Le dilemme du PCF. Entre identité et rassemblement ?

Fin mars, le PCF tient son congrès, un an avant le début d’une périlleuse séquence électorale. Pour les communistes, l’élection n’est pas l’alpha et l’oméga de l’action. Mais nul ne peut l’ignorer.

Le précédent congrès du PCF s’était tenu en avril 2003, quelques mois à peine après la déroute électorale de la présidentielle 2002. Le 33e congrès se tiendra en pleine « révolution conservatrice » et après une autre séquence électorale originale, celle de 2004-2005. Elle aura vu se tester à peu près toutes les configurations. Aux régionales de 2004, la plupart des directions locales ont choisi de reconduire l’alliance avec le parti socialiste, qui avait été inaugurée en 1998. Mais dans le Nord-Pas-de-Calais et en Picardie, le PCF a décidé de faire cavalier seul, et en Ile-de-France a été tentée l’expérience d’une liste « alternative et citoyenne » regroupant le PCF et quelques petites formations à la gauche du PS. Si la tactique de la gauche plurielle a permis au parti communiste de faire, comme en 1998, son plein d’élus régionaux, l’attention s’est surtout portée sur les autres tentatives qui ont, toutes, vu le PCF amorcer une remontée, timide mais certaine, après sa déconvenue de 2002. Aux européennes qui suivirent, la direction n’est toutefois pas parvenue à faire partager la démarche du « rassemblement antilibéral », si ce n’est en Ile-de-France, où une configuration analogue à celle des régionales a permis au PCF de passer le cap des 5% et d’élire ainsi, avec Francis Wurtz, l’un de ses deux députés européens de métropole.

Mais pour les communistes, l’expérience la plus marquante aura été celle du référendum sur la Constitution européenne. Quand s’amorcent les premières initiatives de regroupement des « non », à l’automne de 2004, le PCF y participe mais sans enthousiasme. Or, la dynamique unitaire de la campagne référendaire a emporté les militants communistes… Les organisations du parti ont mis leur ferveur et leurs moyens au service du combat commun. Des milliers de communistes ont fait l’expérience de réunions , où ils côtoyèrent militants d’extrême gauche et militants associatifs rassemblés dans la même détestation du libéralisme dominant. Le 29 mai, le PCF pouvait exulter: il était enfin dans le camp des vainqueurs, tandis que le parti socialiste avalait la potion amère de son choix en faveur du « oui ».

Dès le soir de la victoire, les regards se sont portés, sans surprise, vers les échéances à venir de 2007 : présidentielle et législatives : et 2008 : municipales, cantonales et sénatoriales. Elles seront bien sûr cardinales pour le PCF. Le maigre score présidentiel de 2002 (3,4%) est-il révisable à la hausse en 2007 et, plus encore, le PCF parviendra-t-il en 2008 à enrayer l’érosion continue de ses bases locales ? A la limite, les scrutins cantonal et municipal vont s’avérer plus stratégiques pour les communistes que le redoutable scrutin présidentiel… Enracinement identitaire

Trois grandes hypothèses sont plus ou moins formalisées. Certains considèrent, à l’instar du député communiste du Rhône, André Gerin, que le score « naturel » du PCF continue de se situer dans les eaux des années d’après-guerre (autour de 20%). Si les communistes ont reculé, c’est bien sûr parce que l’effondrement de l’URSS les a pénalisés. C’est surtout, disent- ils, parce qu’ils ont renoncé à affirmer une identité communiste qui est pourtant la seule manière de relancer la dynamique du vote populaire, en reflux continu depuis plus de vingt ans. L’exigence d’un nouvel enracinement identitaire séduit une part non négligeable de l’appareil et des militants, notamment dans le Nord et le Midi méditerranéen. Dans la première phase préparatoire du Congrès, elle s’est exprimée dans le vote de textes alternatifs à ceux de la direction sortante, qui ont recueilli environ un quart des voix des cotisants (1). De façon plus atténuée, elle se retrouve dans les propositions formulées par Yves Dimicoli et Nicolas Marchand, qui ont exprimé le souhait que le PCF énonce dès le congrès sa volonté de présenter des candidats communistes à toutes les élections de 2007 et 2008.

