Icône médiatique, bête noire des éléphants et en tête des sondages, Ségolène Royal tisse sa toile : son site Internet « Désir d’avenir » est pastel, bien fait et fédérateur. Mais très creux.
Comment Ségolène Royal a-t-elle pu se hisser en tête des sondages ? A quoi correspond cet emballement que les éléphants du PS prévoyaient de courte durée et qui aujourd’hui les affole tout à fait ? Les enquêtes d’opinion d’avant l’été font pourtant état d’une grosse fatigue, peu propice à l’enthousiasme politique. D’abord, la gauche et la droite sont renvoyées dos à dos. Pour 61 % des Français, plus de différence à signaler (1). Ce n’est qu’un sondage, peut-on objecter. Mais plus significatif, le baromètre du centre de recherche politique de Sciences Po (Cevipof), sorti au même moment, se base lui sur 6 000 questionnaires, et non sur 1 000. Selon cette analyse, les Français ne comptent pas sur les politiques pour régler leurs problèmes. Emploi, inégalités, hausse des prix arrivent d’ailleurs en tête des préoccupations, et non sécurité et immigration comme le veut le cliché. Dans ce marasme mâtiné d’indifférence, Nicolas Sarkozy et Ségolène Royal se distinguent nettement. Le président de l’UMP et la présidente de la région Poitou-Charentes incarnent, selon un sondage de l’IFOP, « la réforme ». Ici commence le mystère.
Certes, la mieux placée des socialistes pour la bataille présidentielle est une femme, ce qui en soi constitue une petite révolution, à gauche comme à droite. Une transformation pas encore vraiment digérée par ces élégants messieurs socialistes auteurs de tristes propos à l’égard de celle qui ne veut pas être seulement madame François Hollande. On se rappelle ceux de Jean-Luc Mélenchon, « la présidentielle n’est pas un concours de beauté », ou de Laurent Fabius, « qui va garder les enfants ? ». Les éléphants sont fatigués et ce mépris, dont les deux défenseurs du « non » à la Constitution n’ont pas le monopole, a de quoi irriter l’électeur. Un peu aidée par la politique ras-des-pâquerettes des indéboulonables du PS, la candidate à la candidature réussit ainsi le tour de force d’incarner la rupture. Ségolène, comme l’appelle une presse plutôt gagnée à sa cause, rompt avec le mandarinat, tout en ayant suivi le même chemin.
Ordre juste et égalité réelle
Car son pedigree est tout à fait classique : fille de colonel, lycée privé, science éco, Sciences Po, l’ENA. Son volontarisme « militaire » (c’est son terme) lui permettra d’être remarquée par Jacques Attali. Elle devient alors conseillère technique au secrétariat général de la présidence de la République en 1982. Quatre fois ministre (environnement, enseignement scolaire et deux fois à la famille), elle est aussi plusieurs fois élue députée. Dans les Deux-Sèvres, sa circonscription d’adoption, comme en Poitou-Charentes, prise à la droite en 2004, elle l’emporte contre toute attente. Le rôle d’outsider lui réussit.
Pour en savoir un peu plus sur le fond, on cherche des réponses sur son site, « Désir d’avenir ». Sur les traces de Nicolas Sarkozy, elle mise gros sur l’Internet. Mais là où l’UMP opte pour la méthode lourde, achat massif de mots clés et intrusion dans nos boîtes mails (voir Regards n°28), Segolène Royal choisit la douceur de la méthode participative.
Sa démarche politique évoque l’étude de marché. Le nom du site, Désir d’avenir (www.desirsdavenir.org), est aussi celui du bouquin qui devrait sortir en septembre. Consensuel ? La perspective est effectivement plus judicieuse qu’« objectif défraîchi » ou « envie de jauni ». A l’exception d’une poignée d’irréductibles punks adeptes du no future, le slogan devrait séduire sans réserve. Mais au-delà ? Le site se présente comme un audacieux bricolage, façon work in progress. La politique en train de se faire passe principalement par un forum et des newsletters auxquelles peuvent s’abonner les internautes. La lettre du 4 mai 2006 est un modèle du genre. « Ségolène Royal incarne aujourd’hui une espérance de changement. Bien au-delà des seuls militants et électeurs socialistes. Ordre juste, sécurité durable, égalité réelle, efficacité économique, démocratie participative, morale des comportements politiques… Ségolène Royal cristallise un désir d’avenir. » Que ceux qui sont pour désordre injuste lèvent le doigt. On aimerait croire à une outrance de communicant. Mais peu après, à Rodez, lors de la Fête de la rose, elle se prononce à nouveau et en live pour un « ordre juste » et ajoute même que cet ordre sera « solidaire ».
