La candidature d’une femme à la présidence de la République a provoqué mots d’esprit et gauloiserie. Signe d’un profond dysfonctionnement de notre démocratie. Arguments.
Si la République s’incarne au féminin avec les bustes de Marianne empruntés aux stars du cinéma ou de la télévision, le fauteuil du président ne saurait échapper aux hommes. Car sinon, « qui va garder les enfants » ? Cette réplique, lancée dans le contexte particulier de la déclaration de candidature à la candidature socialiste de Ségolène Royal , est symptomatique de la traditionnelle répartition des rôles entre les sexes qui peine à se transformer en égalité. Evidemment, une telle perle, rejointe par d’autres du même goût, ne risquait pas de venir de la droite : aucune déclaration de candidature n’est pour l’heure venue perturber ses rituels de désignation – rappelons au passage que le non-respect de la parité a coûté à l’UMP, lors des dernières législatives, 4,2 millions d’euros ! Tout juste Michèle Alliot-Marie a-t-elle affirmé vouloir jouer un « rôle de premier plan » dans la séquence électorale de 2007. Une audace au pays de la gauloiserie et de la loi salique, aujourd’hui lanterne rouge internationale en matière d’égalité hommes/femmes en politique, au 21e rang sur 25 en Europe – loin derrière la Suède, la Finlande et même l’Espagne – et seulement 74e au niveau mondial.
Triste tableau comptable
En dépit de la loi sur la parité, la France ne compte que 12,4 % de femmes à l’Assemblée nationale, 6,8 % de femmes maires de communes de plus de 3 500 habitants, une seule présidente de région sur vingt-deux… A ce triste tableau comptable, s’ajoute l’ambiance machiste subie par celles qui arrivent à pénétrer les assemblées. Du fameux « à poil ! » lancé à la cantonade à une femme ministre par un parlementaire à la somme des réflexions sur le physique ou la vie privée (« mais comment faites-vous pour concilier vie politique et vie familiale ? », question qui échappe aux wagons d’hommes politiques qui ne se sont pourtant pas abstenus de procréer…), le rappel à l’ordre des sexes est quotidien. Trop féminine en jupe et marmots sous le bras, trop masculine en pantalon strict et tabou sur la vie personnelle : ça ne va jamais, tout étant source de sur-interprétation ! Depuis la parité, l’insulte suprême est devenue celle de « femme quota », contestation en mauvaise et due forme des compétences des nouvelles élues. Dans tous les camps, la mécanique huilée de l’exclusion des femmes fonctionne à plein : elle ne se déjoue qu’à la mesure de la volonté politique des protagonistes. Si la gauche radicale résiste mieux que les autres, elle est loin de faire figure de modèle. La politique est un univers construit par et pour les hommes. Les conquêtes féministes du XXe siècle aidant, la tolérance sociale à l’égard de l’invisibilité des femmes dans la sphère publique et des propos machistes s’amenuise considérablement. Eh oui, c’est la bonne nouvelle : le sexisme en politique est aujourd’hui pointé du doigt, étape indispensable pour le combattre efficacement.
Dans le moule viril
De cet « incident », on pourrait ne retenir qu’un fait positif : lasses des seconds rôles dans lesquels on voudrait les confiner, des femmes politiques disent se projeter dans un avenir de tout premier plan. Une femme au sommet de l’Etat serait un symbole immense, signant une rupture avec la tradition d’éviction des femmes du pouvoir politique. C’est la raison pour laquelle Alice Schwartzer, figure du féminisme allemand, a soutenu la candidature d’Angela Merkel, faisant du coup passé au second plan le projet politique de la représentante de la CDU, pas féministe pour un sou. Cette position, franchement contestable, dit combien changer les règles tacites de la course à la présidentielle n’est pas anodin : au fond, c’est bousculer l’ordre des sexes partout à l’œuvre dans la société, dénoncer le moule viril dans lequel s’est toujours fabriquée la politique mais aussi révéler l’ampleur de la crise de la représentativité politique. Partout, le costard du président est taillé sur mesure, à partir du modèle qui monopolise les assemblées de « l’homme blanc quinquagénaire », plutôt sorti de l’ENA que tourneur-fraiseur (si l’on tient compte de la profession exercée lors de la première élection, l’Assemblée nationale compte moins de 4 % d’ouvriers-employés). De tous les sondages parus le mois dernier, celui de CSA-Opinion réalisé pour Le Parisien (1) est sûrement le plus intéressant. Il donne à voir le fossé entre les citoyens et leurs représentants : 71 % des Français ont une mauvaise image des politiques et 46 % ne leur font pas confiance. Seuls 9 % des sondés estiment que la société française est bien représentée : les Français souhaitent plus de femmes (89 %), de jeunes (84 %) et de personnes issues de l’immigration (55 %). Enfin, 76 % des sondés souhaitent davantage de débats de fond. Animé par des professionnels qui ne parlent qu’à eux-mêmes, le débat politique apparaît atrophié, tourné vers des enjeux strictement politiciens. Les hommes politiques sont perçus comme les défenseurs de leurs propres intérêts avant ceux de leurs électeurs. Les médias contribuent largement à relayer et renforcer la dérive de la « petite phrase » au détriment des idées.
Le sentiment largement partagé d’une classe politique fermée sur elle-même n’est pas sans lien avec la forte homogénéité des profils qui la composent. L’universalisme républicain a fait l’impasse sur la question des différences, pas celles naturalisées, posées comme immuables, mais historiquement construites – les mécanismes de reproduction sociale et de domination. Postuler que nous sommes tous égaux, que chacun peut représenter l’ensemble et être garant de l’intérêt général ne doit pas conduire à gommer la diversité sociale et donc à exclure des pans entiers de citoyens de la représentation. Si le recours aux quotas est une mauvaise réponse à une bonne question – la République n’est pas la somme de communautés particulières -, les moyens permettant à notre démocratie représentative d’être réellement représentative doivent être largement débattus. Il en va de la capacité de notre vie politique à se régénérer.
On rétorque souvent que l’identité de l’acteur politique est secondaire. Peu importerait le sexe, l’origine, l’âge, le milieu professionnel…. Seul compte le projet. C’est oublier combien les processus d’éviction et d’intériorisation de la domination sont puissants et ne permettent pas à toutes et tous de prendre une part active à la vie politique. C’est oublier aussi qu’un projet politique pensé par un ensemble d’acteurs aux références socioculturelles, à la vie quotidienne et à l’univers relationnel identiques perd considérablement de son potentiel. La mixité est un atout pour penser le monde et construire la transformation sociale. Mais obtenir des espaces politiques à la composition socialement hétérogène suppose une farouche volonté politique. Car, si l’on n’y prend garde, le schéma de reproduction se répète à l’envi. Dans un espace militant, chacun peut imaginer combien être minoritaire, avec pas ou peu de modèles d’identification, parce que noir, jeune ou sans diplôme, peut rendre la prise de parole et de responsabilité difficile. Il faut donc réfléchir aux conditions d’implication réelle d’individus aux profils historiquement exclus du champ politique. Les partis ont une immense responsabilité pour impulser ces dynamiques… Et le cadre juridique est un atout indispensable pour modifier la donne en profondeur. Si la parité a trouvé ses limites (voir encadré page précédente), une loi sur le non-cumul des mandats en nombre et dans le temps ainsi qu’un statut de l’élu-e devraient constituer des moteurs de changement. Pourquoi ces propositions, apparues dans le débat public depuis plusieurs années, n’arrivent-elles pas à passionner la « classe politique » ?
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