Le climat est lourd et des quartiers populaires grondent les échos d’orage. La rumeur, ce média clandestin des anciens pays de l’est, monte des bas-fonds pour venir pirater les ondes de la France sarkozienne. La Rumeur justement revient pile poil dans le timing du cauchemar électoral, avec peut-être son meilleur opus. Le retour d’un des rares protagonistes fréquentables du rap français, notamment en raison de leur attachement à certains thèmes tels que la décolonisation ou la ségrégation sociale, une posture qui dénote dans un environnement ou le hip-hop hexagonal oscille entre syndrome branchouille et bad boy à vocation commerciale. Des titres comme « La meilleure des polices », « Je suis une bande ethnique à moi tout seul » ou encore « Que dit l’autopsie », sonnent ainsi comme le négatif des infos télés, un peu comme si la verve des cités mixait le Monde Diplomatique au fond d’une cave.
Extrait de l’album « Du coeur à l’outrage », titre : « La meilleure des polices » :
TOUTES LES CHRONIQUES D’ALBUMS :
Souleyman Diamanka « L’hiver Peul »
Héritier de la grande tradition des Griots Peul, ce peuple migrateur parfois appelé les « gitans de l’Afrique », Souleyman Diamanka déploie sa voix grave au sein de la vague du Slam, cette poésie rappée qui a permis à Grand Corps Malade d’atteindre le disque d’or et à Abd-Al-Malik d’obtenir une inespérée reconnaissance critique. Pourtant rien ne serait plus réducteur que d’enfermer dans une catégorie celui qui, en compagnie de John Banzaï, vient de publier un livre intitulé en guise d’identité verbale« J’écris en français dans une langue étrangère ». Doté d’une plume amoureusement élégiaque, qui dessine une géographie personnelle tourmentée entre l’Afrique, le béton de la banlieue de Bordeaux et les affres de son âme, Souleymane sait utiliser « l’art ignare » comme une puissante arme d’humanité massive.
Extrait de l’album L’hiver Peul, « Marchand de cendres » : Tengo_La_Voz-2.mp3
Washington Lost soul (9701 records / Differ-ant)
Aux Etats-Unis, la musique est d’abord une question de géographie. Les grandes villes marquent de leur identité urbaine et sociale les labels qui y voient le jour. Par exemple, Motown née dans la grande cité industrielle de Détroit, le rêve « nordiste » d’intégration des noirs américains, ou Memphis, agglomérat urbain au coeur du sud rural ségrégationniste. En face de ces deux pôles, l’identité de Washington semble terne. Cette compilation démontre au contraire la richesse de la petite scène funk, qui s’épanouit dans la capitale fédérale au début des années 1970, hésitant, souvent avec talent, entre les diverses orientations qui travaillaient alors la black music: rythm’n’blues classique, assimilation pop, proto-hip-hop. Pour oublier la Maison Blanche, les studios noirs! Extrait de l’album : Tijuana_Makes_Me_Happy-2.mp3
Miossec : « L’étreinte » (Pias)
Miossec et Vincent Delerm ont sorti simultanément un nouveau disque. Et c’est un peu le combat du Cognac contre le panaché qui recommence. On choisit vite son camp et son ver. Puis Miossec avance, sans ânonner bêtement une formule qui titube plus qu’elle ne marche. Il devient somptueusement économe de ses mots et prolixe dans ses mélodies. Celui qui décrivait en entomologiste bavards les multiples métamorphoses de la déception amoureuse, laisse désormais tout l’espace nécessaire à la musique pour venir planter le décor. « Le loup dans la bergerie » incarne parfaitement ce souci d’une saine avarice du verbe : parler juste sans platitude ni banalité. Enfin reste son goût pour une gauche élégiaque, vibrante bien que sans illusion. Dans son titre « La mélancolie », il manifeste à sa manière : « la mélancolie c’est communiste, tout le monde y a droit de temps en temps, la mélancolie n’est pas capitaliste, c’est même gratuit pour les perdants. »
Nortec Collective « Tijuana Sessions Vol 3 » (Because / National Records)
Loin des images d’épinale des Mariachis, la musique mexicaine possède une vitalité étonnante qui dépasse largement le cadre restreint des compilations pour touristes (par exemple la très dynamique et revendicative mouvance hip-hop). Le Nortec Collective représente ainsi une des figures de prou de la petite scène électro, implantée essentiellement dans la ville de Tijuana, capitale tentaculaire de la Basse-Californie, ville passage en flux tendue ou règne les Narco Trafiquants (cf. le titre « Narcoteque ») et une misère qui s’accumule au pied des postes frontières. Mixant les influences multiples des rengaines populaires (cuivres et accordéons), de la soul, de la house, voire de la pop, leur compositions représentent une parfaite bande son d’un pays écartelé entre le sud et le nord, l’économie souterraine et la mondialisation. Une autre manière d’appréhender la situation. Pour écouter des extraits de « Tijuana Sessions Vol 3 » :
