La représentation

La spectacularisation ou la « pipolisation », comme dirait le journal Le Monde, de la vie politique française est enfin arrivée chez nous. Elle était déjà normative dans bon nombre de démocraties avancées, comme on dit pour se faire plaisir. Aujourd’hui, par exemple, les fesses d’Angela Merckel valent aussi cher que celles d’un top model, et Tony Blair peut se vanter dans les tabloïds de ses performances sexuelles avec Cheri (jusqu’à cinq fois dans la nuit, à titre de programme). Car, en guise de parité, la virilité se vend aussi bien que la féminité, pour peu, évidemment, qu’on en ait.

L’élection présidentielle française de 2007 a ainsi pour principal but de démontrer au reste du monde, légèrement inquiet par les incompréhensibles soubresauts de notre pays ces derniers temps, surtout le « non » à la Constitution, que la France est bien devenue à son tour, en traînant des savates, en faisant claquer ses bretelles, une démocratie moderne comme les autres. C’est-à-dire une démocratie simplifiée à l’extrême. Diluée, coulée dans le bipartisme, gouvernée de la sorte à rênes abattues par le Marché global, et représentée par des hommes politiques tout au plus quinquagénaires, ou mieux des femmes politiques tout au plus quinquagénaires qui, ayant fait une bonne fois pour toute allégeance aux Etats-Unis, n’auront plus à s’occuper de leurs pénates qu’en termes de fiscalité, de sécurité et d’obésité (« mangez des pommes », à titre de programme).

Les femmes et les hommes politiques français ont-ils voulu devenir des stars ou y ont-ils été contraints par le système médiatique ? Bonne question… Le système médiatique, c’est-à-dire, à force de concentration dans le secteur, le système du Marché, c’est-à-dire des grands patrons, ceux du CAC 40 : les Lagardère, Bolloré, Rothschild, Dassault, etc., peinant eux-mêmes à devenir des stars malgré leurs indépassables, moyenâgeuses fortunes, mais comptant bien sur leurs journaux gratuits, leurs radios, leurs chaînes de télévision pour sortir de l’ombre et devenir bientôt à leur tour des étoiles pour papier glacé.

On sait que la pipolisation, forme basse de l’idolâtrie, consiste à noyauter l’idéal démocratique d’égalité de tous entre tous, par une aristocratie de nom, en apparence fondée sur le mérite, mais un mérite qui prend vite des allures de traits héréditaires (le phénomène des fils et filles de). Seule la pipolisation permet de fonder des lignées « démocratiques » ou plus exactement issues de la démocratie. Les hommes et femmes politiques ont donc, pour commencer, côtoyé les stars dans des émissions de télévision qui les mélangeaient savamment. Puis ils les ont invitées dans leurs meetings, obtenant ainsi, par capillarité, leur propre galon de star. C’est la méthode Sarkozy. Je suis une star, ne cesse-t-il de dire, en vendant ses amours rafraîchis comme il vend sa rupture défraîchie. Et les médias suivent, pour faire oublier qu’ils ont précédé le phénomène.

Alors que nous vivons sous un régime où le droit à l’image des plus forts est aussi protégé que ne l’est pas celui des plus faibles, on peut s’étonner de voir ces temps-ci l’image d’hommes et de femmes politiques utilisées à des fins publicitaires. Une campagne pour Europe 1 montrait récemment François Bayrou, Nicolas Sarkozy, Ségolène Royal et Jack Lang déguisés en rappers. Comment ont-ils pu accepter ? Ont-ils donné leur autorisation ? A cause de l’une de ses sorties à l’université d’été de La Rochelle (« Je préfère dire : voici mon programme, plutôt que mon programme, c’est Voici ») Laurent Fabius se retrouve à faire de la publicité pour le magazine Voici. Image éclaboussée, à son corps défendant. Comment a-t-il pu accepter ? Il est vrai qu’il y a quelques années déjà, on avait vu Fabius au cul des bus faire la publicité d’un quotidien économique aux opinions clairement libérales. Mais, candide sans doute, on s’étonne quand même. Alors que le moindre chanteur peut interdire qu’on diffuse sa chanson en ouverture d’un meeting politique dont les opinions ne lui conviennent pas, un homme ou une femme (pfff) politique n’auraient pas le droit de refuser de faire vendre de la marchandise ? Touchent-ils donc des royalties, qui financeront ensuite leur campagne, pour ces fins publicitaires ?

On aimerait en tout cas en savoir beaucoup plus sur les processus par lesquels, dans nos démocraties de plus en plus représentées au fur et à mesure qu’elles deviennent de moins en moins représentatives, les hommes ou les femmes (pff) politiques, vendent leurs images, c’est-à-dire leur représentation.

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