parité, normalité ?

Le regard américain porté par Joan Scott, historienne emblématique des Gender Studies, sur les controverses autour de la parité en France est lumineux. L’auteure de La Citoyenne paradoxale retrace l’évolution de la stratégie politique et philosophique du Mouvement pour la parité, entre 1992 et 2000. Elle découvre et démontre que le propos d’origine de la parité était universaliste et a dévié vers un argumentaire essentialiste à partir du débat sur le Pacs.

La crise de la représentativité s’est révélée être un terreau favorable à la revendication féministe d’une plus grande place des femmes dans la vie publique. L’idée d’instaurer un quota a vite été balayée dans une France républicaine hostile à la discrimination positive : «Au nom de l’universalisme républicain français, il s’avérait que les différences sociales n’autorisaient aucunement des mesures destinées à corriger la discrimination. L’intégrité de la nation reposait sur l’unité : elle ne pouvait reconnaître la différence.» Aussi, poursuit Joan Scott, «les stratèges de la parité devaient trouver le moyen de demeurer dans le champ de la théorie républicaine tout en transformant les termes de son principe fondateur ». Dès lors, les « paritaristes » ont adhéré au principe républicain de l’individualisme abstrait et défendu la dualité de l’espèce humaine : l’individu universel est homme et femme. L’argumentaire, élaboré par Françoise Gaspard, Claude Servan-Schreiber et Anne Le Gall, initiatrices du Mouvement pour la parité, se voulait avant tout pragmatique : il devait permettre d’aboutir au vote d’une loi, perçue comme la seule manière de vaincre la domination masculine en politique. La philosophe Geneviève Fraisse affirmait : « La parité est vraie en pratique et fausse en théorie. » Selon Joan Scott, le tournant essentialiste de la campagne pour la parité s’est opéré avec le débat sur le Pacs et la sortie en 1998 du livre de Sylviane Agacinski, Politique des sexes. Dès lors, l’argument de la complémentarité des sexes prend le dessus, le discours sur le couple remplace celui sur l’individu et la nature devient la référence. La philosophe et épouse de Lionel Jospin défend l’idée selon laquelle la relation entre les sexes est nécessairement celle de l’hétérosexualité qui a pour but la procréation. C’est le couple hétérosexuel qui devient universel. La ministre Elisabeth Guigou rassurait les députés: le mariage est «l’institution qui articule la différence des sexes». Celles et ceux qui avaient prédit que la revendication d’une participation des femmes à 50% apparaîtrait comme une adhésion à des règles normatives de genre ne se sont donc pas trompés… En dépit de ses maigres résultats, la parité a érodé le contrôle exercé par les hommes sur le pouvoir politique. Elle a aussi «placé sous les projecteurs la discrimination contre les femmes, et pas seulement dans la vie publique». Pour autant, Joan Scott estime qu’il est encore trop tôt pour savoir si la parité est une réussite ou un échec. Son ouvrage est précieux pour se faire sa propre opinion.

/Joan W. Scott, Parité ! L’universel et la différence des sexes, Albin Michel, 2005, 254 p./

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