Depuis le printemps, plusieurs collectifs citoyens contestent la politique municipale de Jean-Claude Gaudin. Sans se déchirer franchement, ces associations et l’opposition de gauche tardent à accorder leurs efforts. Enquête.
Après avoir quitté le Vieux-Port et remonté la Canebière sur cent mètres, le cortège a filé vers la porte d’Aix et est descendu sur les docks, passant ainsi devant le siège de la SNCM dont la plaque a été copieusement tapissée d’autocollants syndicaux. Avant de se disperser sur la place de la Joliette, les manifestants (environ 10 000) se sont longuement arrêtés sous les piliers de soutènement de l’autoroute, d’où ils ont adressé leurs salutations aux marins rassemblés sur les ponts des ferrys.
Le 15 octobre dernier, à Marseille, la CGT, la CFDT, la CFTC, la FSU, l’UNSA et Solidaires 13 avaient mobilisé leurs troupes sur « la défense du progrès social, de l’emploi et du service public ». Cette manifestation unitaire, à laquelle s’est joint Bernard Thibault, est venue conclure les 23 jours de grève des salariés de la SNCM dont la lutte a profondément marqué la rentrée dans les Bouches-du-Rhône (1). Toutes les forces syndicales et sociales marseillaises ont salué l’exemplarité d’un combat qui, la compagnie maritime étant désormais promise à la privatisation, est susceptible de rebondir rapidement comme l’ont laissé entendre de nombreux salariés et responsables syndicaux.
Mais le cortège a également manifesté son soutien aux traminots de la RTM (Régie des transports de Marseille), qui attaquaient, lundi 17 octobre, une troisième semaine de grève.
Leur refus de la délégation de service public pour l’exploitation du tramway (en construction), qui ouvrira une concurrence avec le service public des transports, est au cœur du conflit qui les oppose à la communauté urbaine de Marseille-Provence métropole (MPM), présidée par le maire de Marseille, vice-président du Sénat et numéro deux de l’UMP, Jean-Claude Gaudin.
Cette grève est suivie avec beaucoup d’attention par le mouvement social marseillais, dont une partie a été à l’origine de la protestation citoyenne qui s’était élevée au printemps contre divers aspects de la politique de la ville et qui entend bien trouver un second souffle.
Le rendez-vous des assos
Au mois d’avril dernier, entre Endoume et le Pharo, dans le 7e arrondissement de la ville, un collectif d’habitants refusant l’installation d’horodateurs : le mouvement du 4-Septembre, du nom de la place où ils se réunissent régulièrement : s’organise et instaure un rendez-vous hebdomadaire de protestation devant l’hôtel de ville, sur le Vieux-Port.
Rapidement les « anti-horodateurs » y sont rejoints, tous les lundis soirs, par d’autres associations et collectifs citoyens de la ville : Coqlico, une association en lutte sur les questions de transport et de circulation et plus particulièrement sur le tracé du futur tramway ; le Rouet à cœur ouvert (Raco), qui défend les droits des habitants d’un quartier classé ZAC en cours de réhabilitation. D’autres organisations telles que le collectif On peut pas pousser les murs et le collectif de La Plaine… Tous contestent « la politique municipale antisociale et libérale de Jean-Claude Gaudin », et ce sur deux terrains en particulier : les transports publics (et la circulation) et le logement.
Sur le premier point, c’est avant tout la construction du tramway qui est critiquée : « Le tracé du tramway redouble pour l’essentiel les lignes de métro et ne va pas jusqu’aux périphéries nord et sud », déplore Coqlico qui souligne que ce tracé « divise le centre-ville avec, d’un côté, des voies impactées par le tramway faisant l’objet de toutes les attentions (aménagement urbain, piétonisation…) et de l’autre, des voies saturées par le trafic automobile ». Les deux lignes du tramway marseillais doivent être mises en service en 2007. Budget : 468 millions d’euros. Pour l’heure, les Marseillais pâtissent surtout des travaux, certains quartiers ayant pris l’allure d’interminables chantiers bruyants et poussiéreux.
Sur le logement, le quartier du Rouet et la rue de la République sont aux prises avec une « politique de réhabilitation des immeubles dont l’effet principal est d’exclure du droit à vivre en centre-ville les populations les plus pauvres et les plus fragiles », comme le dénonce l’association Un centre-ville pour tous, qui se bat, elle, aux côtés des locataires menacés d’expulsion sur la rue de la République.
