Entretien avec Bertrand Burgalat

« Le pessimisme ambiant te pousse au passéisme »

Comment perçois-tu la situation actuelle de la chanson française ?

Bertrand Burgalat. Trois mécanismes ont transformé la musique en France. Le premier, qui ne concerne pas uniquement la chanson française, s’est produit avec l’autorisation de la pub télé. Cette possibilité a considérablement hiérarchisé les disques en fonction des campagnes de promo, de l’argent qu’un label pouvait mettre dessus. Le deuxième est survenu avec le succès des « Chanteurs pour l’Ethiopie ». Brusquement, toute une génération de la chanson française qui avait été laminée par le punk, la new wave, etc., s’est trouvée réhabilitée. Le processus s’est perpétué avec les « Restos du cœur ». Une vedette comme Zazie leur doit beaucoup pour sa carrière. Aujourd’hui, c’est un peu devenu le Rotary de la chanson, un vecteur important de promo gratuite. Tu vois même quelqu’un comme Benjamin Biolay se plaindre de ne pas avoir été admis : au moins il a l’honnêteté de le reconnaître. Enfin, les quotas ont eu un effet catastrophique. Ce fameux amendement Pelchat (1), au lieu d’aider ce qu’il existait de plus original en France, a, au contraire, amené la création ad hoc d’une espèce de variété-rock pour ados, les Obispo et compagnie. Les quotas ont joué le même rôle négatif que le doublage des films. Les maisons de disques veulent désormais de mauvaises copies francophones de la variété anglo-saxonne : un No Doubt français, et tu auras Superbus, etc. Depuis quinze ans, tu ne repères d’ailleurs pas dans la chanson française de vraies personnalités exceptionnelles, qui sortent du lot. Le dernier géant, cela va être Bruel… D’où vient cette panne ?

Bertrand Burgalat. La variété a toujours été un genre dominant depuis les années 1960. On prenait des standards américains et on les adaptait à notre sauce hexagonale (Johnny et le rock’n’roll, etc.). La spécificité de la nouvelle génération tient à ce qu’elle est tournée presque exclusivement vers le passé de la chanson française, qu’elle ne regarde plus trop ce qui se fait maintenant. Elle s’inspire davantage de ce que proposait Souchon voici vingt-cinq ans que des titres actuels de Robbie Williams ou Justin Timberlake.

On assiste à un refuge, une fuite, dans le passéisme ?

Bertrand Burgalat. Jusqu’à 20 ans, je n’aurais jamais acheté de disques français… On était certes un peu injuste. Le clivage rock/chanson a disparu aujourd’hui. Maintenant, pour être respecté, il faut être triste. Bashung s’est transformé en une sorte de Johnny Cash tricolore. Un côté puritain très français, style le malheur, c’est sain. Résultat, toute la dimension un peu légère de la pop, représentée chez nous par des gens comme Vassiliu, est complètement tombée dans les oubliettes de l’histoire. Dans la société, le pessimisme ambiant pousse à replonger dans le mythe du « c’était mieux avant ». Sans vouloir rien changer. Faire du Souchon ou du Brassens, surtout pas autre chose. On n’est pas foutu de dépasser ces influences, aussi respectables soient-elles. Prends Camille, on dirait qu’elle sort d’un cours de djembe dans le Marais. Sa musique, c’est du pur Zap Mama, point. Il faudrait apprendre à fabriquer son propre truc, comme le ska anglais des Specials et Madness avait réussi à le concrétiser.

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