Féministes et musulmanes

Le féminisme musulman, un paradoxe ? Une réalité ? à l’heure où le mouvement féministe traditionnel perd du terrain, des féministes musulmanes s’affirment dans différents pays en s’appuyant sur une relecture de l’islam. Ce travail inaugure, peut-être, la promotion de valeurs communes entre la civilisation arabo-musulmane et celle occidentale.

Imaginez une femme, convertie à l’islam, portant un voile et dirigeant la prière du vendredi dans une mosquée, devant une assemblée mixte. Dans son prêche, elle rappellerait que le Coran considère les hommes et les femmes comme des êtres égaux, que la femme musulmane doit surmonter le conflit entre la cellule familiale et son autonomie propre, que la famille ne doit pas être tout pour elle et que les hommes et les femmes sont coresponsables de leur famille. Incroyable… mais vrai. Amina Wadud, professeure d’études islamiques à l’université du Commonwealth de Virginie, une des figures majeures du féminisme islamique, l’a fait à New York en 2005.

Musulmanes modernes, féministes islamiques, elles sont de plus en plus nombreuses, d’Iran au Nigeria, du Maroc au Canada… à vouloir montrer un autre visage des femmes musulmanes. Des femmes instruites, ni recluses, ni formatées dans le « modèle unique » de la femme occidentale « libérée » et athée. Autant dire que ces femmes mènent un combat difficile.

Prises entre deux feux, entre les fondamentalistes islamistes et ceux hostiles à l’islam, les féministes musulmanes prennent tout de même de la voix. Un premier colloque sur le féminisme musulman a été organisé à Barcelone en octobre 2005, pour débattre du besoin d’un islam libérateur, pluraliste, égalitaire et émancipateur. Les 18 et 19 septembre derniers, une conférence réunissant des militantes et des chercheuses venues du monde entier s’est tenue à Paris, à l’Unesco. En novembre 2006, La « Junta islamica Catalan » a organisé un second colloque à Barcelone…

Etre féministe et musulmane, qu’est-ce à dire aujourd’hui ? Valentine Moghadam, sociologue et organisatrice du récent colloque de l’Unesco, distingue féminisme musulman («muslim feminism ») et féminisme islamique («islamic feminism »). « Pour promouvoir les droits des femmes, le féminisme musulman se réfère autant aux conventions internationales qu’aux arguments religieux.Quant au féminisme islamique, il participe avant tout d’un débat théologique. C’est une pratique et un discours de réinterprétation de l’islam, proche du réformisme islamique »,Valentine résume Moghadam (cf interview).

 Ces féministes islamiques revisitent donc le Coran et l’histoire de l’islam pour défendre l’égalité des sexes et les droits des femmes. Selon les nouvelles penseuses de l’islam : des universitaires et des théologiennes, telles que la Marocaine Fatema Mernissi, l’Afro-Américaine Amina Wadud ou encore la Pakistanaise Riffat Hassan : c’est la lecture traditionnelle machiste du Coran et la mise à l’écart des femmes des espaces religieux, publiques et démocratiques qui a sacralisé l’idée de la supériorité de l’homme.

Relecture des sources

Pour appuyer leurs argumentations, ces féministes s’engagent activement dans l’ijtihad (l’examen indépendant des sources religieuses) en utilisant des méthodes et outils de la linguistique, de l’histoire, de l’analyse littéraire, de la sociologie, de l’anthropologie… Elles invitent à cesser de prendre le texte sacré au pied de la lettre et à le resituer dans son contexte historique.

« En dévoilant une histoire cachée et en relisant les sources textuelles, elles prouvent que les inégalités ancrées dans la loi islamique ne sont pas des manifestations de la volonté divine, mais bien des constructions humaines », soutient Ziba Mir-Hosseini, sociologue iranienne.

En suivant cette relecture, la polygamie, les répudiations, etc, n’ont plus aucune raison d’être, puisque ces droits ne leur ont pas été accordés par Dieu, mais par des juristes musulmans en des temps anciens.

