Les blogueurs politiques s’incrustent

La blogosphère est une puissante et incontrôlable force médiatique en cours de construction. Les candidats ne peuvent l’ignorer et s’en rapprochent maladroitement tandis que les blogueurs se découvrent un pouvoir balbutiant. Jusqu’à la présidentielle, ils se rencontrent tous les mois dans un bar parisien. Reportage

En campagne électorale, bistrots et marchés sont des lieux très fréquentés du candidat en quête soudaine de proximité. Nouveau lieu de sociabilité, le blog, totalement absent en 2002, sera pour 2007 un incontournable acteur, une inestimable passerelle entre le peuple et ses représentants. Chaque présidentiable (ou presque) a le sien. Rares sont ceux qui ont le temps de l’animer en personne mais chacun prétend le faire. En face, la blogosphère, soit des millions de blogs tenus par autant de citoyens. Parmi eux, les blogueurs politiques occupent une place prépondérante dans le ciboulot des staffs de campagne. Pour preuve, les universités d’été des partis ont accrédité cette année des blogueurs. Une première ! On les courtise et on s’en méfie, dans le doute. Car avoir une prise sur cette masse impalpable, immatérielle et mouvante, se révèle plus compliqué que de tendre une main chaleureuse sur les marchés aux légumes.

La république des blogs

Chaque dernier mercredi du mois « jusqu’en 2007 », on peut enfin mettre des visages sur une partie de ces zones d’activité politique. « La République des blogs » est une rencontre créée par le blogueur Versac : qui le souhaite peut échanger avec ces blogueurs. Rendez-vous était donc pris au Pavillon Baltard, un bar chic et cosy des Halles, au centre de Paris. Costard pour presque tous, ambiance « beautiful people » et femmes presque absentes. Dans le microcosme parisien réuni ce soir, on s’appelle par son prénom, on se tutoie.

D’ailleurs voilà François (Bayrou) qui entre. Une journaliste de France Info saute sur le numéro 1 de l’UDF et lui demande comment il a atterri là . Il aurait été invité le matin même par Thierry Crouzet, un blogueur qui théorise volontiers sur le phénomène des blogs. La marotte actuelle de cet ingénieur est d’annoncer l’émergence d’un cinquième pouvoir, celui des « connecteurs ». Dans la centaine de personnes présentes, nous retrouvons Thierry. Il n’est d’aucun parti, « oh la, certainement pas », mais parle avec tous, pour les besoins d’un livre effectivement en préparation, Le Cinquième pouvoir. « Bayrou a compris l’essence du marketing viral, explique-t-il. Il sait qu’en venant, nous allons parler de lui, que son geste va être interprété sans fin. Et chaque billet dans les blogs, positif ou négatif, sera une graine qui ne demandera qu’à devenir un arbre. Plutôt que de s’imposer à tous les Français par le haut, une possibilité unique se présente dans l’histoire de s’imposer par le bas. » Voilà, simplement expliqué, pourquoi les candidats doivent draguer les blogueurs. Effectivement, le lendemain, sur internet, la présence de Bayrou est relayée sans fin. En une soirée, l’un des seuls présidentiable qui ne possède pas de blog (avec Arlette Laguiller) devient le centre de la blogosphère politique. Il faut dire que le Béarnais a mis les bouchées doubles pour séduire et devenir le buzz de la semaine. Quand, bière à la main, trois ou quatre blogueurs le testent gentiment, il conquiert son petit auditoire en trois phrases. « Dans un contexte de concentration des pouvoirs notamment médiatiques aux mains de quelques-uns, les blogs peuvent jouer un vrai rôle. » « Les blogs prouvent que certaines activités échappent à la sphère marchande » Admiration dans l’assistance qui se reconnaît dans l’auto-diffusion, la mutualisation et l’autonomie. « Je suis épaté par le logiciel libre et les wiki », termine la star du jour. Le coup de grâce, François connaît même les termes techniques. Pendant deux heures, il sera comme un poisson dans l’eau. A l’issue de la rencontre, il s’engouffrera dans sa voiture avec des blogueurs pour poursuivre la discussion. Peut-être ceux-là termineront-ils webmaster de Bayrou en campagne. C’est un principe cher à l’Internet, quelques hackers finissent toujours par travailler pour Microsoft.

L’influenceur

Chaque histoire a sa mythologie. Dans celle de la blogosphère politique, on recroise toujours Etienne Chouard, blogueur inconnu ayant subitement incarné un contre-pouvoir citoyen aux médias massivement acquis au « oui », lors du référendum sur le traité constitutionnel. « Le référendum a été le déclencheur massif de la conscience que la blogosphère peut influencer l’opinion, explique le blogueur Laurent Soulat. On vu alors que des choses très riches ou complexes échappent aux médias, volontairement ou pas. Aujourd’hui, les blogueurs tentent effectivement d’influencer, de peser. Dans cette mesure, les blogs vont avoir un rôle lors de la présidentielle, peut-être même créer la surprise. » De quel côté ? « Le blogueur est plutôt contestataire », élude-t-il. Entre les tables, on croise le porte-parole d’alternative libérale discutant avec un altermondialiste, des jeunes socialistes, des blogueurs déjà en campagne pour Sarkozy… L’essentiel est d’être un « influenceur », cette aristocratie de la blogosphère qui jouit d’un lectorat important, mille visites par jour pour certains, ce qui les hisse au rang de prescripteur de vote. Leur choix sera écouté et relayé.

Mais ils sont aussi nombreux, ces commentateurs quotidiens de la chose politique, à ne pas souhaiter afficher la couleur, jouissant à l’avance du rôle d’invité mystère et de trublion de campagne. « J’ai essayé d’expliquer à quelques journalistes qu’il se passe effectivement pas mal de choses en politique sur les blogs, explique le blogueur Casabaldi. Mais souvent, il ne s’agit pas de «droite» ou de «gauche» dans nos débats. Les gens débattent plutôt d’idées que de candidats, du monde que de la France, de projets que de partis. La campagne présidentielle française est plutôt un arrière-plan. »

Homogénéité sociale

Dominique (Voynet) fait une apparition remarquée. Comme son collègue de l’UDF, elle est assaillie par des blogueurs avides d’un entretien à mettre le lendemain en ligne, signe aussi que « l’arrière-plan » passionne quand même. La moindre image sera exploitée. On la capture avec un téléphone portable, une mini-caméra, un Palm… La députée verte est blogueuse depuis le début de l’année, ce qui lui confère une petite avance sur ses camarades. « Je suis passé du site au blog pour gagner en réactivité, explique-t-elle. Or, si l’on veut vraiment bénéficier de cette inter activité, il faut y consacrer beaucoup d’énergie et c’est autant de temps qu’on ne passe pas à la rencontre des citoyens. » Elle lance un regard amusé sur la faune du Pavillon Baltard : « Le blogueur est un mâle parisien, plutôt aisé, de 35 ans. Même si les blogs peuvent constituer un renouveau pour le débat politique, cette homogénéité sociale pose quand même question. »

Autre point commun entre beaucoup d’entre eux, la haine des journalistes. Ces déçus de la presse : « dépossédé des médias », nous dira l’un d’eux : n’avaient plus qu’à créer leur propre support. Mais cette défiance est doublée d’une irrépressible attirance. En témoigne l’intérêt soudain porté au patron d’Europe 1, Jean-Pierre Elkabach. « Personne ne sait trop s’il faut nous prendre au sérieux, mais tout le monde vient nous voir », se réjouit Thierry Crouzet en le voyant.

Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *