Le ministère de l’Intérieur indien vient de publier les résultats d’ une étude sur les suicides en Inde. Les chiffres révèlent que les états de Maharashtra, Andhra Pradesh, Karnataka et Madhya Pradesh concentrent 64% des suicides de paysans en 2005. Dans ces quatre états où l’endettement et les mauvaises récoltes sont le quotidien des paysans, la population rurale est abandonnée par un gouvernement central et des autorités locales incapables d’endiguer la crise.
Dans les campagnes indiennes, l’épidémie de suicides a débuté il y a dix ans et les nouveaux chiffres parus ne sont guère optimistes : environ 150 000 fermiers se sont donnés la mort entre 1997 et 2005. Et on en compte 89 362 dans les seuls états de Maharashtra, Andhra Pradesh, Karnataka et Madhya Pradesh. Les victimes sont toutes des petits producteurs endettés, harcelés par les prêteurs sur gage et désespérés par des récoltes mauvaises. Le seul appel au secours qu’il leur reste est de s’empoisonner au pesticide jusqu’à ce que mort s’ensuive. Selon l’étude conduite par le bureau national des statistiques criminelles, dans les 4 états les plus touchés, un suicide de paysan sur quatre est un empoisonnement au pesticide. Sans compter que les chiffres ne sont pas l’exact reflet de la réalité : certains suicides ne sont pas comptabilisés comme « cas véridiques » de détresse et sont donc ignorés. La définition de la catégorie « paysan » semble également difficile à établir : beaucoup de cas de suicides ne sont pas encore répertoriés. Ce qui permet aux gouvernements de minimiser l’ampleur de la crise sociale et agricole.
Quelques soient les régions où le nombre de suicides atteint un chiffre vertigineux, les difficultés rencontrées sont identiques. Les systèmes d’irrigation sont quasi-inexistants et les agriculteurs sont avant tout dépendants de la pluie. L’agriculture est majoritairement une monoculture d’exportation : les producteurs se concentrent sur un seul produit pour ensuite le vendre sur le marché mondial. Cet unique mode de production a fait disparaître la culture vivrière, encore très présente dans les autres régions d’Inde et indispensable pour la survie de la population rurale. Sans aucune ressource personnelle ni subventions (de l’autre côté du Pacifique, un agriculteur américain touche un dollar pour chaque kilo de coton) les petits producteurs indiens n’ont qu’une solution : vendre leur récolte à un bon prix. Mais les prix ont subi une baisse vertigineuse ces dernières années : au Maharashtra , le prix des oignons n’a pas été aussi bas depuis 5 ans. Dans la région est du Maharashtra, le Vidharba, le coton est désormais vendu 1 700 roupies [30 euros] le quintal alors qu’il était à 2500 [45 euros] au début des années 90. Le prix de vente ne recouvre pas le coût de production et le producteur est obligé de vendre à perte, parfois 50 % au dessous du prix plafond déterminé par le gouvernement central. L’endettement auprès du préteur sur gage du village devient alors l’unique solution.
Une part importante du coton cultivé dans ces régions est une espèce transgénique introduite par la société américaine Monsanto en 2002 qui nécessite une irrigation performante et de grandes quantités de pesticides. Or, les petits producteurs, pour cultiver cette « graine miracle » s’endettent pour acheter les grains, le pesticide et l’herbicide nécessaires. Les nuisibles résistent pourtant au pesticide et les agriculteurs, de peur de perdre toute leur récolte, continuent d’asperger leurs champs, s’endettent davantage et détériorent considérablement la qualité de la terre. A cette dette agricole s’ajoute souvent une autre dette qui doit permettre au chef de famille de payer le mariage et la dote des femmes. Une étude menée par l’état du Maharashtra indique que cette dette, chez les paysans suicidés, s’élève en moyenne à 3000 euros. Contractée auprès de différentes banques mais aussi auprès des prêteurs du village, elle donne lieu à des taux d’intérêt exorbitants, pouvant aller jusqu’à 40% par mois !
Le 3 novembre dernier Vilasrao Deshmukh, ministre en chef de l’Etat du Maharashtra, célébrait les 3 ans de son arrivée au pouvoir et se réjouissait de la situation actuelle de son état : le nombre de suicides au Maharashtra aurait enregistré une baisse de 50% en 2007. Un chiffre démenti par Kishor Tiwari, porte-parole des paysans de la région de Nagpur, qui indique que le taux de suicides augmente mais que le gouvernement reste aveugle : dans les 48 heures qui suivirent la fête d’anniversaire, 10 nouveaux paysans se donnèrent la mort.
L’annonce par le ministre en chef de la mise en place d’une nouvelle étude de la crise est une bien faible solution : de nombreux rapports existent déjà. L’institut de sciences sociales TATA, l’institut Indira Gandhi d’études en développement ou bien la commission nationale des fermiers indiens ont depuis 2003 rendu des rapports détaillés sur le problème des suicides dans les campagnes indiennes. Les propositions pour sortir de la crise agricole sont depuis lors restées lettres mortes. Si le premier ministre Manmohan Singh a l’année dernière annoncé une aide de 37 millions de roupies ( 672 727 euros ) à l’attention des familles du Vidarbha, la délivrance de ces aides financières a déjà pris du retard et beaucoup de familles affirment n’avoir toujours rien reçu.
Le suicide du paysan indien n’est pas une malédiction dont les dieux seuls ont la signification mais il est sûr que les offrandes à répétition et les aides financières au lance-pierre ne résoudront pas la crise. Pour Kishore Tiwari, les priorités sont claires : s’il ne veut pas voir la crise s’étendre, le gouvernement doit prendre ses responsabilités et rapidement débuter son programme de soutien à la culture vivrière. Ce qui ne semble pas être la priorité du moment.
Naïké Desquesnes
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