Raffarin III : Labo du libéralisme

La sanction électorale de mars dernier a-t-elle infléchi la politique gouvernementale ? Derrière une communication revisitée et quelques inflexions, la droite a sa boussole : le libéralisme, agrémenté de populisme. Bilan d’étape avant les élections européennes. Dossier réalisé par clémentine autain et roger martelli

Raffarin III, scène I. La tragi-comédie du deuxième mandat de Jacques Chirac continue. Après la débâcle aux régionales, on reprend les mêmes et on recommence. Le « pilote de l’Airbus gouvernemental » reste en vol, Nicolas Sarkozy tient désormais les cordons de la bourse, Jean-Louis Borloo a été promu pompier social, Dominique de Villepin passe de l’extérieur à l’intérieur… Les partitions sont redistribuées mais revoilà les mêmes acteurs, à l’exception notable des personnalités issues de la société civile. Pour reconquérir au plus vite du crédit auprès des Français, ce sont les hommes politiques pur sucre, les plus rompus à l’exercice institutionnel, qui reprennent les rênes. Avec un credo : « des réformes moins brutales », pour reprendre la formule du Premier ministre qui se sait en sursis. L’exercice est périlleux et conduit à un véritable numéro d’équilibriste. En effet, comment changer de politique pour mieux répondre aux insatisfactions exprimées sans donner l’impression de dédire les actions du gouvernement précédent ? Si le cap libéral est maintenu et, avec lui, l’essentiel des choix politiques de Raffarin II, une meilleure communication et quelques inflexions permettent de donner le change, avant l’échéance européenne.

Raffarin II, c’était la rigueur et la volonté de réhabiliter, coûte que coûte, l’autorité de l’Etat. Avec deux priorités affichées : la baisse des impôts et la sécurité. Le gouvernement s’était montré intraitable avec les mouvements sociaux. Souvenons-nous de la dureté face aux enseignants, longuement mobilisés au printemps 2003. « On ne gouverne pas en cédant à la rue », rabâche alors la droite au pouvoir. Le dossier des retraites a ainsi été mené de main de maître. Avec Raffarin III, rigueur et fermeté auraient-elles pris du plomb dans l’aile ? Depuis mars dernier, le ton a changé et la liste des revirements et ajustements s’allonge semaine après semaine. Mais, au total, le gouvernement gagne du temps plus qu’il ne règle les problèmes…

Première patate chaude post-électorale : les recalculés. Le jugement de Marseille ne faisait pas partie des prévisions du gouvernement qui pensait pouvoir tranquillement économiser sur le dos des chômeurs sans que justice ne s’en mêle. En même temps, la droite a trouvé là une occasion pour afficher un pseudo-tournant social : les chômeurs recalculés seront tous réintégrés. Mais cette décision n’a fait qu’entériner une situation de fait puisque les juges s’apprêtaient à invalider la mesure de suppression de la fin des allocations, conformément à la logique de signature du PARE, contrat engageant les chômeurs mais aussi l’UNEDIC. Toujours est-il que le fond du problème n’est pas réglé : quelle réforme du système d’assurance chômage ? Le gouvernement n’annonce pour l’heure aucun changement de cap. Depuis, ce procédé se répète à l’envi. Face aux intermittents, Renaud Donnedieu de Vabres tente de calmer le jeu, en cédant peu à peu à un certain nombre de revendications. La création d’un fonds destiné à aider les intermittents les plus touchés par la réforme ne peut masquer l’autisme face aux revendications des artistes et techniciens du spectacle. Autre exemple : l’évolution d’EDF-GDF. Si Nicolas Sarkozy donne une suite favorable à quelques revendications syndicales, le lent cheminement vers la privatisation n’est évidemment pas contrarié. Enfin, la réforme de la Sécurité sociale, annoncée par Philippe Douste-Blazy, laisse perplexe. On retrouve le même processus politique que pour les retraites. Pour sauver le « système en péril », la droite propose de creuser un peu plus les inégalités sociales.