« Tengo La Voz » : Funky_Tamazula-2.mp3
« Tijuana Makes Me Happy » : socalled-2.mp3
« Funky Tamazula » : valerie.mp3
Fred Alpi : « Se reposer ou être libre » (Fairplay)
Personnage aux multiples facettes, professeur de Kung-Fu et vétéran de la scène industrielle allemande, Fred Alpi sort un nouvel album étonamment dépouillé, en s’appuyant sur deux guitares sèches aux résonances bluesy évidentes. Fidèle à sa plume d’inconsolable libertaire, il continue d’y chanter un dégoût révolté (« Ma part de violence ») qui ne s’interdit pas les douleurs de l’âme et du quotidien (« Eternel retour » ). Loin de la chanson française pour Bobos nombrilistes ou du punk mal joué pour les manifs, une parenthèse désenchantée sur fond de tatouage et de drapeau noir. (Pour commander l’album ou écouter des extraits audio, voir l’interview vidéo de fred Alpi sur Zaléa TV et retrouver les annonces des concerts, le site de Fred Alpi : http://www.fredalpi.com)
Incredible Bongo Band : « Bongo rock » (Mr. Bongo / Because)
La formation, à géométrie variable, mise en place en 1972 par le canadien Mickael Vinner, ne semblait guère prédisposée à sortir de son rôle de faire valoir pour BO. En une poigné de reprises funky des succès pop du moment, survitaminées par des percussions explosives et des cuivres irrestiblement festifs, The Incredible Bongo Band finira malgré tout par acquérir une petite notériété auprès d’un public de connaisseurs et de fêtards. Mais ce fut surtout l’explosion du hip-hop qui allait définitivement gravé dans le marbre la légende de ce groupe séminal. La reprise d « Apache », classique rock sixties des Shadows, deviendra ainsi un des titres les plus samplés de l’histoire du rap. Cette compilation rassemble donc leur deux albums en un panorama parfait d’une des plus belles filières rythmiques occultes des musiques urbaines actuelles.
« In Prison : Afroamerican prison music from blues to hip-hop » (Trikont, septembre 2006)
Les USA ne compte pas moins de 2 millions et demi de prisonniers et un tiers des afro-américains entre 20 et 40 ans sont répertoriés dans les dossiers de la police, locale ou fédérale. En recoupant ces deux chiffres, on comprend rapidement qu’écrire sur l’univers carcéral, quelque soit les motifs (apologie des caïds, dénonciation de la violence, etc…), ne représente pas qu’une figure de style, mais bel et bien un moyen pour les artistes blacks de parler directement aux premiers concernés, d’une réalité désespérément et massivement ancrée dans la vie quotidienne des ghettos. Cette compilation rassemble un panorama de 19 titres sur cette cruelle tradition de la « prison music », du bluesman Bill By Arnold au rappeur Akon, sans oublier des titres enregistrés derrière les barreaux comme celui de The Escort. La vraie BO qu’il faudrait mettre derrière « Prison Break ». Extrait de l’album, Bobby Womack, »Arkansas state prison » :
« La musique de Paris Dernière 5 » (Naïve)
On peut légitimement détester « Paris dernière », émission phare de la chaîne câblée « Paris Première », au départ lancée par Thierry Ardisson, longtemps entre les mains inspirées de Frédéric Tadéi, et désormais confié aux soins de Xavier de Moulins. Le principe est imparable, pour qui aime parcourir la capitale dès la nuit tombée : l’animateur se promène by night, de lieux atypiques (bar branché, boite de partouze, etc) en interview des personnalités du moment, généralement en promo. Dès lors, libre à chacun d’apprécier ou non l’intérêt du concept. Mais la bande son ne laisse jamais indifférent. Fondée sur la quête inépuisable de la reprise la plus improbable, les désormais cinq volumes nous ont révéler d’impressionnantes surprises comme les Leningrad cow-boys reprenant « Happy Together », en compagnie des cœurs de l’Armée rouge, le terrible « Funky Town » par Treponem Pal ou « Heart of Glass » par les Puppini Sisters. Que voulez-vous, les bobos n’ont pas toujours mauvais goût !
