peuvent durablement se développer que sur fond de plus-value croissante extorquée aux travailleurs.
Aussi, les alternatives au capitalisme que l’on peut dessiner s’inscrivent-elles radicalement à l’opposé du modèle de développement imposé par le système aujourd’hui dominant dans le monde entier. La crise globale du capitalisme globalisé n’est pas un accident « moral », car ce sont les conditions de la vie en société qui sont mises en danger. Pour éviter le retour récurrent des crises, il faut agir à trois niveaux pour une protection humaine.
Au niveau financier : puisque la finance dispose d’une totale liberté de circuler, d’organiser des marchés spéculatifs et de transiter par les paradis fiscaux, il faut rétablir des contrôles stricts sur les mouvements de capitaux, notamment par des taxes, interdire la titrisation et les marchés de produits dérivés, supprimer les paradis fiscaux et placer les principaux pôles du secteur bancaire sous contrôle public sans attendre leur faillite.
Au niveau social : puisque la financiarisation a surfé sur la dégradation de la condition salariale, proposons d’inscrire dans la Constitution que le supplément de richesse qui va aux travailleurs (salaires, temps de travail, protection sociale, besoins sociaux, etc.) ne soit jamais inférieur aux gains de productivité, d’instaurer un revenu maximum, au-delà duquel une fiscalité progressive drastique soit appliquée, et de faire de la souveraineté alimentaire pour tous les peuples un droit fondamental.
Au niveau écologique : puisque toutes les activités humaines et la gestion de la planète étaient destinées par le néolibéralisme à être confiées au marché, instaurons un débat démocratique pour que tous les éléments essentiels à la vie (air, eau, ressources non renouvelables, climat, connaissances, etc.) soient considérés comme biens publics inaliénables, dont toute dégradation devra être prévenue ou réparée par des taxes spécifiques. Un programme d’énergies renouvelables doit enfin être immédiatement mis en chantier en Europe. A ces conditions, qui ouvrent la voie à un dépassement du capitalisme, la lutte pour l’émancipation humaine pourra se poursuivre.
Jean-Marie Harribey est économiste, membre du Conseil scientifique d’Attac et de la Fondation Copernic. Il a co-écrit Le Développement en question(s) , PU Bordeaux, 2006
Paru dans Regards n°56, Novembre 2008
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