Depuis le 29 mai, la gauche antilibérale se sent pousser des ailes. Elle sait désormais qu’elle peut même donner le « la » à gauche. Après vingt-cinq ans marqués par la panne communiste et la conversion des socialistes au libéralisme, la question peut se poser, sans rire, d’imaginer un rapport de force et une politique qui renouent avec le progressisme. Pas facile, toutefois… Les différentes forces qui ont contribué au succès du « non » de gauche s’interrogent donc, d’universités d’été en Fête de l’Humanité et en réunions de direction.
Chacun s’accorde à reconnaître que le cœur de toute construction est dans la remise en cause du libéralisme. Elue verte, devenue porte-parole des écologistes antilibéraux, Francine Bavay martèle : « L’antiproductivisme suppose de s’opposer au libéralisme. » Un projet partagé, tout compte fait, ne paraît plus si impossible. Il y aura bien sûr des points d’accord et des divergences. Mais là non plus le pessimisme n’est pas de rigueur. José Bové, par exemple, n’hésite pas à mettre les pieds dans le plat sur la question du nucléaire. « Si nous voulons nous séparer, sur ce sujet, c’est possible. Si nous voulons avancer ensemble, faisons aussi le constat que globalement sur la question énergétique ce qui nous rassemble est supérieur à ce qui nous divise. » Et de citer l’accord possible sur la diversification des sources d’approvisionnement, sur des rapports Nord/Sud équitables, sur le droit à l’énergie, etc. Yves Salesse, président de la fondation Copernic, confirme : « Nous avons réussi cette campagne pour le «non» au projet constitutionnel aussi parce qu’au sein de la fondation Copernic nous avions vérifié par un long travail entre toutes les forces de gauche les bases d’un accord sur le libéralisme et sur le projet européen. » Ainsi, sans nier les différences entre les cultures et sensibilités de la gauche antilibérale, beaucoup font le pari qu’il est possible de prolonger la dynamique du référendum. « L’appel des 200 », qui a eu un rôle fédérateur entre des partis, des associations, des individus, des groupes locaux, s’est transformé en « Appel du 29 mai » pour bien signifier qu’il y avait là un esprit gagnant qu’il fallait poursuivre.
Quelle dynamique commune ?
Comment dépasser l’éclatement de la gauche d’alternative et la sortir, au final, d’une minorité électorale qui fait toujours le bonheur du PS ? Sur ce point, un constat s’impose à tous : ce qui a permis de gagner en mai est bien plus qu’une addition de forces. Les résultats des partielles de l’automne viennent encore de le confirmer. Pour la première fois, le Parti communiste et la LCR ont présenté un candidat commun à des élections législatives partielles à Nancy, sans parvenir à faire mieux que la somme de leur maigre score habituel. Ce qui marche n’est donc pas la seule alliance, mais une dynamique large, commune. Les foules de la Fête de l’Huma ne s’y sont pas trompées en scandant avec une vigueur particulière « tous ensemble, tous ensemble » à la fin des rendez-vous politiques de La Courneuve.
Première à en prendre acte, jusqu’à infléchir son propre discours, la direction du PCF. Alors que le parti annonçait jusqu’alors son intention de présenter en toute hypothèse un candidat communiste à la prochaine échéance présidentielle, c’est désormais sur la co-élaboration que l’accent est mis… Co-élaboration qui ne peut exclure le choix même du candidat, selon les termes du rapport présenté par Patrice Cohen-Seat lors du dernier comité national. Le PCF considère certes, dans cette perspective, qu’une candidature communiste pourrait être « un atout » selon les termes de sa secrétaire nationale. Mais ce qui prime officiellement désormais, c’est la recherche de convergence et d’élaboration commune.
Beaucoup plus confuse est la situation de la Ligue communiste. Elle n’a certes pas manqué d’inviter tous ses partenaires du « non » lors de son université d’été et ses militants sont nombreux à s’investir dans les collectifs unitaires du 29 mai. Alain Krivine ne sèche aucun de ces rendez-vous… Dans le même temps, la direction semble désireuse de jouer l’atout Besancenot. Les sondages de popularité ne le placent-ils pas dans le top 50 des Français les plus aimés ? Situation paradoxale, où la Ligue veut favoriser tout à la fois un fort mouvement antilibéral unitaire et jouer sa propre carte ! Concrètement, la coexistence des deux orientations se traduit par une certaine stratégie de la surenchère politique, Olivier Besancenot jouant, bien qu’il s’en défende, « le monsieur plus de la radicalité ». Cette ambivalence de la position de la Ligue ne va pas sans créer de fortes tensions à l’intérieur même de l’organisation… On devrait y voir plus clair en novembre, lors de la prochaine réunion de direction où les responsables de la Ligue auront aussi à analyser les effets politiques en Allemagne de l’émergence d’un mouvement antilibéral et les récentes positions du PCF.
Reste encore le positionnement des Verts. La ligne officielle du parti reste celle d’une candidature séparée en 2007. Mais les Verts sortent ébranlés par le vote du 29 mai comme en témoigne leur participation à la manifestation qui a suivi le référendum pour exiger que la France retire sa signature. L’enjeu du positionnement des Verts français dans le camp antilibéral est tout autant national qu’européen. Francine Bavay est claire sur ce point. « Il faut faire tout notre possible pour démontrer que l’on a la volonté d’avoir un projet et un candidat commun avec des porte-parole issus des différents courants de la gauche anti-libérale. C’est difficile mais pas plus que de changer le cours de la construction européenne. »
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