L’interview des lecteurs : Gilles Lemaire

Suite aux fauchages volontaires d’OGM, la répression s’intensifie. Condamnés à payer 300 000 euros, les faucheurs José Bové, Noël Mamère et Gilles Lemaire (à côté d’autres, moins médiatiques) risquent la saisie sur leurs biens. Gilles Lemaire répond à nos lecteurs. On comprend que la désobéissance civique et le besoin de lois ne sont pas incompatibles. Politique et associatif, Europe, agriculture, épisode Clemenceau, institutions et démocratie : les opinions d’un antilibéral convaincu.

Renaud Tahon.** Je suis surpris que le recours à la désobéissance civique se soit imposé si naturellement face a la problématique des OGM. Je ne souhaiterais pas que tout le monde en use spontanément. Je n’aimerais pas que certains partis, par exemple, y aient recours – même si ceux auxquels je pense sont plutôt partisans de l’ordre. D’autre part, n’y a-t-il pas un risque de provoquer un sentiment d’injustice pour ceux qui, par « nécessité », commettent des actes illégaux, et se voient condamnés, je pense notamment aux événements en banlieue de l’automne dernier ? **Gilles Lemaire. C’est une question très intéressante. La désobéissance civique doit répondre à des critères bien précis. D’abord, on ne doit pas pouvoir faire autrement. C’était le cas pour les fauchages volontaires. Si on ne faisait rien, les cultures d’OGM en plein champ allaient continuer. Nous avions d’abord demandé une commission d’enquête parlementaire. On ne nous a octroyé qu’une mission d’enquête, processus qui dispose de bien moins de moyens d’investigation. Rédigée par un député socialiste, cette mission demandait pourtant un moratoire. Mais ce document est resté lettre morte. De son côté, la Cour européenne de justice a envoyé à plusieurs reprises des avertissements à la France. Sans résultat. Il fallait donc agir. Deuxième critère, ces actions doivent être non violentes. Enfin, assumer ses actes est le troisième et indispensable critère de la désobéissance. Nous avons totalement respecté ces trois aspects. Enfin, le fond est primordial. Il faut avoir le sentiment d’être dans son bon droit. D’ailleurs, l’Histoire a montré que la désobéissance peut créer du droit.

Mary-Pierre Lenoir. Effectivement, sur le droit à l’avortement, le manifeste des « 343 salopes », des femmes revendiquant avoir eu recours à l’avortement, a été décisif. Ça a été la même chose pour les déserteurs qui ont obtenu le statut d’objecteur de conscience. Plus récemment, on peut citer les anti-pubs, dont l’action est illégale mais qui ont fait avancer le débat sur la présence publicitaire et la surconsommation.

Gilles Lemaire. Absolument, d’ailleurs Gisèle Halimi, qui avait plaidé la cause des femmes au fameux procès de Bobigny, est venu témoigner à notre procès au tribunal de Toulouse sur la question de la désobéissance civique. Parfois la légitimité n’est pas du côté de la légalité. La loi n’est pas immuable mais elle reflète l’état d’une société, l’avancée de sa réflexion et de son organisation. Elle acte ce qui fait consensus. Or, une société n’avance pas par ce qui fait consensus. Parfois une minorité tire la sonnette d’alarme et interroge le fonctionnement de la société. Ce sont ces voix-là, souvent minoritaires, qui font avancer les choses.

Erwan Carof. Le plus important, historiquement, c’est le droit de grève. A la base, la grève est l’essence de l’acte de désobéissance vis-à-vis du patronat et accessoirement vis-à-vis de l’Etat. C’était vu comme une abomination à la fin du XIXe siècle et c’est un droit fondamental aujourd’hui.

