Liberté chérie

L’autre jour, à ma banque, j’étais dans le sas de sécurité, en attendant que l’employé derrière son guichet veuille bien m’ouvrir. C’est un moment de grande solitude, que chacun connaît, éprouve. Il vaut mieux ne pas y penser. Je sonnais donc pour signaler ma présence, et rien. J’étais nié. Enfin, quand il m’octroya le passage, l’employé me dit qu’il ne m’avait pas ouvert car « je ne fixais pas la caméra de surveillance ». « Et dans ces cas-là, je n’ouvre pas », m’apprit-il. Que se serait-il passé s’il ne m’avait pas ouvert ? Je n’osais lui conseiller de changer de métier. La banque, quand même, c’est la confiance, comme ils disent tout le temps.

J’ai beau écouter, lire, je n’ai encore entendu aucun candidat, déclaré ou non, à l’élection présidentielle, disposant ou non de son portefeuille de 500 signatures, ces fameux assignats, ou simple candidat à une candidature, dont le programme fût celui d’une société plus libre, même au prix (puisque, après tout, la liberté a un prix) d’un peu moins de sécurité. Je n’ai jamais entendu un candidat dire que ce trop-plein de sécurité, partout, partout, partout, non seulement pouvait à terme produire une sensation d’étouffement mais, qui plus est, rendait toute vie sociale de qualité, c’est-à-dire fondée sur la confiance, de moins en moins évidente, sinon de plus en plus impossible.

Mais tous les candidats à l’Elysée vous le diront : plus de liberté individuelle et collective n’est pas un thème porteur de campagne. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder les sondages. Quelles sont les priorités des Français ? Le chômage, la violence en milieu urbain et périurbain… Cette année, le pays aux 1 000 fromages est ainsi devenu celui aux 10 000 viols par an. En matière de sécurité, il y a encore des progrès à faire de ce côté-là. Heureusement, le nombre de morts sur les routes a diminué pour revenir dans une bonne moyenne européenne. Mais tout n’est pas rose : il y a le problème des permis à points, un problème qui ne touche pas également les riches et les pauvres, même s’il les emmerde de la même manière. Bientôt, si ça se trouve, on vendra les points de son permis, comme les entreprises vendent déjà entre elles des droits à polluer, créant ainsi un vrai bizness de l’antipollution. Mais comment dire ? Un type comme Al Gore vous l’expliquerait mieux que moi : l’écologie et la sécurité sont à ce prix.

Le problème, c’est peut-être que les hommes et femmes politiques ont toujours moins lutté pour la sécurité que contre l’insécurité. Qu’ils en ont fait l’objet d’une lutte, et non d’une éducation, et qu’ils n’ont jamais vraiment voulu répondre en conscience à la question : peut-on apprendre à conduire vite et bien, et cela est-il plus dangereux que de conduire mal et lentement ? Autrement dit, qu’ils n’ont jamais eu confiance en l’autre ; pas tant, du moins, qu’il ne leur aura montré, comme à mon banquier, son meilleur profil dans la caméra de surveillance. Elles se multiplient partout. La prison panoptique parfaite, celle qui a beaucoup fait fantasmer le grand philosophe des libertés Michel Foucault, est en train de se mettre en place à l’échelle des sociétés. On apprend qu’un Anglais est filmé en moyenne six fois par jour dans sa vie quotidienne par des caméras de surveillance. Mais sujet pour philosophe (1) que ce conflit entre liberté et sécurité ! Sujet pour littéraire ! Apre sujet…

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