Allo, papa, bobo…

La nouvelle chanson française a transformé les papas poules de la variété française en valeurs sûres. Sur un air triste, voilà ressuscité le mythe du « c’était mieux avant ».

La chanson française est de retour. Une nouvelle chanson française, forcément. Portée au départ sur les fonts baptismaux par le label Tôt ou Tard (que l’on ne remerciera jamais assez pour le retour de Dick Annegarn), avec des musiciens tels que Vincent Delerm (la nouvelle star) ou les quasi-vétérans Thomas Fersen ou Mathieu Boogaerts. Une chanson française désormais en odeur de sainteté auprès de la génération rock, celle qui voit débouler en 2005 les nouveaux albums des Rolling Stones et d’un ex-Beatles (Paul McCartney), tous la soixantaine bien tassée, cherchant pour leur part à imiter leurs petits-enfants des White Stripes ou de Colplay. En fait, il ne s’agit peut-être que d’une histoire de rides… Les Inrocks, le Télérama des trentenaires, multiplient ainsi les couvertures à la gloire de la renaissance de l’exception française, faute peut-être aussi de trouver de quoi s’enthousiasmer dans le créneau rock hexagonal. Il s’avère certes plus facile de défendre Benabar que Kyo ou Luke. En septembre dernier, l’hebdo culturel se prosternait donc devant le nouveau Souchon. Pas dupe de la rupture épistémologique, Martin Cazenave rassurait, en pédago sympa, les lecteurs potentiellement désarçonnés : « Alain Souchon dans les Inrocks ? Et pourquoi pas Jean-Jacques, Michel, Pascal ou Calogero tant qu’on y est ? […] Et si la chanson française actuelle devait beaucoup plus qu’on ne le pensait à ce grand petit bonhomme ? » La réponse est évidemment affirmative et Vincent Delerm d’enchaîner une longue interview avec son modèle. Peu après, c’était au tour de Libération d’analyser « le patrimoine Souchon », « le plus grand parolier français depuis Serge Gainsbourg » pour Beigbeider, tandis que Ségolène Royal se pâmait devant l’« élégance d’une posture et d’une œuvre »… Préparez le Panthéon, il arrive… La sagesse désabusée

Quel retournement de situation ! Et quelle belle leçon de choses. Comme au cinéma, pour devenir crédible en musique, il faut apprendre à tirer la tronche. La légèreté de la variété ou la rage du rock ne vieillissent pas bien. Dans les années 1970, la plupart des artistes qui s’affublent maintenant de lunettes noires et portaient dans leurs cheveux blancs toute la sagesse désabusée de l’âge mûr, pratiquaient une chanson légère et destinée aux grandes émissions du samedi soir. Souchon avait « dix ans » et Bashung, dans son inimitable tenue de cuir fluo, chantait Gaby et les vertiges de l’amour, bien avant le Cantique des cantiques. Une époque incroyable où personne n’aurait choisi une pochette en noir et blanc s’il avait les moyens de se payer la quadri.

Aujourd’hui, Lavilliers se produit sur scène avec un orchestre symphonique et les seconds couteaux opportunistes publient des CD où 500 choristes reprennent les standards variétoche comme une apothéose d’opéra (ici encore les ravages du syndrome Star Ac). Le phénomène inquiétant, c’est que les premiers symptômes du mal s’annoncent précocement. Les jeunes pousses perdent le goût du bonheur de plus en plus tôt, comme s’ils avaient pris le petit dej avec la rédaction du Monde Diplo et volé la garde-robe d’un délégué du Snesup. Surtout, l’adoration qu’ils vouent à leurs idoles quinquas, en forme de quête éperdue de paternité dynastique, renvoie le processus de création artistique à une verticalité généalogique à faire pâlir d’envie les clones de Houellebecq.

Quand Kent raconte qu’il a bien mis dix ans pour s’intéresser à Brel et qu’à l’époque de Starshooter, il ne jurait que par les Stooges, on se souvient aussi que, finalement, Claude François ne rêvait pour sa part que des génies contemporains de la Motown. Comment imaginer au milieu des années 1980, en pleine vague Bérurier noir (eux aussi reviennent), que la variété, cette catégorie honnie, que tout le monde détestait, celle de la France de Giscard et des chaînes uniques de service public, puisse changer le ringard en culte ? Cette quête de l’autorité artistique fleure bon l’image d’Epinal de l’instituteur sévère mais juste, une mélodie pour une nostalgie rance de la France d’avant, quelque part entre le pensionnat de Chassagne et l’immortalité télévisuelle de Michel Drucker.

Le tri est vite fait. Le rap trop vulgaire, trop cité. Le R’n’b, pour les midinettes. La house, trop branchouille, trop gay, trop commercial. Le rock, il revient, il repartira. Alors que les papas poules de la chanson ont découvert le créneau inusable. Ils sont déjà le passé. Ils ne seront plus rattrapés ni dépassés. Ils ont deux tours de retard, donc le spectateur peut supposer qu’ils courent en tête. En commençant à leur ressembler dès aujourd’hui, leurs épigones post-khâgneux ne risquent rien. C’est bien là le problème…

/1. L’amendement Pelchat de janvier 1992 habilitait le CSA à prévoir dans ses conventions « la proportion d’œuvres musicales créées ou interprétées par des auteurs et artistes français ou francophones, en particulier contemporains, que les services de radiodiffusion sonore sont tenus de diffuser dans leurs programmes. » www.ddm.gouv.fr//

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