Figés ? Rigides ? Passéistes ? De la LCR au PS, les militants de gauche doivent encaisser les critiques d’une droite de « rupture ». Inquiétude commune : comment remettre le rêve au centre de l’action politique, un projet solidaire face à la Rolex et aux vacances sur un yacht avancées par Sarkozy.
Par Rémi Douat
La gauche sait être ennuyeuse, politiquement correcte, sans saveur…» Corine Faugeron, élue verte du 4e arrondissement est bien de gauche, mais la claque de l’accession au pouvoir de Nicolas Sarkozy délie les langues, et avec elles l’autocritique. « Pour incarner le changement, nous devons renouer avec le rêve. C’est devenu à tort une notion saugrenue et méprisée. Nous devons réintégrer le désir et le plaisir dans notre action », complète-t-elle. La France tourne un page majeure de son histoire (voir page 4), la gauche s’interroge, le militant aussi. Militer, le mot est martial, jusque dans son origine latine, la lutte et le combat. Son acception renvoie à un surplomb. Même en bas de l’échelle sociale, il appartient à une élite : « Ces militants qui sont l’avant- garde de la classe ouvrière », écrivait Aragon. La figure archétypale le présente comme un guide indiquant un chemin, maintenant le cap et s’astreignant à la cohérence et à une forme d’ascèse. Cette posture rigide est-elle encore en phase avec l’indispensable mouvement dans lequel se pensent les problématiques contemporaines ? On l’a souvent vu dans Regards, le militant s’est beaucoup renouvelé, en particulier chez les plus jeunes. Pour toutes sortes de raisons, individualisation de la société, désenchantement idéologique, on s’engage plus ponctuellement pour des enjeux précis et concrets. Mais le militantisme plus traditionnel, partie prenante d’un parti politique, est encore bien là, et ses acteurs considèrent toujours que leur action permet à la machine d’avancer. Comme Noël, 42 ans, qui se définit comme altermondialiste mais a décidé, depuis l’élection de Nicolas Sarkozy, de s’investir dans un parti. LCR ou PCF, il ne sait pas encore, car son idéal résidait dans l’union des forces antilibérales. Il appréhende son entrée dans de telles structures, même s’il la juge nécessaire. « J’ai peur de retrouver ce qui m’a fait déserter le milieu altermondialiste. Les chapelles, le côté prêchi-prêcha… Les militants ne sont pas toujours marrants. Je pense que c’est le fait d’être en lutte qui rend si dur. » « Effectivement, préparer une grève à 5 heures du matin, recevoir des coups de matraque des CRS, voir des sans-papiers se faire expulser de force, je ne peux pas l’apprécier, raconte Thibault, de la LCR. Alors autant que possible, c’est important de trouver du plaisir dans notre action. Cela passe par l’espoir, le sourire, les rencontres. »
Donner envie
« Je réalise que je n’ai pas d’ami hors de mon cercle politique et je reconnais que je ne dois pas être drôle tous les jours », avance Gaël, proche de la mouvance José Bové. En sandales, le visage vaguement christique, il n’est guère heurté à l’idée de considérer son militantisme comme une ascèse. Il désarmorce tout de suite la critique en se chargeant lui même de toutes « les tares du militant ». « Je suis dans la quête impossible de la cohérence, raconte-t-il. Je ne mange pas de viande, je favorise les produits bio et les vêtements issus du commerce équitable », décrit-il, s’inscrivant dans la logique de la consomm’action, même si sa perspective économique passe par la décroissance. « Mais les choses se compliquent quand j’allume la lumière, rigole-t-il, car je suis un anti-nucléaire convaincu. » Un peu rigide, Gaël ? Si le militant passe le plus clair de son temps à tenter de convaincre, peut-il vraiment donner envie en mettant en scène une vie si monacale et des préceptes aussi stricts ? L’aspirant combattant doit-il vivre avec la crainte d’être un mauvais militant ne satisfaisant pas à la totalité des doctrines de sa chapelle politique ? Difficile pour un écolo d’avoir une voiture, un communiste de boire du coca, une féministe de lire un féminin, un intello de regarder la télé (voir p.16)… Imaginons le cauchemar de la gauche unitaire, issue de toutes ces cultures ! Anissa, « compagnon de route » du PCF, refuse pour sa part de tendre le bâton pour se faire battre : « Je ne sais pas de quel côté se trouve la caricature, commente-t-elle. Si le rêve offert par la droite, c’est une Rolex, un yacht et un dîner au Fouquet’s, le réveil va être brutal. Cette vision vulgaire du progrès me paraît aller dans le mur à très court terme. »
Pour Antoine Detourne, militant PS, « le militant ne doit pas être un moine-soldat. Militer ne doit pas être une ascèse, car nous devons être ancrés dans la société, connaître ce que vivent les concitoyens. Sinon, on ne suscite que méfiance. Le travers élitiste du militant n’est pas souhaitable. Surtout pour un militant de gauche qui a vocation à représenter une certaine base sociale. Le militantisme, c’est quelque chose d’ouvert. Parler d’élitisme conduirait à présenter des bons et des mauvais militants. Cela crée un culte du chef ». « C’est pour cette raison qu’il est capital d’être sur le terrain le plus souvent possible, pas seulement tous les trois mois pour apporter la bonne parole », ajoute Thibault, le militant de chez Olivier Besancenot.
