Avouer que l’on regarde la chaîne parlementaire (LCP) va-t-il bientôt devenir aussi snob que de défendre Direct 8, la danseuse du groupe Bolloré, tout en « live », fournisseur attitré du bêtiser ?
Car parmi tous les ovnis thématiques qui hantent le câble et la TNT, LCP constitue une étrange exception, un îlot politique, un rien anachronique dans le fond et dans la forme. Aboutissement d’une histoire chaotique débutée en 1993 avec « Canal Assemblée nationale », elle a commencé à émettre le 21 mars 2000 sous la présidence d’Ivan Levaï. Elle reste, depuis, le secret le mieux gardé du PAF, partagé seulement par ceux qui la font, ceux qui y passent, et les aficionados qui la regardent les soirs d’insomnies (en alternance avec « jamais deux sans toi » sur TF6 ou Série Club). Une singularité car, par ailleurs, l’article 18 de la loi du 17 juillet 2001 fait obligation à tous les diffuseurs de proposer les programmes de la LCP et de son partenaire Public Sénat, avec laquelle elle diffuse les débats parlementaires.
Sa raison d’être s’avère des plus nobles dans un univers où « les cerveaux disponibles » sont devenus l’alpha et l’omega de la petite lucarne. Les discussions entre les élus au sein du cénacle étant en principe, depuis la Révolution française, accessibles à tous les citoyens, la télévision s’impose dorénavant comme incontournable, surtout à l’heure de la révolution numérique (on peut désormais visualiser la vie parlementaire depuis son ordi), du câble et du satellite. Bref « une mission de service public d’information et de formation du citoyen à la vie publique » installée dans un univers saturé d’offres de divertissement. Donc, comment redonner goût à nos concitoyens pour la vie politique par le truchement de la vie des institutions ? Posture aussi ingrate que pénible à exercer avec un cahier des charges très strict et un contrôle plutôt tatillon des instances de tutelle. Aux yeux de beaucoup, des plus réacs aux altermondialistes les plus puritains, l’outil télévisuel représente par essence l’ennemi du débat démocratique (à leur décharge, il suffit de regarder ce que réalisent en la matière les deux chaînes d’info continue, LCI et I-Télé, pour mesurer l’ampleur des dérives de l’exercice polémiste). Et le fonctionnement de nos deux assemblées s’apparente au parfait antidote à l’audimat.
Avec un budget de 7,6 millions d’euros (deux fois moins que pour NRJ12 qui fait déjà figure de parent pauvre), les salariés de la LCP ne sont pas véritablement aidés. Pourtant, l’effort est louable. Loin de se limiter à la retransmission des débats parlementaires, la chaîne offre un panel assez large d’émissions, afin d’égayer un peu la grille, en les confiant en outre à des journalistes confirmés tels que David Pujadas, et sa mensuelle « Le contrat », interview fleuve d’une figure politique sous la « critique » de Fadela Amara et Denis Tillinac. Ou encore « Impertinence », guidée par le regard amusé et blasé de Bruno Masure, avec une formule magique un rien surréaliste dans les locaux de la LCP : « Bousculer pour mieux informer ».
Reste à résoudre des problématiques fondamentales : se met-on devant la télé pour regarder des échanges abscons, parfois soporifiques, malgré un souci louabale d’éclaircissement, dans les travées de l’Assemblée ? Se cale-t-on dans son fauteil pour entendre des personnalités, certes passionnantes, développer sur dix minutes de monologue leur point de vue argumenté sur tel ou tel sujet de société ? Aussi peu intéressante qu’elle puisse être, et indispensable d’un point de vue de l’éthique civique, la faiblesse anecdotique de l’audience de LCP démontre le véritable usage populaire qui est fait de la télévision, y compris dans le registre politique. Qui a attendu la TNT pour s’initier aux joies d’un échange sur EDF-GDF au cœur du Palais-Bourbon ? Il reste à inventer une formule qui ne chercherait pas à dénaturer le debat démocratique en le soumettant au credo de la télé commerciale, mais qui éviterait également de trop mépriser les spécificités du petit écran, au risque de se priver de son immense pouvoir d’éveil et de sensibilisation, notamment dans les milieux populaires.
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