Deux mesures montrent en revanche des ajustements d’orientation plus significatifs. D’un côté, le plan anti-expulsions de Jean-Louis Borloo doit permettre de donner une touche sociale à l’action gouvernementale. Si la mesure est à saluer, il reste évident que c’est un peu maigre. De l’autre côté, la mesure phare du candidat Jacques Chirac a été remise en cause : Nicolas Sarkozy a annoncé que la baisse des impôts ne serait plus l’horizon indépassable du gouvernement. Pour faire bonne mesure, le ministre de l’Economie a proposé des réductions fiscales pour les donations de grands-parents à petits-enfants. Une réforme qui bénéficie d’abord aux détenteurs de patrimoine mais parle aussi aux petits épargnants. Par là, le libéralisme rejoint le vieux populisme : le ministre n’est pas simplement un bon gestionnaire des deniers publics mais aussi un défenseur de l’épargne durement gagnée, y compris devant les agents du fisc. Se plaçant ouvertement du côté du contribuable, Nicolas Sarkozy se pose comme l’anti-Francis Mer : le « bon père de famille » succède au froid gestionnaire. Le libéralisme se trouve ainsi raccordé au paternalisme et à la normativité. Le marché libre et l’ordre social : la marque de fabrique de « Sarko » est un mélange détonant, inquiétant pour l’avenir collectif. Les contradictions et les chausse-trappes ne manquent pas pour l’actuelle majorité. Mais une chose est sûre : le héraut du libéral-populisme, Nicolas Sarkozy, est au cœur du dispositif, garant de la continuité de la politique économique et sociale. Dernier espoir d’une droite en déconfiture. C.A.

EUROPÉENnES

Dernières élections avant 2007

L’enjeu du 13 juin est à la fois national et européen. Le nouveau mode de scrutin fait le jeu de la bipolarisation partisane. L’espace des sensibilités d’alternative est une fois de plus marqué par l’éparpillement.

Les précédentes élections européennes, en juin 1999, avaient été marquées par un basculement historique de la majorité du Parlement européen, consacrant une nette prédominance des droites sur la scène européenne. Le scrutin avait été, au total, plus favorable aux conservateurs et aux libéraux qu’aux chrétiens-démocrates, mais partout on avait assisté à une déroute des partis socialistes au pouvoir. Par ailleurs, les Verts européens avaient progressé, tandis que les partis de la gauche radicale consolidaient leur implantation, même si, en France, le PCF de Robert Hue sortait déçu de la compétition électorale. Enfin, le souverainisme conservait une audience électorale marginale et la plupart des organisations d’extrême droite marquaient le pas. Une fois de plus, les élections européennes avaient été avant tout structurées par des enjeux de politique intérieure. La répartition des forces politiques en Europe résultait donc de l’agrégation de données essentiellement nationales, dans une consultation qui souffre dès le départ d’un grave déficit de mobilisation, les abstentions tournant depuis 1989 autour de 50 % du corps électoral !

En sera-t-il de même en 2004 ? Le scrutin du 13 juin devrait avoir une forte détermination nationale. Le gouvernement s’est mis en ordre de bataille, pour remonter la pente désastreuse des régionales. Au coup de sifflet de Jacques Chirac, on a enregistré quelques reculs immédiats, vu revenir le discours social incarné par Jean-Louis Borloo et assisté au lancement de la machine « Sarko » à Bercy. En face, le PS veut pousser les avantages de sa « divine surprise » des régionales et des cantonales. Le 9 mai dernier, François Hollande a réclamé une nouvelle sanction pour la droite et rappelé que le scrutin européen serait « la deuxième occasion et la dernière avant 2007 ».