Critiquer pour remonter
Pour Stanislas, tout récemment engagé au PS du côté de la « Ségosphère », il faut également commencer par critiquer, pour mieux remonter. Dans sa bouche, le PS en prend pour son grade : « pas sexy », « archaïque », « sclérosé », quant à l’hebdo des socialistes, il est jugé « ringard ». Durant la campagne, « nous étions constamment dans une posture de réponse, et non de proposition », regrette-t-il. Malgré le tableau peu reluisant, il reste confiant et estime le PS en phase de transition. « Les idées de gauche peuvent faire rêver, mais il nous manque l’emballage », analyse-t-il. L’horizon, pour lui, se trouve dans « la nécessité d’un renouvellement générationnel. Il nous manque par exemple des Rachida Dati ». Il faut aussi tourner la page avec ce qu’il estime être de vieilles lunes : « Le PS, par exemple, a un gros problème avec l’argent. François Hollande a commis une erreur monumentale en expliquant qu’il n’aimait pas les riches. On sait très bien que les ténors du PS sont riches. J’aurais préféré qu’il ne s’en défende pas, et qu’en homme de gauche il allait se battre pour la répartition. La gauche à un problème avec l’idée de réussite. » Les gens en ont assez de la critique. On ne peut pas toujours être « anti ». Pas d’accord, répond en substance Thibault, le militant d’extrême gauche. « La notion d’anticapitalisme, par exemple, est caricaturée. C’est vrai que la résistance nécessite souvent d’être «anti», mais derrière les mots en négatif, il y a un projet de société, en positif. »
« La gauche souffre effectivement d’une image triste et pesante », estime aussi Charlotte Balavoine, jeune militante communiste. Mais pour elle, l’explication ne peut se loger dans l’attitude du militant. D’ailleurs, chez les jeunes communistes, où Charlotte passe beaucoup de temps, on a l’intention de mettre en place une plate-forme de réflexion sur les modes de militantisme, qui mettrait notamment l’accent sur la nécessité d’être « festif ». Les raisons de cette image « triste et pesante » est bien une affaire de programme. « Les socialistes n’ont pas assumé d’être à gauche », avance-t-elle. Pour elle, « le rêve » que le militant doit proposer, c’est l’alternative.
Et cela nécessite d’être crédible. « C’est ce qui a manqué au Parti communiste. Nous avions un vrai projet mais nous n’avons pas su montrer qu’il est crédible. » « Et puis, à propos de rêve, complète-t-elle, la valeur centrale de la gauche, c’est la solidarité, ça fait quand même plus rêver que la méritocratie et l’écrasement des autres. »
Construire du lien
Si on rencontre bel et bien chez les militants un désir de repenser l’action et la pensée à gauche, on relativise de tout son verbe la rupture et la modernité revendiquée par la nouvelle droite de Nicolas Sarkozy. Pour le militant socialiste Antoine, « la droite n’est pas plus moderne que le PS puisqu’elle s’inspire d’idées archaïques issues de Ronald Reagan et Margaret Thatcher. La droite est rentrée de plain-pied dans une société de l’instantané, ce que n’a pas fait la gauche. Les techniques de marketing politique de la droite vont au delà des slogans mystificateurs : c’est la religion de l’unité du bruit médiatique. Dès que les ministres sont en déplacement, les photos se multiplient dans la presse. C’est cette image du mouvement qu’incarne la droite qui conduit à ces discours sur la gauche ringarde. La gauche doit être réactive. Et cela passe par le travail de militant. Un militant, c’est aussi un média. Il permet d’enraciner la gauche dans la société et construire le lien social ».
Pour Thibault, le discours sur une gauche « conservatrice » campée sur des « acquis » relève de la manipulation : « C’est une victoire idéologique pour la droite qui a réussi à diffuser cette idée d’une gauche passéiste. Cela relève de l’idée reçue et de la caricature. L’anticapitalisme implique en réalité une réforme de fond en comble de la société. C’est tout sauf passéiste. » R.D.
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