« L’homme qui veut sauver la Terre » titrait Le Nouvel Observateur. Ce faisant, l’hebdomadaire des intellectuels de gauche sacrait en Nicolas Hulot l’incarnation d’une écologie qui ne serait plus politiquement de gauche, mais apostoliquement globale. Une écologie messianique volontiers teintée d’apocalypses (« la fonte des glaces n’a pas encore trouvé son peintre »,comme disait Jean Mallaurie). Une écologie du pacte, plutôt que du contrat, qui de Jean-Jacques Rousseau retiendrait Le Bon Sauvage plutôt que Le Contrat social. Une écologie proche d’un scoutisme planétaire, qui se nourrirait d’unanimisme à la Jules Romains, d’hommes et de femmes de bonne volonté, et de bonnes action, (cependant qu’on libéralise l’électricité, privatise l’eau, etc.) : trier les ordures ; acheter une voiture à moteur hybride ; refaire l’isolation de sa maison ; faire du vélo ; éteindre les engins en veille ; éviter de salir les serviettes à l’hôtel ; mettre des panneaux solaires à sa fenêtre…
Car pour les classes moyennes, les seules qui soient encore historicisées, il s’agit de s’extirper de la politique, des idéologies qui ont montré leurs obtuses, bourbeuses horreurs au XXe siècle, et parvenir à des formes de religions plus ou moins laïques, telles que l’écologie. Là-dessus, Malraux avait hélas raison : le XXIe siècle est bel et bien spirituel. En ce sens, sans doute, que c’est l’esprit qui y compte, plus que la lettre. Le pacte plutôt que le contrat.
Or l’actuelle bourgeoisie éclairée française, élevée sur fond de Larzac et de lutte antinucléaire (autant de combats qu’elle aura au demeurant perdus, au même titre que tous les Européens, Allemands y compris), a bien saisi qu’élevée au rang d’Idéologie, l’écologie pouvait rapidement devenir une sorte de fléau. Un « fascisme vert » qui sauverait la géographie plutôt que l’histoire, et la planète en dépit de ses habitants. Une écologie qui se demanderait quelle planète nous allons laisser à nos enfants, au lieu de quels enfants nous y allons laisser.
Afin de surmonter cette contradiction (qui pourrait peut-être bien se résumer, de façon assez piètre, à la contradiction entre Capital et Nature), il a donc fallu médiatiser l’écologie plutôt que la politiser. Et inventer pour cela des figures intermédiaires.
C’est par exemple le cas d’Al Gore aux Etats-Unis, candidat malheureux à la Maison Blanche, mais recyclé, tel un déchet politique doté d’une seconde vie, dans le combat universellement partagé contre l’effet de serre. Plus modestement peut-être, même si lui-même a bien failli se porter candidat au poste suprême, c’est Nicolas Hulot qui incarne chez nous cette écologie à visage (nouvellement) humain.
Avec son romantisme de globe-trotter échappé d’un feuilleton télévisé ; avec sa belle tête de héros populaire qui s’est fait connaître sur le petit écran par ses aventures extrêmes (Ushuaïa : magie d’un nom, dont la succession des lettres semble désigner en elle-même une pointe du langage), la mèche au vent, Hulot lutte au fond pour les éoliennes comme Don Quichotte luttait contre les moulins à vent. Et ce, pour les mêmes raisons : parce qu’il faut bien faire quelque chose.
Comme les chanteurs Bono ou Sting, par exemple, il fait partie de ces stars qui, selon l’expression consacrée, ont pris conscience. De quoi, exactement ? Eh bien, du danger global, c’est-à-dire au sens propre, à la taille du globe. Comme des anges tombés du ciel, ces stars du petit écran, du cinéma ou de la chanson deviennent ainsi, ici ou là, d’importantes figures intermédiaires entre le Peuple et le Politique. Ils parlent. Ils parlent localement, tout en pensant globalement, ce qui, pour avoir été un mot d’ordre politique des années 1990, reste tout à fait caractéristique des anges. L’écologie évangélique a de beaux jours devant elle : elle a dans notre pays le doux visage d’un aventurier rêveur, dans une civilisation qui a arrêté son choix : plutôt l’Idéal que l’Idéologie. A.V.
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