Le credo anticommuniste de la droite européenne

Un mémorandum est présenté à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe par le PPE (1), qui a comme ambition d’énoncer pour le communisme une condamnation comparable à celle qui toucha le nazisme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Analyse.

Le Parti populaire européen, le grand regroupement de la droite européenne : l’UMP en fait partie : a décidé de lancer une grande offensive contre le communisme. Un mémorandum est présenté à l’Assemblée parlementaire de l’Union européenne, qui se fixe pour ambition d’énoncer pour le communisme une condamnation comparable à celle qui toucha le nazisme au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. S’il s’agissait simplement de condamner les crimes atroces qui se commirent, au nom du communisme, dans de nombreux pays européens, on ne pourrait qu’acquiescer. Rien ne peut justifier la barbarie qui prit une forme paroxystique en URSS entre 1929 et 1953, en Chine à plusieurs reprises entre 1949 et le début des années 1970. Le XXe Congrès du PC soviétique esquissa avec Nikita Khrouchtchev la condamnation de ces aberrations en 1956. Le mouvement communiste dans son ensemble tarda, hélas, à en pousser les conséquences. Pour certains PC, l’autocritique n’eut même jamais eu lieu. Mais, grosso modo, une distance a été prise, fût-elle insuffisante.

Le problème n’est pas tant dans la condamnation que dans la désignation du coupable. Pour le mémorandum du PPE, il n’y a pas la moindre hésitation. Reprenant textuellement l’analyse avancée par Stéphane Courtois dans son introduction au Livre noir du communisme (1998), il explique que les crimes de masse n’ont pas été « le fruit des circonstances » mais « le résultat direct de la théorie de la lutte des classes ». Comme Courtois, le rapporteur devant l’Assemblée parlementaire, Göran Lindblad, n’hésite pas à tracer un parallèle entre nazisme et communisme.

Il se réclame d’un consensus sur ce point qui rassemblerait la communauté des historiens. N’ayant auditionné que Stéphane Courtois, il n’a manifestement pas pris connaissance des polémiques que suscita en son temps l’analyse de l’historien français. Elle fut considérée par plus d’un de ses collègues (Eric Hobsbawn, Ian Kershaw, Nicolas Werth…) comme unilatérale et dangereusement simpliste. Confondant stalinisme et communisme, elle ignorait le fait majeur que les crimes staliniens contredisaient massivement la tradition rationaliste et humaniste dont est issue la branche communiste, alors que la barbarie nazie fut l’application directe des théories racistes inhumaines dont Hitler se réclama du début à la fin. Alors que le communisme engloba à la fois le stalinisme et son contraire, le nazisme ne porta en lui-même, à aucun moment, aucune condamnation ni de la dictature sanglante ni du génocide des juifs.

Insultant pour les millions de communistes qui combattirent le nazisme, faux par la filiation directe qu’il établit entre le corpus théorique du communisme et les crimes décidés et commis par des communistes, le mémorandum participe ainsi d’une certaine banalisation du nazisme, rendue possible par une utilisation immodérée du concept pourtant discutable de « totalitarisme ».

L’objectif de la droite européenne est sans fard : le spectre de la « nostalgie du communisme ». Les mêmes qui se réjouissaient bruyamment de la « fin de l’Histoire », au début des années 1990, s’inquiètent de la remontée de l’esprit critique vis-à-vis du capitalisme. Dans son exposé des motifs, le rapporteur, à côté de crimes irréfutables, énonce ceci parmi les éléments proposés à la dénonciation publique : « La nationalisation de l’économie, trait permanent du communisme directement lié à son idéologie, impose des restrictions à la propriété privée et à l’activité économique individuelle. De ce fait, les citoyens sont plus vulnérables vis-à-vis de l’Etat qui a le monopole de l’emploi et représente la seule source possible de revenus. » La messe est dite : dès l’instant où l’on se refuse au magistère de la « concurrence libre et non faussée », la voie est ouverte pour le totalitarisme stalinien. A bon entendeur, salut ! Mêlant habilement vérités établies, approximations et mensonges, surfant entre condamnation morale légitime et délit d’opinion, le mémorandum anticommuniste est dangereux. En assimilant officiellement nazisme et communisme, il ouvre une boîte de Pandore dont la démocratie européenne pourrait bien pâtir. La vérité historique a besoin de bien d’autres moyens, de bien d’autres ouvertures, y compris matérielles, pour se frayer son chemin. Le tapage médiatique et l’approximation politique n’aideront pas à son cheminement.

/ENCADRE/

/Mémorandum du 16 janvier 2006 (Extraits)/

/« Alors qu’un autre régime totalitaire du XXe siècle, le nazisme, a fait l’objet d’enquêtes, a été condamné internationalement, que les auteurs des crimes ont été jugés, des crimes similaires commis au nom du communisme n’ont jamais fait l’objet ni d’enquêtes ni d’aucune condamnation internationale./

/(…) Il semblerait qu’une sorte de nostalgie du communisme soit encore présente dans certains pays, d’où le danger que les communistes reprennent le pouvoir dans l’un ou l’autre de ces pays. Le présent rapport devrait contribuer à une prise de conscience générale de l’histoire de cette idéologie./

/(…) Les crimes sont le résultat direct de la théorie de la lutte des classes qui imposait la nécessité de « l’élimination » des catégories de personnes considérées comme sans utilité pour la construction d’une société nouvelle. Les victimes étaient en grande partie des nationaux./

/(…) Il semble que l’on puisse tenir pour confirmé que la dimension criminelle des régimes communistes n’a pas été le fruit des circonstances, mais plutôt la conséquence de politiques délibérées conçues par les fondateurs de ces régimes avant même qu’ils ne parviennent au pouvoir. Les dirigeants communistes historiques n’ont jamais caché leurs objectifs, qui étaient la dictature du prolétariat et l’élimination des opposants politiques et des catégories de population incompatibles avec le nouveau modèle de société./

/(…) Les symboles communistes sont ouvertement utilisés et le public est très peu conscient des crimes communistes. Ce faible degré de conscience est particulièrement frappant par comparaison avec la connaissance que le public a des crimes nazis. L’éducation donnée aux jeunes générations dans nombre de pays ne contribue certainement pas à réduire cet écart./

/(…) Quiconque analyse les conséquences de l’application de cette idéologie ne peut que constater des analogies avec les effets de la mise en pratique d’une autre idéologie du XXe siècle, le nazisme. En dépit de leur hostilité mutuelle, ces deux régimes ont en commun un certain nombre de caractéristiques. »/

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