Dimension européenne

Et pourtant, jamais consultation n’aura eu une dimension aussi européenne. En même temps que se déploie un mouvement social européen, un espace politique se tisse avec la généralisation des partis européens. L’UMP d’Alain Juppé a décidé de renforcer ses liens avec la grande coalition des droites, le Parti populaire européen. Fin février, les écologistes français ont participé ostensiblement à la fondation du Parti vert européen et le PCF lui-même a contribué, les 8 et 9 mai, à porter sur les fonts baptismaux le nouveau parti de la Gauche européenne. François Bayrou ne veut pas être en reste en lançant le projet d’un centre européen « qui ne soit ni conservateur ni socialiste, qui soit démocrate et porte l’espérance européenne » (Le Monde du 8 mai). Quant aux socialistes, ils espèrent que la victoire du PS espagnol de José Luis Zapatero est l’indice « d’une nouvelle donne » (Serge Moscovici, Le Figaro, 13 avril). Présent à Paris à la Convention nationale du PS, le 9 mai dernier, le nouveau président du Parti socialiste européen, Poul Nyrup Rasmussen, a réaffirmé l’objectif de « bâtir une alliance nouvelle et durable entre la gauche et l’Europe, à l’aide d’un Parti socialiste européen et digne de ce nom ».

Déboires libéraux

La forte dimension européenne est ainsi une originalité certaine de cette élection. Elle n’est pas pour autant un facteur de simplification. Par exemple, Alain Juppé veut continuer la vieille logique gaullienne de l’axe franco-allemand et renforcer le compagnonnage affiché avec la CDU d’outre-Rhin. Mais les ambitions de Nicolas Sarkozy le poussent à suggérer d’autres horizons : au Conseil national de l’UMP, le 9 mai, il a ostensiblement demandé que l’on ne s’en tienne pas à l’allié allemand, mais que l’on regarde aussi du côté de l’Espagne et de l’Angleterre. Alors que le président en titre de l’UMP veut inscrire ouvertement le gaullisme dans l’espace institutionnel de la droite européenne, son rival esquisse une tonalité plus critique, qui est un clin d’œil affirmé aux sensibilités de la droite souverainiste et de l’extrême droite. Sans doute Nicolas Sarkozy n’a-t-il pas oublié ses déboires de 1999, quand le RPR allié aux amis d’Alain Madelin avait, en recueillant à peine 12,5 %, été devancé par la liste souverainiste de Charles Pasqua et de Philippe de Villiers. Libéral-populiste contre libéral-social ? Le parti du Président n’en a pas fini de choisir et la consultation européenne pourrait être un jalon délicat dans son long cheminement vers 2007.

Chacun cherche sa gauche

Les Verts, eux, ont fait clairement le choix d’un attelage européen qui les met à la remorque des Grünen de Joschka Fischer. Ils souhaitent ainsi profiter de l’implantation européenne du courant écologiste, bien assise en 1999, conforter l’image « européiste » de leur formation et attirer un électorat plus jeune, qui s’intéresse plus que d’autres aux enjeux de l’Union. Ce rapprochement avec les Grünen se scelle sur la base d’un programme d’apparence très technique et environnementaliste, mais il laisse dans l’ombre la plupart des grands enjeux économiques et sociaux. En bref, les Verts français semblent avoir voulu mettre entre parenthèses la question du libéralisme, qui les aurait sans doute placés en porte-à-faux vis-à-vis de leurs alliés allemands. Ce choix : tactique ou stratégique ? : risque toutefois de fragiliser leurs rapports avec un mouvement altermondialiste qui, lui, est bien ancré dans la thématique antilibérale.

A priori, les sondages laissent entendre pour l’instant que les électeurs français pourraient être tentés par une nouvelle manifestation de leur mécontentement à l’égard du gouvernement Raffarin. Reste à savoir qui en tirera le bénéfice le plus grand. Le Parti socialiste a rarement été à l’aise dans une élection européenne où ses résultats sont la plupart du temps en deçà de ceux qu’ils obtient dans des scrutins nationaux. Michel Rocard, qui dirige la liste socialiste dans le grand Sud, ne devrait pas avoir oublié son très médiocre 14,5 % de juin 1994… Mais le PS a le vent en poupe depuis mars, tandis que les autres composantes de la gauche vont être dans une situation difficile, du fait d’un mode de scrutin qui valorise ouvertement les grosses machines électorales.

