Les Martin Luther de l’islam

Le féminisme musulmane peut-il avoir un apport au changement sociétal et à la démocratie ? Valentine Moghadam revient sur l’histoire et le rôle de ce mouvement.

Le terme « féminisme islamique » voit le jour dans les années 1990 à divers endroits du monde. Pourquoi cette époque, plutôt qu’une autre ?

Valentine Moghadam. Les mouvements pour les droits des femmes dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient sont nés dans les années 1970, alors qu’ils prenaient de l’ampleur en Occident et en Amérique latine. Dans les pays du tiers-monde, les discours pour les droits des femmes s’inscrivaient alors dans un contexte plus général de changement social et politique. La montée de l’islam fondamentaliste dans les années 1980 et 1990 marque un tournant : les mouvements féministes, islamiques ou pas, ont dû réagir face au durcissement de la condition des femmes. Puis, dans les années 1990, la multiplication des conférences internationales sur les droits des femmes a contribué à créer un agenda global sur ces questions et à structurer les mouvements féministes.

Quelles relations le féminisme islamique entretient-il avec le féminisme laïc ?

V.M. Cela dépend des pays. En Iran, où le féminisme islamique est issu du mouvement de l’islam politique, un gouffre les séparait, jusqu’à ce que, face à la radicalisation de l’islam politique, les féministes islamiques se rendent compte des limites de leur action et se rapprochent des féministes laïques. Dans d’autres pays, le féminisme islamique ne s’est jamais référé à l’islam politique, mais à un mouvement plus général pour les droits des femmes. Je pense à des personnes comme Fatema Mernissi qui a été parmi les premières féministes arabes à revisiter les sources pour revendiquer des droits pour les femmes. Elle reste cependant une exception dans le monde musulman : la plupart des féministes islamiques évoluent dans des pays démocratiques, aux Etats-Unis, au Canada, en Europe…

Les féministes islamiques évoquent un retour aux sources, mais y lisent-elles pour autant la même chose ?

V.M. A l’inverse de celles qui relient le Coran de façon littérale, les féministes islamiques (quelques hommes participent du mouvement aussi !) défient les dogmes et l’orthodoxie. Ils sont un peu les Martin Luther de l’islam contemporain. Ils insistent sur leur droit à l’ijtihad (l’examen indépendant des sources religieuses), à l’opposé de l’interprétation orthodoxe conventionnelle. De mon point de vue, ces personnes ont un rôle historique important à jouer au sein de l’islam.

Quels sont leurs liens au réformisme islamique ?

V.M. Ils en sont proches. Ce mouvement ressemble sur beaucoup de points au réformisme chrétien, dont l’histoire, marquée par la violence, a apporté beaucoup d’innovations au sein de la religion. Et au-delà, puisqu’il a conduit à des changements sociétales importants et à la démocratie. La situation de l’islam contemporain y ressemble : la violence terroriste se développe, mais il y a aussi des individus et des groupes qui posent des questions fondamentales sur leur religion. Certains groupes comme MuslimWake Up ! ont une interprétation très libérale et progressiste sur ce que veut dire être musulman, en défendant les droits des homosexuels tout comme les droits des femmes par exemple. Je pense aussi à des intellectuels musulmans, comme Abdelwahab Meddeb en France, qui participent d’un mouvement de réforme au sein de l’islam. Ils ont souvent passé dix ans à étudier l’arabe et le Coran, à se plonger dans des études religieuses. Il serait important aujourd’hui que la pensée de ces mouvements et ces individus soit mieux connue, notamment dans les pays européens comme la France, les Pays-Bas, l’Angleterre, l’Allemagne, qui rencontrent des problèmes avec leur population musulmane d’origine immigrée.

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