L’importance numérique des anti-horodateurs, leur revendication simple et fédératrice, « la gratuité du stationnement pour les résidents », a rendu le mouvement visible, notamment aux yeux des médias. Mais Coqlico, le Raco ou Un centre-ville pour tous se battent déjà depuis plusieurs années. Ancrées dans leurs quartiers et secteurs où elles se sont créées face à des politiques municipales qui les concernaient directement, ces associations sont ponctuellement parvenues à manifester ensemble leur colère, notamment lors de ces rassemblements du lundi soir. Pour autant, et même si la plupart des animateurs associatifs affirment en avoir la volonté, la constitution d’un front uni qui contesterait la politique de la ville de la municipalité Gaudin dans sa globalité n’est pas acquise.
Sonia Nait-Akli, l’une des responsables du mouvement du 4- Septembre, reste par exemple très prudente à l’heure où de nouveaux collectifs anti-horodateurs se mettent en place dans d’autres quartiers : « J’ai bien conscience que l’union fait la force et que c’est la politique de la ville en général qui est néfaste, mais si on s’éparpille trop, on risque de délaisser notre lutte sur le quartier. Or, on veut enfoncer le clou puisque la mairie, si elle ne nous a pas vraiment entendus, a tout de même cédé sur certains points en enlevant les horodateurs des petites rues dans le 7e. » Concédant du bout des lèvres certaines « incompatibilités » avec d’autres organisations, Sonia Nait-Akli laisse deviner que le rapport au politique et notamment aux partis d’une opposition municipale plutôt divisée travaille le mouvement.
Début septembre, faisant écho à la série d’incendies qui ont ravagé des habitations insalubres à Paris, un appel exigeant la construction de logements sociaux, la réquisition de logements vides et le relèvement de l’APL a été signé par quelques-unes des assos précitées et par la LCR, le PCF, les Alternatifs et Rouge Vif.
La gauche sur le terrain
« Tant qu’il y aura des logements vides et des gens à la rue, on continuera de squatter », affirmait Charles Hoareau, le 3 septembre, lors de la conférence de presse commune donnée à cette occasion. De fait, son mouvement Rouge Vif est particulièrement actif sur le terrain des « réquisitions ». Cette place entre association de terrain et formation politique séduit certains et agace d’autres. « Le milieu politique marseillais est plutôt mal vu par les associations. Nous, nous sommes une association à caractère politique », tente-t-il d’argumenter tout en assumant et défendant des « positions théoriques » différentes de celles des autres forces de gauche sur les questions du logement et des transports mais assurant être prêt à rencontrer tout le monde.
Le communiste Christian Pellicani, conseiller d’arrondissement du 1er secteur et conseiller à la communauté urbaine MPM, préfère lui aussi apaiser les éventuelles tensions : « Dans cette histoire, le PCF, la LCR ou Rouge Vif, et pas plus les uns que les autres, apportent un autre contenu que celui de la seule colère et tiennent le cap du social », tranche-t-il avant de rappeller que « ce n’est pas la première fois que des associations mènent une fronde contre la politique de la ville à Marseille. A la fin des années 1980, autour de la question des incinérateurs, des comités de quartier s’étaient créés. Et Guy Hermier avait mis les planches du POS à disposition des gens pour qu’ils puissent voir de quoi il retournait » (2).
En mai dernier, au plus fort de la mobilisation, un communiqué commun à plusieurs organisations regrettait que « certains élus de gauche [aient galopé] après une manifestation à laquelle ils n’appelaient pas mais qu’ils voulaient bien récupérer ». Six mois plus tard, alors qu’il s’agit de relancer une dynamique collective essoufflée, la plupart des acteurs se disent prêts à dépasser ces petits clivages entre amis pour unir leurs efforts.
/1. Les marins de la SNCM sont entrés en grève le 19 septembre dernier après la proposition de deux fonds d’investissement pour la reprise de la compagnie. Après trois semaines de luttes et de négociations, la reprise du travail a été votée le 13 octobre, sous la menace d’un dépôt de bilan./
/2. La loi SRU (Solidarité et renouvellement urbain) de décembre 2000 a remplacé les POS (Plan d’occupation des sols) par les PLU (Plan local d’urbanisme)./
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