L’extrême gauche n’a pas été bousculée par ses résultats décevants des régionales. Les 3 et 4 avril derniers, la direction nationale de la Ligue communiste révolutionnaire a sans surprise « confirmé (à 70 %) l’orientation définie par le dernier congrès et l’enjeu de la campagne commune avec LO ». La minorité de la LCR a certes fait valoir que les résultats des régionales laissaient entrevoir d’autres configurations à la gauche du PS, mais, une fois de plus, elle n’a pas été entendue.

Quant au PCF, il a eu une attitude oscillante, dans la continuité d’élections régionales qui ont été analysées par chacune des sensibilités internes comme confirmant l’orientation qu’elles proposaient de retenir. Le noyau dirigeant, autour de la secrétaire nationale, Marie-George Buffet, avait ainsi obtenu, au lendemain des scrutins de mars, que le PCF retienne l’option d’une liste de « large rassemblement ». Mais cette direction n’a pas voulu trancher au départ entre un rassemblement autour du PCF et des listes vraiment pluralistes, selon le modèle mis en œuvre aux régionales d’Ile-de-France. A l’issue d’une phase plutôt confuse, le PCF présente des têtes de liste communistes dans les sept circonscriptions métropolitaines, avec toutefois la reconduction en Ile-de-France, sous la houlette de l’eurodéputé sortant Francis Wurtz, d’une liste paritaire décidée avec d’autres organisations.

Au bout du compte, l’espace politique, du côté des sensibilités d’alternative, se caractérisera une fois de plus par son éparpillement, surtout si la tentative d’une liste plus ou moins dérivée de la galaxie Attac : la liste dite « 100 % altermondialiste » : parvient à voir le jour, malgré les vives réactions que cette hypothèse a suscitées dans les rangs de l’organisation.

Le nouveau mode de scrutin dénationalise le vote et fait le jeu de la bipolarisation partisane. Les électeurs sauront-ils contredire ce double projet, et l’esprit d’alternative fera-t-il entendre fortement sa voix ? Réponse le 13 juin… A.C.

PROGRAMMES : Libéral or not libéral

Europe libérale, sociale-libérale ou antilibérale ? C’est autour de ce choix que les lignes de partage se construisent. Les convergences aussi.

Quelle Europe voulons-nous ? De quelle Europe rêvons-nous ? Ces questions devraient occuper l’essentiel de l’espace public, le temps au moins d’une campagne électorale. De fait, les formations qui concourent aux suffrages des Français ont fait, cette fois, un effort réel de proposition en matière européenne. Sans doute y verra-t-on l’effet d’une intériorisation plus grande du fait européen lui-même.

Ce n’est pas qu’ait disparu le scepticisme devant une construction européenne opaque et de style technocratique, qui semble bien lointaine et, trop souvent, menaçante. Tant de mauvais coups et de démantèlements sociaux ont été conduits au nom des impératifs européens ! Mais l’habitude est heureusement venue de considérer qu’il n’y avait dans ces méthodes aucune fatalité, que l’espace européen pouvait être aussi celui de constructions solidaires, de luttes communes contre un adversaire commun. A qui observe bien, ce sont les mêmes logiques libérales qui sont à l’œuvre à Bruxelles ou à Paris, à Strasbourg, à Londres ou à Berlin. Les mouvements sociaux d’ampleur européenne, « eurogrèves » ou marches des femmes ou des chômeurs, ont donc commencé d’habituer à la convergence des actions sociales. Et les Forums sociaux européens ont fait de l’Europe une scène politique où l’on s’est pris, ensemble, à penser qu’il était possible, à partir de dynamiques communes, d’esquisser des projets alternatifs communs. Mais, ce faisant, l’espace politique continental a cessé d’être celui des seuls spécialistes de la chose européenne. Le monde proprement politique, celui des organisations partisanes, a dû s’adapter à cette nouvelle donne. Les partis ne peuvent plus se contenter d’un discours général, favorable ou critique : ils doivent avancer des propositions et se prononcer sur les points clés qui travaillent désormais l’opinion publique.