Lola Michel. Au-delà de l’action et de la désobéissance civique, comment fait-on concrètement pour diminuer le pouvoir des promoteurs des OGM ? Gilles Lemaire. La loi est centrale. Il faut construire du collectif politique et construire du droit. C’est difficile, parce que l’internationalisation des enjeux peut rendre les pouvoirs politiques des Etats peu efficaces au regard des multinationales. J’ai voté «non» au référendum sur la Constitution européenne et je suis persuadé qu’il faut faire de la politique au niveau européen, ce qui montre encore une fois que le «non» antilibéral n’est pas un «non» de repli sur soi. Je suis pour une Europe fédérale. Je suis également favorable à l’existence d’une Organisation mondiale du commerce, mais pas telle qu’elle fonctionne actuellement. Je suis favorable à ces instances internationales dès lors qu’elles peuvent avoir un véritable pouvoir de régulation. La loi est centrale parce qu’une entreprise cherche toujours le profit maximum. L’environnement n’est pas dans ses préoccupations. Il faut lui imposer par la loi le respect de certaines normes environnementales. C’est le même principe que pour le droit du travail. Il n’y a pas assez d’inspecteurs du travail. Donc, je préconise la loi pour interdire à Monsanto de planter des OGM.

Renaud Tahon. Quelle est votre position sur les subventions à l’agriculture ?

Gilles Lemaire. D’abord, je suis contre une agriculture exportatrice. Il faut développer des agricultures de proximité, pour plusieurs raisons. La première, c’est les transports. On pourrait imaginer d’inclure le coût environnemental d’un produit, ce qui reviendrait à calculer son « empreinte écologique ». Aujourd’hui, le transport routier est supposé moins onéreux que le transport ferroviaire parce que les calculs n’incluent pas le coût réel, tel que l’entretien des routes. De même pour le nucléaire, réputé moins cher que d’autres énergies. Le coût du démantèlement et celui du stockage ne sont pas inclus dans le coût total. Dans ces conditions, le nucléaire n’a aucune difficulté à être concurrentiel. En amont, la recherche a été complètement subventionnée et en aval, on n’intègre pas le traitement des déchets. Seul le coût de fabrication, qui est effectivement assez faible, est pris en compte ! Pour revenir à l’agriculture, les produits doivent être payés à leur juste prix afin de faire vivre décemment les paysans. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Enfin, il faut garder en tête que les paysans jouent un rôle essentiel dans la préservation de l’écosystème. Ce sont des gardiens du territoire. Cela doit être rémunéré, je ne suis donc pas contre les subventions. Mais elles doivent être indexées au paysan et non à l’hectare. C’est une revendication de la Confédération paysanne que je trouve tout à fait légitime.

Renaud Tahon. Et d’un point de vue Nord-Sud ?

Gilles Lemaire. De ce point de vue, il faut tout changer. Il faut cesser d’exporter vers le Sud et les aider à produire localement. Le Nord a cassé les agricultures africaines, notamment. Ce qui, en conséquence, a détruit les structures sociales. C’est extrêmement grave pour l’équilibre économique et social.

Dalila Kaddour. Que vous inspire l’épisode du Clemenceau ? Comment est-ce qu’on aurait pu éviter un tel fiasco ?

Gilles Lemaire. Avant tout, c’est une absurdité. Est-ce qu’on va mettre son sac poubelle chez ses voisins ? En plus on sait que l’amiante n’est vraiment pas facile à traiter. L’université de Jussieu, par exemple, nous en donne un exemple flagrant. Du point de vue de l’action, les associations ont complètement prouvé leur efficacité et leur pertinence. Greenpeace, entre autres, a vraiment aidé à la prise de conscience de l’absurdité de cette affaire.

Dalila Kaddour. D’accord, mais quel rôle peut jouer le politique là-dedans ?

Gilles Lemaire. Quand on n’a pas la majorité, on ne peut pas décider des changements de politique. On peut en revanche porter les questions devant l’opinion et les médias et soutenir l’action des associations qui œuvrent sur le terrain. Le rôle du politique, c’est de permettre qu’existent des arbitrages entre des intérêts contradictoires. C’est efficace, puisque le Clemenceau a dû faire demi-tour. C’est une victoire pour nous et une baffe politique pour le gouvernement.

