Pour la seconde fois, le jeu institutionnel du quinquennat présidentiel a fait se succéder l’élection présidentielle et les législatives. Si les deux tours de l’élection décisive (la présidentielle) ont été parfaitement cohérents, il n’en a pas été de même du scrutin législatif. Analyse.
Par Roger Martelli
De l’élection présidentielle, l’essentiel a été dit. Cette élection a passionné l’opinion, provoquant la plus forte participation électorale depuis 1981. Au second tour de scrutin, seules les élections disputées de 1965 (le duel de Gaulle-Mitterrand) et de 1974 (le face-à-face Giscard-Mitterrand) avaient provoqué une participation électorale plus forte.
Le résultat de la confrontation n’en est que plus significatif. On sait que la gauche enregistre au premier tour son plus mauvais score depuis 1969, et au second tour le plus faible depuis 1965. Sans doute Ségolène Royal redresse-t-elle le Parti socialiste après son camouflet d’avril 2002. Mais, cette fois, c’est toute la gauche qui peine, à commencer par la gauche d’alternative, dite « antilibérale ». Depuis le milieu des années 1980, cette gauche regroupait sur ses candidatures entre 12 % et 20 % des suffrages selon l’élection. En 2002, le total des voix de l’extrême gauche, des communistes et des écologistes dépassait le niveau des 20 % ; en 2007, il dépasse péniblement la barre des 10 %.
Les données de sondages disponibles précisent les contours de cette défaite. Alors qu’en 2002 la gauche était en tête chez les moins de 35 ans et chez les professions intermédiaires et qu’elle résistait chez les catégories dotées d’un diplôme supérieur au baccalauréat, elle est surclassée à peu près partout en 2007, sauf chez les plus jeunes et les catégories intermédiaires. Environ 60 % des ouvriers et des employés auraient choisi la droite, et à peu près autant de non-diplômés.
Le divorce de la gauche et du peuple sociologique, amorcé dans la première moitié des années 1980, ne s’est pas interrompu avec cette élection présidentielle.
Au total, l’élection aura été marquée, sur les deux tours, par l’affirmation d’une droite originale dans le paysage politique français. A sa manière, en choisissant depuis 2002 le profil d’une droite sûre d’elle-même, Nicolas Sarkozy aura réussi à opérer un certain amalgame entre les familles séparées de la droite française. Pour reprendre les formules chères à feu René Rémond, il a rassemblé autour de lui l’essentiel de la tradition contre-révolutionnaire, de l’orléanisme et du bonapartisme, en réduisant notamment le Front national à la portion congrue.
Le plus important, outre la réussite de la nouvelle synthèse sarkozyenne, est peut-être l’installation d’une fracture géographique et politique. Si l’on observe par exemple l’évolution départementale de la gauche au second tour de l’élection, entre 1995 et 2007, on est frappé par la symétrie qui se manifeste et qui oppose deux France à peu près égales. Ségolène Royal progresse sur le Lionel Jospin de 1995 dans à peu près la moitié des départements français et elle recule dans une autre moitié. Dans le premier groupe : celui du décrochage de la gauche : se trouvent surtout des départements de l’Est, du Nord, du Centre et du littoral méditerranéen. Au contraire, les zones plus favorables à la gauche se situent plutôt dans le grand Sud-Ouest, dans l’Ouest, les contreforts du Massif central et d’une partie de la région parisienne. La vieille France industrielle, déchirée par les rigueurs de la désindustrialisation, a manifestement du mal à pardonner à la gauche gouvernementale les choix de la « rigueur » et du recentrage amorcés dès le début des années 1980.
Les aléas des législatives
Les enseignements des législatives sont plus complexes que ceux de la présidentielle, mais n’en annulent pas la portée. Manifestement, les électeurs français ont intériorisé le caractère institutionnellement subalterne d’une élection presque totalement subordonnée à celle du chef de l’Etat. Alors que la participation à l’élection présidentielle a été la plus forte depuis un quart de siècle, l’abstention au premier tour des législatives a été la plus forte de toute la Ve République.
Une fois de plus, le premier tour est l’indice de la profonde crise d’identification qui traverse la grande famille de la gauche française. La gauche enregistre en effet son plus mauvais résultat législatif depuis 1958. Sans doute le décrochage est-il moins net que ne le laissait supposer le triomphe de Nicolas Sarkozy, quelques semaines plus tôt. Mais la coupe est amère au soir du 10 juin, même si le PCF peut à juste titre se réjouir d’un relatif maintien après le sévère revers de sa secrétaire nationale. Au final, le parti du président recueille au premier tour le plus fort pourcentage jamais obtenu par une formation gaulliste, supérieur même au score exceptionnel et conjoncturel de 1968.
Le second tour, par une de ces volte-face qui caractérise heureusement l’électorat français, n’a pas été à l’image des trois tours précédents. Dans un contexte d’abstention massive et de manifeste démobilisation à droite, le Parti socialiste gagne une cinquantaine de sièges par rapport à 2002, tandis que le PCF, voué par les commentateurs à la mort clinique, frôle le seuil des 20 députés nécessaires à la constitution d’un groupe parlementaire. Sursaut de l’électorat de gauche ? Amertume de l’électorat centriste et frontiste qui a voulu, par un ultime pied-de-nez, marquer ses distances avec le parti présidentiel ? En tout cas, le vote de ceux qui se sont portés aux urnes, ce 17 juin, retrouve quelque chose des anciennes données sociologiques. Les jeunes, les professions intermédiaires se sont mobilisés et, cette fois, les ouvriers et les employés semblent s’être portés plus fortement vers la gauche que vers la droite. A suivre, donc… R.M.
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