Cet intérêt est certes variable. Pour le Front national, par exemple, un discours violemment antieuropéen continue de tenir lieu de programme. Discret sur le contenu très libéral de son projet : ne s’agit-il pas pour lui, avant tout, « d’assouplir le pacte de stabilité » et non de l’abolir ? :, le Front utilise le terrain européen pour tenir un discours vague où l’appel au « volontarisme » côtoie, sans la moindre vergogne, l’appel à « défendre les services publics » et la demande de « grands travaux » financés par l’Europe « en partenariat avec le privé ». Les seuls points développés sont ceux de l’immigration, avec le double refus de la citoyenneté de résidence et de l’ingérence européenne : le cadre de la « préférence nationale » étant jugé le seul pertinent :, et celui de la politique agricole qui permet au parti d’extrême droite de flirter avec un électorat rural désorienté par les choix de l’Union.

A droite, toujours, le pari centriste de François Bayrou s’accompagne pour l’instant d’une certaine prudence programmatique. Comment, en effet, se distinguer d’un bloc européen de droite qui, dans le cadre du Parti populaire européen, rassemblait jusqu’alors l’essentiel des formations conservatrices, chrétiennes-démocrates et libérales ? En dehors d’un discours fédéraliste plus appuyé : que porte notamment l’eurodéputé Jean-Louis Bourlanges : les amis de Bayrou s’en tiennent donc à un discours où la logique politique : distinguer le centre de la droite classique : l’emporte sur un contenu programmatique où la différence est bien difficile à fonder.

A l’autre extrémité de l’échiquier politique, Lutte ouvrière et la Ligue communiste révolutionnaire observent la même discrétion programmatique. De ce côté-là, la volonté est nette de s’appuyer sur la demande des mouvements social et altermondialiste. Mais, au-delà de la classique thématique anticapitaliste, l’extrême gauche française continue de considérer que l’alternative ne nécessite pas de formaliser les réponses cohérentes que l’action politique pourrait porter jusqu’aux institutions de l’Union européenne. En bref, l’alliance LO-LCR pense toujours que la posture révolutionnaire critique suffit à donner à l’action sociale son prolongement nécessaire dans l’aire politique. A la limite, toute démarche de projet est suspectée de tentation sociale-démocrate ou d’illusion dangereuse : faisons grandir politiquement le refus et l’on verra bien après…

«Europe libérale»

Toutes les autres formations s’essaient à formuler leurs propositions européennes et de les mettre à l’épreuve sur quelques thèmes liés à l’actualité. Le clivage droite-gauche fonctionne-t-il toujours ? Incontestablement. Sans doute le choc de la contestation sociale oblige-t-il la droite à une extrême prudence. Difficile, dans le contexte actuel, de justifier sans ambages l’ultralibéralisme dominant… L’UMP s’efforce donc de louvoyer, par exemple en expliquant, par la bouche d’Alain Juppé, que la question n’est pas d’opposer l’Europe libérale et l’Europe sociale, mais de trancher entre « l’Europe dynamique » et « l’Europe bureaucratique qui confond la solidarité et l’assistance ». Le maître mot de la droite gouvernementale est celui de l’efficacité européenne. L’objectif est de « reprendre place en tête du peloton européen » (Juppé) ou de retrouver « un nouveau volontarisme » par l’instauration d’un « authentique gouvernement économique européen » (Sarkozy). Pour le reste, il s’agit avant tout de faire des clins d’œil à une opinion de droite désarçonnée par l’insuccès de son gouvernement. La référence à la défense du pouvoir d’achat (omniprésente chez Sarkozy) permet de prolonger le discours plus social amorcé par Jacques Chirac au lendemain des régionales. En contrepoint, la référence prioritaire à la sécurité est un geste à l’égard de la partie la plus à droite de l’électorat, tandis que le refus de l’adhésion de la Turquie veut rassurer ceux qui peuvent encore être séduits par le discours virulent adopté sur ce point par Philippe de Villiers. Et si l’on ne parle pas « d’exception culturelle » : pas de concession à l’antilibéralisme ! : , on chante les vertus de la « diversité culturelle » et de la souveraineté. Quant à la politique environnementale, elle se limite à l’obligation d’utiliser des pots catalytiques et au recyclage des déchets. Une manière ambitieuse, sans doute, de nourrir le « rêve européen » dont se réclame le parti du Président…

