Les images se multiplient et se répètent. Elle est « trop », trop mère, trop femme, trop souriante, trop image justement. Elle n’a pas assez, pas assez d’idées, pas assez d’expérience, pas assez de tête simplement. Elle est trop ou pas assez ; elle n’est pas égale. Le signe égalité est une chose difficile à percevoir ; il est utile en mathématiques, il est mieux pour comparer des chiffres, un égale un, que pour comparer un citoyen et une citoyenne, un candidat et une candidate. Ce qui est dénié à Ségolène Royal, à travers la ritournelle sexiste qui l’a accompagnée l’hiver dernier, c’est d’être l’égale de l’homme. L’homme abstrait de l’ère démocratique a, en face de lui, une fille (de militaire), une sœur, une mère, une épouse ; une mère surtout, débordante (« fouettarde », par exemple), et une femme avant tout, corps plutôt qu’esprit. L’homme émancipé descendant de la Révolution française trouve ainsi sur son chemin une fille supposée de l’Eglise, un corps de femme, et une tête sans cervelle. En une année de temps, j’ai suivi l’égrènement de tous les arguments qui avaient entouré la Révolution pour dénier aux femmes la citoyenneté au nom de leur incapacité à la raison. En 1800, si l’on accordait aux femmes un intellect, c’était pour l’opposer à la fonction utérine, c’était pour le limiter à faire « le bel esprit », l’esprit soucieux du paraître plutôt que de l’être. La dénonciation de l’opinion futile et de la bulle médiatique entourant un sourire de femme est en droite ligne de l’héritage. L’« eau de rose », parfum banal, l’emporte sur la rose au poing du militant socialiste.
La rivalité n’est pas à armes égales. Le signe égal est contesté. Une candidate n’égale pas un candidat. Cette candidate-là, ou toute candidate ? Personne ne voudra répondre à cette question. En attendant, c’est une image contre un programme, un visage contre un projet.
Vu de ma fenêtre, je n’en sais rien et je n’écris pas ce texte pour dire ma couleur de gauche. La chose que je vois est le déni d’une rivalité possible, d’une égalité de capacités. A quoi il est rétorqué que la candidate elle-même utilise des armes propres aux femmes, publicité, séduction, maternage, mission teinté de mysticisme. Match nul ?
Cependant, je fais exprès d’utiliser le signe de l’égalité, je persiste à rester sur ce terrain. Cela évite justement toute histoire de comparaisons fantasmées, différences naturalisées, différences entre hommes et femmes, en politique ou ailleurs.
Cela permet alors de porter l’attention sur le phénomène historique : une femme a transgressé la règle non écrite du pouvoir masculin. Cette règle suppose que le pouvoir est une affaire d’hommes. Ici, il ne m’intéresse pas d’analyser ce pouvoir, ses fondements, ses mécanismes ; il me semble que la nouveauté est dans le geste de transgression. Une femme décide de s’autoriser d’elle-même à être candidate à la fonction suprême. Radicale nouveauté au regard de l’histoire : il y eut la longue marche d’accès à la citoyenneté (un siècle d’écart entre le droit de vote des hommes et celui des femmes), il y eut la distinction entre le fait d’être nommée au gouvernement par un chef (les premières en 1936) et celui d’être élues représentantes de la nation (en 1945). Et puis il y a le pas suivant : en 2006, une femme n’attend pas d’être nommée, ni d’être élue ; cette femme a déjà été ministre et députée, membre d’un gouvernement, et membre de la représentation nationale. Elle sait évidemment que ces fonctions sont encore contestées par le sexe masculin. Elle sait qu’aucune autorité ne peut l’introniser. Reste à s’autoriser de soi-même, ce qu’elle fait. Elle n’a pas le choix : elle « prend son droit », convaincue que personne ne le lui donnera.
Deux interprétations sont alors possibles : elle se voit en Jeanne d’Arc, avec le cortège d’images qui accompagne cette héroïne au gré des siècles passés ; ou elle pratique le signe égal, et ce moment politique mérite d’être mis en perspective historique. A voir…
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