Pôle « réaliste »

D’autres expriment ouvertement leurs doutes sur la pertinence d’une logique politique définie par la référence à l’antilibéralisme. Ils redoutent à la fois la dérive exclusivement protestataire que peut stimuler l’ancrage négatif de « l’anti » et la perspective d’un rassemblement étroit, renonçant à la perspective des rassemblements majoritaires de toute la gauche. Pour eux, tout ce qui raccroche peu ou prou le communisme à un « pôle de radicalité » est à proscrire absolument. Au fond, suggèrent-ils, l’essentiel à gauche continue de se jouer dans le face-à-face du PCF et du PS. Dans l’immédiat, l’hégémonie socialiste étant difficilement contestable, le réalisme oblige à alterner les phases d’alliance électorale avec le PS, lors des élections de liste (régionales et municipales), et les moments d’affirmation identitaire, notamment à l’élection présidentielle où il semble convenu, depuis quelques décennies, que chaque force doit concourir au premier tour sous son propre drapeau. Les tenants de cette sensibilité, qui a poussé au choix de listes de type « gauche plurielle » aux régionales de 2004 et que Robert Hue lui-même a exprimée à plusieurs reprises depuis 2002, se retrouvent notamment dans le Languedoc-Roussillon, l’Ouest et le Centre.

La base commune

La majorité (la direction) énonce une autre logique politique. Elle conserve la visée communiste, traditionnelle depuis 1934, d’un rassemblement potentiellement victorieux qui englobe de ce fait la totalité de la gauche, ce qui inclut le parti socialiste. Mais cette affirmation est aussitôt complétée par l’idée que ce rassemblement, comme ce fut le cas en 1935-1936, en 1945 ou en 1972, doit se faire sur des contenus transformateurs forts. Or, la rupture qu’introduisit en 1981 l’hégémonie socialiste, renforcée par le tournant gestionnaire de la « rigueur » à partir de 1983, voue la gauche à l’esprit d’adaptation. Impossible donc, pense aujourd’hui la majorité du groupe dirigeant, de séparer la définition de contenus transformateurs et la recherche de configurations politiques et électorales qui permettent à la gauche d’alternative d’occuper une place prépondérante dans les cultures politiques de la gauche française. Convergence antilibérale et ancrage solide à gauche sont ainsi deux faces inséparables d’une même exigence. La direction sortante a donc décidé de placer le congrès sous le signe d’un triptyque : les forces antilibérales ne peuvent pas se disperser ; pour cela elles doivent se rassembler pour débattre de propositions, de démarche politique et de candidatures de rassemblement ; une candidature communiste à la présidentielle pourrait être, non un préalable, mais un atout pour ce rassemblement.

La direction communiste a pour l’instant gagné la première manche. Près des deux tiers des militants qui se sont exprimés ont adopté la « base commune » texte préparatoire du congrès. Reste à en tirer les conséquences politiques. A priori, le congrès ne devrait pas décider d’une candidature et devrait réitérer en revanche « son offre politique » d’une candidature communiste de rassemblement. Le PCF ne renonce donc pas à l’espoir de jouer au premier tour de la présidentielle un rôle de catalyseur du courant antilibéral qui traverse la société. En cela, il escompte sur la demande pressante qui s’exprime dans la myriade des collectifs qui avaient animé la campagne référendaire du « non ». Mais les forces électorales centrifuges sont au moins aussi importantes que les forces centripètes. Dans le PCF, tout le monde n’est pas prêt à consentir à traduire en accords électoraux l’hypothèse d’un accord sur les contenus. Du côté de l’extrême gauche, outre les vieilles préventions contre les « staliniens », la méfiance à l’égard des partenaires de feu la « gauche plurielle » nourrit la tentation du vote « révolutionnaire » séparé. Quant aux difficultés des relations entre acteurs associatifs et politiques, elles ne sont pas un vieux souvenir.

En bref, rien ne dit que l’appétit du « tous ensemble » finira par l’emporter dans l’arène électorale. Mais il ne sera pas indifférent de noter les gestes que le PCF saura faire pour rendre possible cette convergence. Même affaibli, son poids politique est tel que son attitude pèsera sur l’ensemble du champ de la gauche la plus déterminée.

/1. Depuis 2001, les statuts du PCF prévoient une procédure en deux temps. Les adhérents doivent d’abord choisir la « base commune » autour de laquelle discutera le congrès. Dans cette première phase, des bases alternatives peuvent être proposées, en dehors du texte adopté par la direction sortante. Une fois choisie la « base commune », le processus classique d’amendements et de votes se déroule, sans qu’il soit alors possible de présenter des textes alternatifs globaux. Le PCF entend ainsi éviter officiellement la cristallisation des « tendances » qui continuent ainsi d’être vigoureusement récusées par le collectif communiste./

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