Mary-Pierre Lenoir. C’est une grande victoire, car le gouvernement va être obligé de mettre en œuvre des processus pour traiter ce genre de problèmes.

Lola Michel. D’accord, mais qu’est-ce qui nous prouve que cela ne va pas recommencer demain, avec un autre bateau ?

Gilles Lemaire. Dans la foulée, l’Inde a affirmé qu’elle n’accueillerait par le Norway, un bâtiment civil, qui pose les mêmes problèmes que le Clemenceau. Cela dit, il est vrai que ce genre de lutte doit en permanence être recommencée. La recherche du meilleur profit implique toujours la recherche du moindre coût. En l’occurrence, il « fallait » faire faire le sale boulot par des ouvriers indiens payés au rabais et sacrifier leur sécurité.

Erwan Carof. J’ai l’impression que les Verts s’engagent dans les discussions avec le PS en vue de 2007 sans tirer de vrais bilans de leur participation au gouvernement Jospin. Pour ne parler que de la question écolo et sans nier certaines réussites comme la fin de Superphénix, Dominique Voynet a quand même signé les autorisations de mise en culture de plusieurs OGM et le décret de mise en exploitation du site d’enfouissement nucléaire de Bure. On a aussi constaté durant cette période un manque de volontarisme sur le développement des énergies renouvelables. Des pays comme l’Allemagne ou l’Espagne ont fait beaucoup mieux au même moment.

Gilles Lemaire. Je ne suis pas d’accord. Le bilan a été tiré. Lorsque j’ai été élu secrétaire national des Verts, suite à l’assemblée générale de décembre 2002, c’est contre le courant de Dominique Voynet qui a été rejeté dans la minorité. L’assemblée générale des Verts avait tiré le bilan des années 1997 à 2002. Verdict : nous n’avions pas été assez exigeants vis-à-vis de Lionel Jospin et d’un parti socialiste qui s’était glissé majoritairement dans une gestion molle et sans projet. Nous avons dit, on peut le lire dans le texte de la motion votée majoritairement, qu’il aurait fallu ne pas craindre d’être expulsés du gouvernement. A mon sens, Dominique Voynet a effectivement fait deux erreurs majeures : cosigner le décret d’autorisation d’expérimentation du BT, un maïs génétiquement modifié, et le décret d’enfouissement des déchets à Bure.

Erwan Carof. Où en sont les Verts sur la question des réformes démocratiques, sur la question de la proportionnelle ou de la suppression du Sénat ?

Gilles Lemaire. La proportionnelle ou au moins une dose significative de ce mode de scrutin est une condition indispensable d’un accord avec le parti socialiste. Nous avons d’ailleurs voté que cela devait se manifester par le dépôt d’une proposition de loi de la gauche avant la fin de la législature.

Nous ne sommes pas pour la suppression du Sénat. Avoir deux chambres dans un pays démocratique est une garantie du sérieux du travail législatif. D’ailleurs, aujourd’hui, le Sénat n’est pas forcément plus réactionnaire que l’Assemblée nationale ! Plus sérieusement nous sommes pour une transformation totale du mode d’élection du Sénat pour qu’il représente les régions, les partenaires sociaux… et qu’il ne soit pas éternellement une chambre de droite. Mais il y a bien d’autres réformes démocratiques en débat chez les Verts. Personnellement, je suis contre l’élection du président de la République au suffrage universel mais je sais que ce n’est pas (encore ?) la position des Verts. Je suis pour le mandat unique et donc favorable à des règles anti-cumul beaucoup plus strictes. Enfin, je suis pour le droit au référendum d’initiative populaire.

Propos recueillis par Rémi Douat

Publié dans Regards n0 27, mars 2006

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