C’est en s’appuyant sur ce genre d’arguments que les féministes musulmanes, militant en terre d’islam, sont arrivés à défendre le droit des femmes. La théologienne Amina Wadud s’est par exemple engagée avec l’association malaisienne Sisters in islam, fondée en 1988, pour obtenir une réforme du code de la famille et que la charia soit en harmonie avec le droit civil et constitutionnel du pays, et non l’inverse.

De la même façon, l’association nigériane Baobab for Women, créée en 1996, a été soutenue par des défenseurs des droits humains, des avocats et des féministes islamiques pour obtenir l’acquittement de deux musulmanes accusées d’adultère au nord du Nigeria et condamnées à mort par lapidation. 

Revendications diverses

Même s’il reste minoritaire au sein de l’islam, ce mouvement de féministes musulmanes et islamiques se propage à l’échelle mondiale aujourd’hui, grâce au web, la « galaxie islamique digitale » pour reprendre l’expression de Fatema Mernissi.

Peut-on pour autant décerner des revendications communes ? Probablement pas. Si toutes ces femmes musulmanes s’inspirent du texte sacré pour revendiquer une autre place au sein de la société et se défendre de l’interprétation patriarcale de l’islam, elles évoluent dans des pays extrêmement différents et les enjeux de leur lutte ne se ressemblent pas.

Dans les pays musulmans, il s’agit de faire évoluer la législation. Dans les sociétés occidentales, les féministes musulmanes suivent un autre chemin. Le retour aux textes sert aussi à combattre l’islamophobie. Cet enjeu identitaire n’est pas sans poser problème, notamment en France où il conduit parfois à un nouvel enfermement sur les textes interprétés de façon littérale, bien loin de l’ijtihad (examen indépendant des textes) revendiqué par le féminisme islamique ailleurs dans le monde. « Oublier que toute interprétation du texte provient toujours d’une expérience humaine, empêche d’admettre que la compréhension du Coran dépend toujours du contexte historique. Au lieu de cela, nous avons sacralisé notre histoire et notre compréhension de l’islam » regrette la sociologue Dounia Bouzar, auteure de Monsieur islam n’existe pas.

 

Nouveau dogmatisme ?

C’est cet écueil qu’auront à éviter les mouvements féministes musulmans en France : ne pas se figer dans un nouveau dogmatisme où la vérité, si féministe soit-elle, serait unique. L’exercice n’est pas facile : « Le débat public français nous pousse constamment dans cette contradiction en nous demandant «ce que dit l’islam»», fait remarquer la sociologue.

L’évolution du mouvement en France sera probablement déterminée par cette question de la relation aux textes. Se laissera-t-il enfermé dans un nouveau dogmatisme ? Déjà, la réflexion d’une Fatema Mernissi est réfutée par certaines, sous prétexte qu’elle n’est pas voilée, celle d’une Amina Wadud remise en cause parce qu’elle a dirigé la prière devant une assemblée mixte. La définition de ce qu’est une « vraie musulmane » (re) pointe déjà son nez…

Pour sortir de cette impasse, certains mouvements féministes que le « combat » sur le voile n’a pas totalement divisés proposent des voies en élaborant des projets passerelles. Elles refusent de céder à la division et réfléchissent ensemble, femmes croyantes ou athées, voilées ou non, sur ce qui demeure les questions essentielles pour les femmes aujourd’hui. « Nous sommes dans une démarche féministe, avec des musulmanes notamment, explique Monique Crinon du collectif féministe pour l’égalité (CFPE). Nous travaillons sur la question de l’avortement, la contraception, les rapports filles-garçons… Nous menons une réflexion sur l’essence du voile et aussi un travail de réappropriation de la mémoire des luttes dans les pays musulmans. »

Le féminisme musulman saura-t-il éviter une crispation identitaire pour relever le défi d’un combat ambitieux sur deux fronts ? A savoir lutter à la fois contre la radicalisation de l’islam et contre l’islamophobie de la société occidentale. Pour l’instant, rien ne permet de l’affirmer. Mais une chose est sûre : il a déjà permis de bousculer quelques certitudes.

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