FAITES ENTRER L’ACCUSÉ : Chapeau mou et manteau de cuir

Vous êtes-vous passionné pour l’affaire Grégory ? Avez-vous frissonné au récit des crimes de Marc Dutroux ? Brûlez-vous de revoir la randonnée meurtrière de Florence Rey et d’Audry Maupin ? Alors « Faites entrer l’accusé » est pour vous.

Il y a eu les Histoires de Tacite, les Contes de Perrault, les Fables de La Fontaine, les aventures de Tintin… il y a aujourd’hui les crimes du jeudi soir, sur France 2. Sur un thème a priori racoleur (sang, meurtre, viol, pédophilie, etc.), il n’était pas évident d’éviter les écueils et de conserver une dignité « inhérente à la mission du service public » (fermez le ban). Mais le plus grand intérêt de « Faites entrer l’accusé » réside autant dans sa scénographie que dans les sujets traités.

Car finalement, que nous révèlent ces « grandes » affaires : Guy Georges, Pierre Chanal, Thierrry Paulin, Francis Heaulme, Roberto Succo : auxquelles l’émission s’attaque ? Que les assassins les plus prolixes roulent souvent sur la jante et que, plus que d’enfermement, ils ont surtout besoin qu’on les protège d’eux-mêmes et de leur enfance ? Rien de nouveau dans les lucarnes… mais d’autres enquêtes, moins attendues, sont bien plus captivantes : comment ne pas être ébahi par le culot de Spaggiari, révolté devant l’innocence guillotinée de Ranucci et celle, trop tard reconnue, de Patrick Dils ?

Le traitement des dossiers est d’une qualité sensiblement égale : reportages soignés, approfondis, clairs, large recours aux témoignages des avocats, policiers, juges, familles des victimes et des accusés… Pour raconter les cavales de François Besse, par exemple, douze intervenants, parmi lesquels sa sœur, un ancien otage, un procureur, l’ancienne compagne de Mesrine et l’inévitable commissaire Broussard. Le tout est impeccable.

Mais « Faites entrer l’accusé », c’est d’abord un style, une atmosphère. Souvent exagérée, à la limite du grotesque, la mise en scène du présentateur est le premier spectacle offert au public.

Voici Christophe Hondelatte, ex de France Inter passé sur RTL : manteau de cuir, pantalon sombre, regard clair. Derière lui un bureau, plongé dans une lumière tamisée, contre un mur tapissé de photos, d’articles, de cartes. Ici une table, un canapé : Hondelatte y interroge avocats, familles, juges et experts. Puis il se déplace. De nuit, surtout, ou au crépuscule : la vérité est mystérieuse, c’est souvent à l’aube que le voile se déchire. On le voit traverser Paris ou sa banlieue en voiture, l’œil froncé, le sourcil interrogateur : c’est qu’il cherche à comprendre. Alors il va voir un collègue, un journaliste (Dominique Rizet), au bord de la Seine. On hésite entre le Quai des Orfèvres et la scène finale de Compartiments tueurs où Jean-Louis Trintignant se tue pour ne pas être arrêté par Yves Montand. Quoi qu’il en soit, on trouve Hondelatte impliqué, préoccupé, plein de nuances et d’interrogations. Est-il enquêteur, flic, redresseur de torts ? On pense à James Ellroy, aux polars de Patrick Raynal. Mais nous ne sommes pas dans les quartiers borgnes de Los Angeles ou de Nice. Nous sommes sur France 2, et on pressent que l’eau minérale a remplacé le whisky de contrebande. Hondelatte n’est pas un privé, simplement un présentateur qui fait un peu de cinéma.

On le retrouve d’ailleurs, un instant après, au bar, sans consommation, interviewant l’un des policiers concernés par l’affaire suivie, sous une photo d’un Antoine Blondin à jamais ironique et désabusé…

Alors, Hondelatte, flic ou journaliste ? Est-il Rouletabille, rêvant de devancer la police en trouvant le premier la clef du mystère ? Est-il Maigret, chapeau mou et pipe au bec, descendant l’escalier du 36 ? Son personnage emprunte à l’un et à l’autre, sans atteindre une composition idéale. Et, malgré ses efforts, il s’efface irrésistiblement derrière les sujets qu’il présente.

Il a cependant un grand mérite : nommé au « 13 heures » de France 2 à la rentrée, il va permettre aux fidèles du service public de prendre enfin congé de Daniel Bilalian.

Le crime ne paie pas. Il fait monter l’audimat et valser les vanités.

Frédéric Sire

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