Le souci de l’équilibre a des limites, comme le montre fort bien l’évocation de la Constitution européenne. Alors que Jacques Chirac se garde bien d’envisager un référendum, l’UMP s’est sentie obligée d’enfourcher ce cheval de bataille, bien sûr « dans le respect des prérogatives du chef de l’État » (programme adopté le 9 mai). Impossible de ne pas « prendre la peine de solliciter directement l’avis des Français », explique Sarkozy devant le Conseil national du parti. Mais comment prendre le risque d’une consultation qui serait au moins autant un référendum… sur l’action du pouvoir que sur la Constitution elle-même ?

«Europe sociale»

Face à une droite qui ne sait plus quoi faire de son libéralisme, la gauche se prononce vivement en faveur de l’incontournable « Europe sociale ». Chacun y va de son couplet, n’hésitant pas à reprendre, avec plus ou moins de conviction et de détails, les thèmes portées par le mouvement altermondialiste, et notamment les 21 exigences exprimées par l’association Attac. La référence au service public y côtoie ainsi souvent le désir de mettre à l’écart des règles du marché la santé, l’éducation ou la culture, ou encore le souhait d’établir des régulations plus fortes, surtout en matière de licenciement et d’emploi. Mais si le social donne le ton, les différences, voire les divergences ne manquent pas, moins sur le détail des mesures que sur la cohérence qu’elles dessinent.

Dans l’ensemble, la proposition du PS se présente comme ouvertement fédéraliste et modérément redistributive. Comment financer l’Europe sociale ? On ne sait pas trop. Les socialistes ne veulent certes plus du pacte de stabilité, mais le budget européen qu’ils envisagent reste modeste (1,5 % du PIB), le volet fiscal est maigre et il est prévu tout au plus d’établir « les modalités du dialogue » entre la Banque centrale et les autres institutions européennes. Pour le reste, les socialistes conservent leur fibre fédéraliste, considérant, comme les centristes, que c’est par défaut d’intégration que l’Europe a péché. Et c’est significativement sur les questions troubles de la sécurité et de la régulation des flux migratoires que la démarche est le plus abondamment illustrée…

La démarche des Verts est, par certains aspects, plus proche de la sensibilité « mouvement social » et plus prudente sur les grandes logiques économiques et sociales. Les écologistes français ayant choisi la carte de l’immersion dans le Parti vert européen, l’essentiel de leur projet tourne autour des questions de l’environnement, avec une multiplication de mesures concrètes, d’allure souvent technique. La dimension de projet proprement dit est moins dans la philosophie de la construction européenne que dans l’importance accordée : autre tradition de l’écologie française : aux questions du rapport aux pays du Sud et à celle des institutions internationales. En revanche, la part sociale est plus allusive : l’énoncé de valeurs générales, la référence à la formation professionnelle pour les chômeurs… Les Verts, par ailleurs favorables au projet de constitution «Giscard», cultivent leur image « sociétale ». Mais ils ont mis un bémol sur l’anti-libéralisme qui est pourtant celui de la majorité dirigeant l’organisation.

ALTERNATIVE

Quant au PCF, très hostile au projet constitutionnel, il a peaufiné ses propositions dans une discussion avec ses partenaires potentiels : ceux avec lesquels un accord a été signé en Ile-de-France. Plus que les autres formations, il affirme le souci de fonder sa critique de l’Europe actuelle sur une vision alternative cohérente du devenir de l’Union. La demande d’une Europe sociale : plus précise dans l’énoncé des droits exigés que dans les autres programmes : s’accompagne donc d’un fort volet économique et social et d’une proposition d’inflexion sérieuse du dispositif institutionnel. La réorientation des outils de régulation économique : et notamment l’action de la Banque centrale européenne : et la relance élargie du secteur public participent ainsi du désir de limiter l’emprise de la pente marchande, qui enserre de plus en plus l’Europe dans les filets de la concurrence généralisée.

