Oreste Scalzone, réfugié politique italien. Il offre sa liberté en gage à Chirac pour qu’il renonce à toute extradition.
Par RÉMI DOUAT
« Retirer un asile, ce serait comme retirer une grâce, abject ! » Oreste Scalzone, ex-leader de l’autonomie ouvrière italienne pendant les années 70, réfugié en France depuis 1981, lutte pour l’amnistie générale des activistes des Années de plomb. Ces Italiens qui ont reconstruit leur vie en France, protégés par l’engagement du premier septennat Mitterrand de ne pas extrader les exilés ayant lâché les armes, ont aujourd’hui une épée de Damoclès au dessus du crâne. Rompant avec ses prédécesseurs, de droite comme de gauche, le ministre de la Justice Dominique Perben avait permis en 2002 l’extradition de l’ami d’Oreste Scalzone, Paolo Persichetti. Enrico Villimburgo et Roberta Cappelli sont aussi sur la liste. Et le sort de Cesare Battisti est aujourd’hui plus qu’incertain.
C’était plus qu’Oreste Scalzone ne pouvait en supporter. Celui qui fut désigné par la justice italienne comme le « meneur d’une tentative d’insurrection armée contre l’Etat », a écrit cet été à Jacques Chirac : « Je propose […] si cela pouvait vous aider à surseoir le cas échéant à toute extradition, de mettre en gage ma liberté en renonçant à la prescription de ma peine qui interviendrait à l’automne prochain et en me livrant à la justice de mon pays pour son exécution. » « Un échange de symbole », résume-t-il. Si l’arrêt rendu par la cour d’appel de Paris le 30 juin sur l’avis favorable d’extradition de Battisti devait être confirmé par la Cour de cassation puis par le Conseil d’Etat, Scalzone ira donc frapper à la porte d’une prison italienne. Il se raconte comme il peut, « ce même pas citoyen », ni français, ni italien. Se perd dans les mots, confesse son immense difficulté à synthétiser, avant d’égarer à nouveau son interlocuteur. On saisit des bribes au vol. Terni, ville ouvrière de l’Ombrie. Famille modeste d’employés. La politique, depuis toujours. Entre ces quelques clés, il s’offre des digressions, qu’il commente, « comme un musicien en jam session ». Effectivement, le jeu n’est pas loin. Parfois son visage quitte l’expression dure et volontaire pour se fendre d’un sourire. « Quand les choses sont tragiques, il faut aller jusqu’à en rire, comme dans le théâtre de l’absurde. » Toujours le verbe construit, déconstruit, tiraillé et distordu pour tenter d’en faire le juste reflet de la pensée. Ce sera toujours mieux que le slogan qu’il abhorre, cette politique en pilule, « pire que la pub ». Le verbe, donc, devenu sa seule arme pour réclamer avec constance l’amnistie générale « des camarades » : « Au point où nous sommes, seule l’adoption de formes d’action empruntées à l’arsenal de l’action directe non-violente peut, sinon nous sauver, sauver un peu de notre vérité, et notre face. » Il a connu d’autres armes. Avec le philosophe Toni Negri, il fonde Potere Operaio (Pouvoir Ouvrier) en 1969, l’un des principaux mouvements de l’autonomie ouvrière italienne. C’est bientôt le début des Années de plomb et de l’officialisation de la nécessité du recours à la violence. Après la dissolution de Potere Operaio, en 1974, Oreste Scalzone devient le leader des groupes de l’Autonomie. Le 7 avril 1979, Scalzone, Negri et des dizaines d’autres activistes sont arrêtés. Pour Scalzone, c’est la taule, « l’une des pires prisons de Sicile » en quartier de haute sécurité. Après vingt et un mois de prison, il est remis en liberté provisoire pour raisons de santé. Terrassé par une hépatite C, il rejoint le Danemark, puis la France. « Une fuite », selon son propre terme, qu’il préfère à celui d’exil, qui aurait trop tendance à ennoblir. « Pour un braquage, on peut toujours parler de réappropriation, mais ce serait se faire plaisir », lance-t-il. Pour la justice italienne, en tout cas, il s’est rendu coupable dans ces années-là de « constitution d’association subversive articulant des bandes armées ». C’était en 1988, lors de sa condamnation. Mais est-ce vraiment si loin, pour lui qui dit aujourd’hui se « sentir comme un taulard ». Oreste Scalzone, un pied dans cette guerre qui n’a jamais dit son nom, l’autre dans un futur incertain, remis entre les mains de Chirac. Sacrificiel ? Il rejette en bloc. Mais « comment imaginer que je puisse jamais regarder impassible passer les charrettes d’extradés sans comprendre que ce serait là me demander bien davantage que le sacrifice de ma liberté ».
R.D.
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