Socalled : « Ghetto-Blaster » (Label Bleu)
Est-il possible de mélanger les musiques yiddisch des annèes 30 avec le hip-hop et autres vibrations urbaines de notre époque? Josh Dolgin, alias Socalled, a saisi sa chance pour nous proposer cet osni (objet sonore non identifié) en forme de pied de nez aux clivages culturels et autres étiquettes pour programmateur radio flemmard. De quoi s’agit-il alors? Imaginez un peu qu’un rap « old school » se pose à côté d’un orchestre Kelzmer lors d’un téléchargement hasardeux sur le net, et voici peut-être la meilleur définition à fournir si l’envie vous prenait de le faire. Comme toujours, en matière de musique : de l’audace, toujours de l’audace ! Extrait de l’album : nicolas.mp3
Collection « Maghreb Soul » (Because) – 5 volumes ( Rai Story / Cheb Khaled / Cheb Mami / Cheb Hasni / Rimitti) Lorsque le Rai débarque en France, du moins lorsqu’il éclate dans la France tourmentée de 1986, il représente l’archétype de la musique subversive : on y parle sans détour d’alcool, d’amour, généralement impossible, des problèmes quotidiens (misère, rêve d’émigration et déception des immigrés, etc..). L’Algérie vit alors sous la censure et sa société ressent les premières convulsions annonciatrices de la guerre civile. Avant de devenir un produit d’exportation aux productions policées, le Rai incarna donc d’abord la « soul » du Maghreb, autrement dit un univers de fête et de danse qui même avec les ritournelles amoureuses les plus naïves arrivait, grâce à des interprètes hors normes (on pense au regretté Cheb Hasni), à déboulonner les tabous culturels et les hypocrisies politiques. Cette collection invite à un nécessaire retour aux sources clandestines, « canal historique », de cette épopée artistique. Pour écouter des extraits de la collection :
Orchestra Baobab : « A night at club baobab. Senegalese dance music of the 70’s » (Oriki Music)
Dans la vogue actuelle pour la musique du continent noir, rien n’interdit d’aller voir un peu plus loin que le bout de son nez publicitaire. L’Orchestra Baobab appartient à la grande lignée de ces formations qui explosèrent en dernières étincelles de l’euphorie des indépendances. Dans la chaleur d’un Dakar festif, cette formation aux contours flous, selon les nécessités du moment, fusionna dans un afro-groove moderne et transnational, l’héritage wolof, la fascination pour le funk américain et une passion inassouvie pour les rythmes latins, surtout cubains. Loin des clichés, on ne remerciera jamais assez le petit et nouveau label Oriki de nous offrir cette splendide réédition.
DAM : « dedication » (Label : Red Circle)
Le Hip-hop n’en finit pas de nous surprendre par sa capacité à devenir le média des souffrances et des luttes, en dépit des travers qui le plombe chez nous. Dam (Da Arabian MC) est un groupe palestinien issu de la ville de Lod, à 30 km de Jérusalem. Le contexte primant, leurs textes, à l’instar d’ailleurs de la plupart des formations rap issues du monde arabe (par exemple d’Algérie), se révèlent avant tout et explicitement politiques- « G’areeb fi bladi » (« étranger dans mon propre pays »)-, même si les instrumentaux empruntent d’autre part largement à l’héritage musical traditionnel (Oud, etc..). Sur fond d’occupation, mais aussi des blocages de la société palestinienne, DAM s’exprime avidement dans ce premier album et représentera sûrement une des révélations de 2006, offrant au passage, dramatiquement, une leçon d’humilité à la scène française. Pour écouter un extrait de l’album : https://wp.muchomaas.com/…audio/Ngayer_Bukra_Change_Tomorrow.mp3
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