Ce que nous dit la victoire de Ségolène Royal

L’élection de Ségolène Royal comme candidate du PS à la présidentielle n’est pas due à une image virtuelle créée par les médias. C’est le résultat d’un aggiornamento politique et de la culture d’organisation du PS. Commentaire.

Après une participation exceptionnelle de 82 % (180 558 votants), Ségolène Royal a été investie candidate à la présidentielle par les militants socialistes à une large majorité (108 807 voix, soit 60,65 %) (1). Une telle réussite ne peut s’expliquer par le seul phénomène médiatique, par une séduction superficielle. Elle ne peut se comprendre qu’en poussant l’analyse. Cet effort est nécessaire pour celles et ceux qui veulent contester les choix politiques que Ségolène Royal et le PS porteront dans la prochaine campagne électorale. Au moins quatre raisons se sont combinées pour expliquer ce succès.

1 Un besoin irrépressible de renouveau. L’échec de la tentative de retour de Lionel Jospin trouve ici ses causes profondes. Cette femme relativement jeune qui n’a attaché son nom à aucun des combats structurants du XXe siècle : ni 1968 ni programme commun ; ni nationalisation, ni démocratisation de l’école, ni réduction du temps de travail : bénéficie d’un avantage qui s’est révélé supérieur à l’atout « compétence » dont pouvaient se prévaloir ses deux rivaux, anciens ministres de l’Economie. Comme si l’argument de l’expérience et de l’exercice passé de responsabilités entachait ceux qui s’en prévalent tant le bilan des vingt-cinq dernières années apparaît médiocre et peu engageant.

Les Français : et les militants politiques eux-mêmes : veulent voir émerger de nouvelles personnalités politiques, porteuses d’idées neuves, de mots nouveaux pour décrire le présent et ouvrir l’avenir. L’esprit iconoclaste de Ségolène Royale a séduit a priori. Elle peut tout remettre en cause : Mai 68, union de la gauche, 35 heures, carte scolaire, intervention de l’Etat. Le réveil pourrait être rude.

2 L’ardent désir de battre la droite et le spectre du 21 avril 2002 expliquent aussi ce succès. La candidature de Nicolas Sarkozy effraie et nul n’est disposé à se voir mis en devoir de voter Sarko pour barrer la route à Le Pen. Les militants ont choisi celle qui peut, à leurs yeux, le mieux battre Sarkozy. La montée dans les sondages du leader d’extrême droite a pesé dans la consultation interne. Cet argument va désormais jouer en faveur de la candidate socialiste dans la campagne nationale. La capacité de rassemblement face à la droite sera décisive. La désignation de Ségolène Royal, du fait même de sa popularité, n’élargit pas l’espace des antilibéraux ; elle impose au contraire à l’offre alternative un niveau d’attractivité très élevé.

3 Ségolène Royal a emporté la mise parce qu’elle développe un discours qui n’est pas de gribouille, malgré quelques couacs. Au contraire, il a une cohérence forte, alliage de libéralisme économique et de protection sociale universelle minimum ; de retour aux valeurs traditionnelles, à l’autorité et de nouvelle voie démocratique. Dans un décalque presque parfait, Ségolène Royal reprend la recette gagnante du blairisme. Elle prend acte de la panne de la social-démocratie et se tourne vers la troisième voie sociale-libérale.

Cette réponse est cohérente en ce sens qu’elle rassemble les ingrédients d’une certaine cohésion sociale nécessaire à tout système. Le libéralisme économique ne peut s’épanouir sans renforcer les règles de contrôle social : étatique, familiale, etc. : qui permettent d’étouffer la contestation et la révolte individuelle et collective. C’est vrai historiquement. C’est vrai aujourd’hui. Les libéraux-libertaires ne présentent pas cette cohérence. Tous ont échoué dans cette tentative d’allier libéralisme et esprit d’ouverture sur le terrain des mœurs et des libertés individuelles : d’Alain Madelin à Daniel Cohn-Bendit et dans une certaine mesure Dominique Strauss-Kahn. Ils ne peuvent pas convaincre avec, d’un côté, un programme libéral économiquement et des propositions avancées sur le terrain sociétal.

La force de Ségolène Royal et du discours porté par François Hollande est de prétendre offrir une réponse politique solide pour éviter le continuel désaveu de la gauche au pouvoir. La proposition politique de Ségolène Royal se veut gagnante pour 2007 et à plus long terme. Le premier secrétaire du PS ne cesse de le répéter : il veut une gauche qui gagne durablement. Là encore ils s’inspirent du discours blairiste : cet engagement de conserver le pouvoir avait permis à Tony Blair d’emporter le Labour Party en 1995. Promesse tenue. Pour la première fois de son histoire, le Labour est réélu non seulement une mais deux fois.

4 Enfin, cette mise à jour politique s’opère en cohérence avec une évolution profonde du parti et de ses méthodes. Certes, Ségolène Royal a bénéficié du soutien de l’essentiel de l’appareil du parti. Mais ce soutien ne lui a pas été accordé d’emblée. Il est, bien souvent, venu au secours de la victoire. Mieux, ce résultat ne serait pas arrivé si elle était apparue comme la candidate de l’appareil. Ségolène Royal, cela a été beaucoup dit, a été portée par les nouveaux adhérents qui introduisent une rupture avec la culture et l’histoire socialistes. François Hollande et Ségolène Royal apportent un certain type de réponse à la crise politique et démocratique qui se concrétise notamment par une défiance à l’égard des partis. Les adhésions express notamment via Internet, le forum permanent sur Internet pour définir le projet de l’association « Désir d’avenir » redéfinissent des formes d’engagement que l’on ne saurait simplement rabattre sur de la démocratie « d’opinion ». Cette évolution de la structure partidaire est si forte que l’on entend de plus en plus ses porte-parole parler du vieux parti et du nouveau parti socialiste (là encore comme Blair qui a su imposer les formules « Old Labour » et « New Labour »).

La victoire de Ségolène Royal est le résultat d’un aggiornamento politique et de la culture d’organisation du PS. On peut : on doit : en discuter les termes. Il ne saurait être négligé. Il donne la mesure de l’effort sur tous ces enjeux que la gauche d’alternative doit produire si elle entend disputer le terrain au PS. C.A.

(1)Dominique Strauss-Kahn obtient 37 118 voix, soit 20,69 % des suffrages,

et Laurent Fabius 33 487 voix, soit 18,66 % des suffrages.

Ile-de-France, un bémol dans la victoire

La victoire de Ségolène Royal est générale. Elle est sous la barre des 50 % dans seulement 10 fédérations sur 105 et n’est distancée que dans 3 départements : chaque fois par Laurent Fabius : Seine-Maritime, Haute-Corse et Mayotte. Cette victoire se vérifie partout, quel que soit le taux de renouvellement ou d’arrivée de nouveaux adhérents. Elle est particulièrement nette dans les départements populaires et en province. Singularité, la région parisienne (hors Seine-Saint-Denis), où les catégories socioprofessionnelles supérieures dominent, a davantage voté pour Dominique Strauss-Kahn : alors que l’écart entre Ségolène Royal et lui est de 40 % nationalement, il est ici réduit à 20 %. Tout de même !

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