Dans cet ensemble, la question des institutions reste une pomme de discorde, même si les points de vue ne présentent plus cette incompatibilité totale qui marquait les débats antérieurs. Le fait que, peu ou prou, l’Europe soit devenue une donnée reconnue déplace les lignes de la controverse. La question n’est plus celle de l’acceptation ou non de l’Union, mais celle des contenus politiques qu’elle doit promouvoir. Libéralisme, social-libéralisme ou antilibéralisme conséquent et constructif ? C’est autour de ce choix que les lignes de partage se construisent progressivement. Sans doute, la querelle du fédéralisme et du confédéralisme continue-t-elle de se déployer, mais de façon moins dogmatique que par le passé.

Du côté de la gauche antilibérale, des voies de convergence programmatique semblent en tout cas en passe de s’affirmer. Dans le processus de préparation des européennes, un projet de charte citoyenne élaborée par des militants politiques, associatifs, syndicaux, de sensibilités et de pratiques fort diverses, a montré que, sur le terrain de l’antilibéralisme, des convergences sérieuses pouvaient se dessiner.

Qu’elles n’aient pas pu aller jusqu’au bout, jusqu’à la constitution de listes communes, ne change rien sur le fond : c’est vers ces convergences qu’il faut désormais s’engager, et pas seulement sur le terrain européen. R. M.

Nouveau mode de scrutin

Compte tenu de l’élargissement de l’Union européenne, seuls 626 députés seront élus dans les États de l’Union à Quinze, en attendant que le nombre total de députés passe à 732. En France, les 78 députés européens seront élus à la proportionnelle, suivant la règle de la plus forte moyenne.

L’élection se déroulera cette fois à l’intérieur de huit grandes circonscriptions :

  • Nord-Ouest (Basse-Normandie, Haute-Normandie, Nord-Pas-de-Calais

et Picardie) : 12 sièges

  • Ouest (Bretagne, Pays-de-la-Loire, Poitou-Charentes) : 10 sièges
  • Est (Alsace, Bourgogne, Champagne-Ardenne, Lorraine,

Franche-Comté) : 10 sièges

  • Sud-Ouest (Aquitaine, Languedoc-Roussillon, Midi-Pyrénées) : 10 sièges
  • Sud-Est (Corse, PACA, Rhône-Alpes) : 13 sièges
  • Massif Central-Centre (Auvergne, Limousin et Centre) : 6 sièges
  • Ile de France : 14 sièges
  • Outre-mer (ensemble des départements, territoires et collectivités) : 3 sièges

Les sièges seront répartis, dans la circonscription, entre les listes ayant obtenu

au moins 5% des suffrages exprimés.

Composition actuelle du Parlement européen

Le Parlement européen comprend 786 députés (parmi lesquels 43,6% de femmes en 1999). Ils se répartissent en sept grands groupes ou se classent parmi les

« non inscrits » :

  • Groupe du Parti populaire européen (Démocrates-chrétiens et Démocrates

européens) : 294 députés (c’est à ce groupe qu’adhèrent aujourd’hui les membres de l’UDF et de l’UMP)

  • Groupe du Parti socialiste européen : 232 députés
  • Groupe du Parti européen des libéraux, démocrates et réformateurs :

67 députés

  • Groupe des Verts/Alliance libre européenne : 47 députés
  • Groupe confédéral de la Gauche unitaire européenne / Gauche verte nordique : 55 députés (parmi eux les élus du PCF et de l’extrême gauche française)
  • Groupe Union pour l’Europe des nations : 30 députés

(dont les amis de Charles Pasqua)

  • Groupe pour l’Europe des démocraties et des différences : 17 députés

(parmi eux William Abitbol et Jean Saint-Josse)

  • Les non-inscrits sont au nombre de 44 (parmi eux les députés du FN)

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *