Birmanie : « Les citoyens ne sont pas résignés »

Un silence noir flotte sur la Birmanie. La répression a fait son travail, aidée par la Chine, sous les yeux d’une communauté internationale divisée. Quelle marges de manœuvre pour sortir de l’impasse ? Points de vue de Frédéric Debomy et Francis Christophe, spécialistes de la Birmanie.

Entretien avec Frédéric Debomy, coordinateur d’Info-Birmanie

Où en est la contestation en Birmanie ?

Frédéric Debomy. Nous sommes maintenant dans une phase de répression : la junte casse toute opposition possible en arrêtant les gens la nuit. A la différence des manifestations de 1988 où les soldats avaient foncé dans le tas, la junte a choisi cette fois une approche différente. Elle utilise des milices civiles pour que l’armée ne soit pas vue en train de réprimer. Et elle se sert d’un matériel assez sophistiqué pour retrouver les manifestants à partir des vidéos. Aujourd’hui, il y a une plus grande absence d’images, donc l’attention de la communauté internationale se relâche. C’est le pari fait par les généraux. Mais je ne crois pas que les citoyens birmans soient résignés, tout simplement parce qu’ils n’en peuvent plus. L’économie est exsangue et il n’y a aucune perspective d’amélioration.

La Chine pourrait-elle changer de positionnement vis-à-vis de la junte pour ne pas entacher son image internationale, à la veille des JO de Pékin ?

F.D. La Chine est un des principaux investisseurs en Birmanie, c’est aussi un des principaux fournisseurs d’armes du régime. C’est donc un soutien diplomatique auquel tiennent les généraux birmans. La Chine a toujours refusé l’approche multilatérale du problème birman. Elle a fait opposition à une résolution du Conseil de sécurité, proposée par les Etats-Unis et la Grande-Bretagne, en septembre 2007. Donc le soutien de la Chine est très fort. Il y a bien sûr des raisons économiques, il y a aussi un accès stratégique à la mer pour eux… Le seul espoir du côté chinois, c’est en effet les JO de Pékin. On sait que la Chine veut se donner l’image d’un régime responsable et compte se servir des JO pour ça. Le maximum doit être fait pour mettre en lumière son soutien au régime birman. Ce qui se passe en ce moment est du coup très inquiétant parce que finalement la junte ne gère pas trop mal la répression.

Et du côté de l’Association des nations de l’Asie du Sud-Est ?

F.D. L’ASEAN est avant tout un groupe économique et non politique. Jusqu’à présent, la non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats membres était leur règle de base et leur action s’appuyait sur le principe de l’engagement constructif. Une théorie qui consiste à investir dans un pays qui n’est pas un modèle de démocratie, d’imaginer que cet investissement apporte naturellement l’éclosion d’une classe moyenne et que cette classe moyenne amène la démocratie. C’est un principe automatique qui n’est pas vérifié dans tous les contextes. En Birmanie, il n’y a toujours pas de classe moyenne, il n’y a qu’une minuscule bourgeoisie qui vit dans l’entourage des généraux.

L’ouverture de négociations avec Aung San Suu Kyi, la Prix Nobel de la paix, chef de file de l’opposition, vous paraît-elle crédible ?

F.D. Avec beaucoup de méfiance. Rappelons que le dialogue entre la junte et Aung San Suu Kyi, fin 2000, portait sur des pourparlers visant à fixer les conditions d’un futur dialogue. Il y avait déjà un envoyé des Nations unies pour servir d’intermédiaire entre la junte et Aung San Suu Kyi… Mais jamais le cadre des négociations préliminaires n’a été dépassé. En avril 2003, la Prix Nobel de la paix a dénoncé cette mascarade. Il faut avoir ça en tête quand Than Shwe (chef de la junte, ndlr) parle aujourd’hui d’un dialogue avec l’opposante. En plus, il y a les conditionnalités : le fait qu’elle doive reconnaître certaines « fautes » et qu’elle cesse d’appeler aux sanctions économiques. Ça montre bien de quel dialogue il s’agit ! On pense que c’est un subterfuge de plus pour gagner du temps.

Quelles sanctions internationales seraient efficaces pour forcer la junte à changer ?

F.D. Beaucoup d’analystes disent que la junte se moque totalement des sanctions internationales. Nous pensons que c’est faux. La communauté internationale est faible vis-à-vis de la Birmanie parce qu’elle n’a jamais réussi à parler d’une voix unie et cohérente. Il y avait ceux favorables à l’engagement constructif, ceux favorables à une politique de sanctions et ceux qui naviguaient entre les deux. J’ai expliqué que la théorie de l’engagement constructif n’a rien donné, quant aux sanctions, elles n’ont pas été appliquées de façon suffisante pour que l’on puisse juger du résultat. Par exemple, la position de l’Union européenne consiste en un embargo sur les armes, une interdiction pour les militaires de poser les pieds en Europe, un gel des avoirs bancaires des militaires du régime et puis, en termes de sanctions économiques, en une interdiction d’investir dans les entreprises birmanes de jus d’ananas ! En revanche, les secteurs clés du bois, du gaz et des minerais sont épargnés. C’est une vaste plaisanterie ! S’il y avait déjà un bloc régional, comme l’Europe et au-delà si le bloc occidental parlait d’une voix unie, ce serait plus facile de convaincre d’autres blocs régionaux. (1)

Si Total partait de Birmanie, que se passerait-il ?

F.D. L’argument de Total, c’est de dire : « Si l’on s’en va, des Chinois ou des Malaisiens vont nous remplacer et ce sera pire parce que nos projets sociaux ne seront pas maintenus. » Ces projets sociaux sont bien évidemment bienvenus dans le contexte birman. Ils sont a priori de qualité, ce n’est pas quelque chose que l’on conteste. Par contre, si l’on fait le ratio entre les 12 millions de dollars investis dans les projets sociaux depuis le début du projet Yadana par Total et les 400 à 450 millions de dollars que touchent la junte chaque année, on se rend compte de la catastrophe humanitaire. Le besoin de projets sociaux vient de l’indifférence et de l’incapacité de la junte à gérer les problèmes sociaux. Si Total s’en va, les projets sociaux sauteront peut-être et les populations concernées en feront les frais : et ce n’est pas souhaitable : mais d’un autre côté, si l’on considère la situation globalement, ça ne changera pas grand-chose, sinon que la diplomatie française sera peut-être plus libre.

Propos recueillis par Sabrina Kassa

[[(1) Dans un texte adopté le 15 octobre, les ministres des Affaires étrangères européens « jugent nécessaires d’accroître la pression directe sur le régime » birman, via notamment « un embargo sur les importations de produits forestiers, miniers et des pierres précieuses » , ainsi qu’un embargo sur les exportations européennes d’équipements destinés à ces secteurs.
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