Valérie Brunel : « L’autonomie du salarié »

Penser son rapport à soi et aux autres : à l’ère de la flexibilité, « l’autonomie » du salarié devient le principal atout de l’entreprise.

Votre ouvrage fait le constat d’une inflation dans l’entreprise de ce que vous nommez des « pratiques de soi»?

Valérie Brunel. Les nouvelles logiques qui prévalent dans l’entreprise, comme le fonctionnement en réseau et par projet, l’individualisation du management ou encore l’extension de la notion de relation de service, demandent au salarié d’acquérir des qualités relationnelles, communicationnelles, personnelles. Donc à penser son rapport à lui-même et aux autres. C’est ce travail sur soi que j’appelle « pratiques de soi ».

Pourquoi ces nouvelles logiques ?

V.B. Face à un contexte économique vécu et pensé comme plus incertain et plus complexe, du fait de l’accroissement de la concurrence, de l’accélération des progrès technologiques, le modèle managérial actuel prescrit aux entreprises de s’adapter, de chercher à être plus flexibles et toujours plus innovantes. Pour répondre à ces nouveaux enjeux, il est parfois considéré que l’esprit humain va être le meilleur intégrateur de complexité. Dans ce cas, l’entreprise va chercher à s’appuyer sur l’initiative de ses salariés. Il sera attendu d’eux qu’ils sachent s’auto-prescrire l’action juste, cela dans un contexte souvent très contraint. C’est ce qu’il est convenu d’appeler « l’autonomie » du salarié.

Ce travail sur soi, c’est le coût de l’incertitude de l’environnement économique, payé par les salariés des entreprises ?

V.B. Le rapprochement est un peu rapide. Disons que dans une société où chacun doit construire sa place, l’incertitude de l’environnement économique, qui pèse sur les salariés comme sur les dirigeants, va pousser chacun à davantage réfléchir à ses compétences professionnelles et à ce qu’il souhaite ou peut faire dans sa vie professionnelle.

Quels sont les limites de cette conception des rapports au travail ?

V.B. Il faut se méfier de la tendance, issue du développement personnel, à regarder la relation entre deux individus au travail uniquement comme une relation entre deux personnalités. C’est aussi une relation professionnelle, structurée par un rapport au travail, des fonctions, rôles et statuts réciproques, des besoins de coordination, des stratégies. Une tendance exacerbée à la psychologisation des dispositifs de management, de développement des compétences ou du potentiel, qui négligerait totalement les conditions organisationnelles, donnerait sans doute des résultats très moyens tout en accroissant la charge psychique portée par l’individu.

Assiste-t-on à l’instauration d’une norme comportementale et psychologique, en deçà de laquelle il est compromis d’évoluer dans les entreprises ?

V.B. Ce que vous appelez « norme comportementale et psychologique » peut aussi être qualifié de code de conduite. Qu’il y ait des codes à respecter dans l’entreprise, c’est certain, et il y en a toujours eu, notamment pour les salariés au contact du client. Les nouvelles formes de management, qui mettent davantage en avant les capacités relationnelles du salarié, ont induit un changement des codes auquel il convient de s’adapter. Effectivement, un certain nombre de manières de se présenter et de communiquer sont jugées nécessaires, notamment pour les populations de managers : souplesse, assertivité, c’est-à-dire la capacité à s’affirmer sans aggressivité, l’écoute. Le code comportemental correspond assez bien à celui de l’individu « développé » tel que le décrivent certaines psychologies : une personnalité stable, souple, qui sait s’affirmer sans agresser et tout en faisant de la place à l’autre, qui fait attention à ses besoins et à ceux des autres…

Qui peut être tenu à l’écart ?

V.B. C’est une question tout à la fois sociologique et psychologique. Sociologique, car la capacité à percevoir les codes sociaux et à les adopter est assez largement liée à l’existence de ces codes dans le milieu d’appartenance de la personne. Psychologique, car ces codes comportementaux correspondent à une structuration particulièrement « saine et fonctionnelle » de l’individu face au monde. H.L.

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