Quelle est la nouvelle donne de l’action syndicale ? Eclairage sur les enjeux d’un mouvement à la recherche de plus de proximité. Coup d’envoi : unions locales, petites entreprises et renouvellement générationnel.
Quel sentiment avez-vous sur le mouvement qui a débuté le 18 octobre dernier ?
Jean-Christophe Le Duigou. La force du mouvement a été exceptionnelle le 18 octobre dans les trois secteurs concernés par la remise en cause du régime des retraites, EDF-GDF, la SNCF et la RATP. Même le gouvernement a dû en convenir. Des suites sont d’ores et déjà programmées en novembre. C’est la première action d’envergure depuis la période électorale. En ce sens, elle doit retenir l’attention. Elle représente une nouvelle étape de nature à contrecarrer ce qu’était la démarche de Nicolas Sarkozy : une démarche s’appuyant sur sa seule légitimité politique, qui finalement ne laissait guère de place à une vraie négociation sociale. Il faut que ce mouvement crée le rapport de force suffisant et se donne les moyens de poursuivre. Mais cela doit être fait dans une optique de rassemblement et non d’isolement d’une avant-garde. Les salariés savent bien que l’unité est une question capitale. La préoccupation sur laquelle sera jugé le gouvernement dans les mois qui viennent, c’est le pouvoir d’achat. Cela pose la question de l’élargissement du mouvement à d’autres revendications et à d’autres secteurs.
En 1995, un mouvement social d’une amplitude rare a démarré alors que le président Chirac venait d’être élu ? La comparaison s’arrête là ?
J.-C.L.D. Difficile de penser que le mouvement empruntera deux fois de suite le même chemin. En 1995, le candidat Jacques Chirac faisait sa campagne sur la fracture sociale. Une fois élu, il décide, dans le cadre de la préparation du budget, d’augmenter de deux points la TVA. Ce gouvernement a la même tentation, on l’a vu avec la TVA sociale, mais il y a pour le moment renoncé. Pour l’instant, les salariés sont plutôt encore dans l’attente et demandent à voir. Cela ne va pas forcément durer longtemps. Autre particularité du moment, l’essentiel ne se passe pas encore dans la classe ouvrière ou chez les employés, c’est plutôt dans les classes moyennes et moyennes supérieures que le « décrochage » s’est opéré.
Quelles sont les spécificités du mouvement sur les retraites de 2003 et quel impact sur la manière dont on peut envisager les choses aurjourd’hui ?
J.-C.L.D. Il faut se souvenir de 1993 lorsque Edouard Balladur lance la première réforme aux impacts massifs sur les salariés du secteur privé. Les conséquences ne sont alors perçues que progressivement parce que le passage de 37,5 à 40 ans de cotisations ne touchait que marginalement les salariés du privé. Il y a eu une sous-estimation de ce que représentaient le passage au calcul sur les 25 meilleures années de cotisations et la désindexation du calcul des retraites sur les salaires. Le secteur public ne s’est pas senti concerné. En 2003, nous avons vécu la situation inverse. La CGT a alors pourtant dit que la réforme concernait aussi le secteur privé, puisqu’elle comprenait un nouvel allongement de la durée de cotisation pour tous, mais la réforme a été perçue comme affectant simplement les fonctionnaires. Le mouvement social aurait intérêt à bien prendre en compte que le gouvernement veut jouer une troisième fois la division du salariat, cette fois-ci sur le dos des régimes spéciaux. L’essentiel de notre effort sur le plan de la perception des enjeux majeurs de la retraite doit être d’expliquer le lien entre cette remise en cause des régimes spéciaux à la troisième vague de la réforme des retraites, que le gouvernement a annoncé pour le printemps prochain.
L’enjeu des retraites semble avoir une dimension politique particulière.
J.-C.L.D. En effet, avec quelques questions majeures comme l’assurance maladie, le SMIC, l’école ou la formation, la retraite est aujourd’hui l’un des enjeux transversaux de notre système social. C’est peut-être même un élément central de cohésion nationale, comme l’était la monnaie. En somme, la retraite « fait société », ce qui rend de fait la question toujours complexe. Cela justifie que les choix sur l’avenir de notre système soient faits en toute clarté, collectivement et démocratiquement. L’individualisation de l’approche de la retraite, impliquant que chacun soit responsable dans son coin, ne répondra pas à la crise sociale d’aujourd’hui.
Avec Nicolas Sarkozy président, quelle est la nouvelle donne de l’action syndicale ?
J.-C.L.D. Il y a des éléments de permanence, comme la politique de division du salariat que nous voyons à l’œuvre aujourd’hui dans cette manière d’opposer les salariés des régimes spéciaux et ceux relevant du régime général. L’élément nouveau est l’absence d’alternatives construites aux réformes décidées par le gouvernement. Assez franchement, je n’entends pas beaucoup de véritables contre-propositions. Nicolas Sarkozy joue sur cette absence, cette difficulté à monter des solutions politiques. Du coup, les syndicats sont en première ligne et sommés de s’intégrer ou de se marginaliser.
Nicolas Sarkozy dit en substance aux syndicats : Ou vous vous intégrez, mais vos exigences ne pèseront pas sur la structure de la politique menée, ou bien vous vous situez à l’extérieur et vous n’aurez plus de prise sur les décisions que je prends.
J.-C.L.D. Retrouver un syndicalisme de proximité, comme pouvaient le faire les unions locales, n’est-il pas un enjeu majeur ? Le congrès de Lille de la CGT a donné véritablement le coup d’envoi du « redéploiement syndical », une réflexion portant à la fois sur la stratégie, les revendications mais aussi sur les structures. Nous rayonnons structurellement aujourd’hui sur 20 % du salariat, c’est-à-dire sur 4 à 5 millions de personnes avec qui nous avons un contact direct au travers de nos organisations. Il faut poser la question du redéploiement pour intégrer de nouveaux secteurs comme le commerce et les services mais aussi les petites et moyennes entreprises, qui concentrent deux tiers du salariat. Les unions locales ont amorcé un redéploiement. Leur activité correspondait souvent à la carte de l’industrie d’il y a trente ans, et pas à la localisation actuelle du salariat. Les unions locales ont un rôle clé à jouer, avec la création de syndicats multiprofessionnels. Nous avons une conférence nationale sur l’activité et l’organisation des unions locales en novembre. Tout l’enjeu est de bien accompagner ce mouvement de redéploiement du syndicalisme.
Entretien réalisé par Rémi Douat
Paru dans Regards n°45, Novembre 2007
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