Egalement en ligne, le brouillon de son prochain livre. Un courage qui force tout de même l’admiration, tant le bricolage est flagrant. Le premier chapitre a déjà son titre : « Le désordre démocratique : premier diagnostic. » Pour le reste il ne s’agit encore que de prises de notes où se succèdent truismes et banalités.
Certains passages rappellent l’excellent agenda de campagne millésime 1995 de Jacques Chirac publié à la grande époque des Guignols de l’info. La marionnette qui s’ennuyait dans l’attente du fauteuil élyséen évoquait sans cesse ce « boulot de dans deux ans que j’ai ». Ségolène Royal, dans son carnet de campagne, se fend d’un définitif « à traiter d’urgence : le sentiment d’abandon et de lâchage de plus en plus général » ou encore « entendre l’appel et la demande de politique » On se pince devant certaines notes : « Ne pas oublier la sympathie des Français pour le mouvement de 1995 (grève par procuration) et même celui de janvier 2005 ». Dans son chapitre « comprendre », elle lance enfin de puissantes pistes explicatives : « La France ne s’ennuie pas : elle s’inquiète, doute, s’interroge, s’impatiente, s’exaspère et parfois ne se reconnaît plus, ne sachant plus ni d’où elle vient, ni où elle va et surtout n’y apercevant plus ni la grandeur ni le destin qu’elle pensait incarner. » Et de citer de Gaulle et Saint-Just.
Le talent de Ségolène Royal est de pouvoir tout dire et son contraire. Elle prépare même le terrain. La démarche est un peu vague, mais cela porte le nom de « diagnostic », comme chez le médecin, ça rassure. Résultat : les citoyens sont « paradoxaux » et la France « se cherche », écrit-elle. Le taquin ajouterait : « Ségolène aussi »…
Encadrement militaire
On tente de faire les comptes de ce qui pourrait constituer les bases d’un programme, mais on s’emmêle un peu les pinceaux. Dans un premier temps, elle vante la politique du premier ministre britannique Tony Blair : « Il a été caricaturé en France. Cela ne me gêne pas de dire que j’adhère à certaines de ses idées. » Dans la foulée, elle estime qu’une certaine flexibilité ne nuirait pas. Mais un peu plus tard, elle reprend ses billes dans les Echos, profitant de l’annonce de la fermeture d’une usine Peugeot en Grande-Bretagne : « L’absence de réaction (de Tony Blair, ndlr) fait peur. La parole politique doit être utilisée, elle peut être dissuasive et préventive. » Sur le libéralisme, elle ne veut pas d’une « chienlit laisser-fairiste » tout en disant qu’« il peut y avoir dans la libre concurrence des facteurs de progrès ». Avant de conclure par un énigmatique : « si elle est corrigée énergiquement dans ses effets pervers ». Un peu plus tard, elle dira qu’au mot « flexibilité » qui, décidément, à peine sorti de la crise du CPE, ne passe pas, elle préfère le terme de « souplesse ». Ainsi chacun peut faire son marché. Du côté des entreprises, il faudra peut-être aller vers un assouplissement des 35 heures de sa collègue Martine Aubry. En déplacement à Bondy début juin, elle a tout de même tenu à remonter les bretelles de ce père Fouettard de Sarkozy pointant « la faillite absolue » de ses méthodes. Radicalement en rupture, elle propose.. .
« un encadrement à dimension militaire ». Il faudrait aussi « retirer des collèges les gamins qui y font la loi et qui pourrissent la totalité d’un établissement scolaire », en d’autres termes, séparer « la racaille » des « bons jeunes ». On s’y perd, mais les socialistes doivent se rassurer : son projet sera « bien socialiste », pas comme Lionel Jospin (2), c’est elle qui l’a dit.
1. Enquête réalisée pour Dimanche Ouest France par l’IFOP les 18 et 19 mai.
2. En 2002, Lionel Jospin avait dit, en campagne, « mon projet n’est pas socialiste ».
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