Une journaliste algérienne, un enfant de pied-noir, un militant d’extrême gauche, et un soldat français. Quatre vies qui ne se sont jamais rencontrées mais qui ont lutté, et souffert, d’un côté et de l’autre de la Méditerranée. Quatre histoires d’exodes et de retours pour esquisser les contours d’un douloureux amour franco-algérien.
En 1941, dans le quartier Saint-Eugène, à Alger, naît Leïla, fille d’un intellectuel communiste, nationaliste et épris de culture française, le premier Algérien licencié en droit.Six ans plus tard, plus à l’ouest, dans la région de Mascara, Bernard Vallat arrive au monde. Il est l’arrière-petit-fils d’un paysan gardois arrivé en Algérie à la fin du XIXe siècle avec, pour seuls bagages, deux couples de pigeons et de lapins. Bernard aura deux frères. Leur père agrandit la propriété familiale, crée la cave coopérative du village, en devient le maire. Peu à peu, il se lance dans la politique, rejoint les rangs d’un parti du centre et milite pour que les musulmans algériens aient accès à la citoyenneté française.En 1953, à Paris, Denis Berger, jeune étudiant français, soutient le mouvement nationaliste de Messali Hadj.
Le temps des « événements »
Le 1er novembre 1954, l’insurrection éclate en Algérie. A cette époque, Bernard Vallat fréquente l’école communale. Certains de ses instituteurs sont arabes, il côtoie des enfants algériens. Leïla, elle, reçoit une éducation en langue française mais va aussi à l’école coranique. Durant la guerre, elle participe à la grève des lycéens et étudiants ordonnée par le FLN. Les « événements », se durcissent. En 1956, le père de Leïla est contraint à l’exil : commencent six années d’absence. Guy Thibault, jeune militaire français, part en « mission de pacification » : « Le terme de guérilla, se souvient-il, est peut-être celui qui rend le mieux compte des traumatismes et de l’indicible enduré par la majorité des soldats à cette époque. Tout reposait sur la méfiance et l’insécurité, à tout moment, en tout lieu… »
En 1958, à Paris, Denis Berger a 26 ans, il est « porteur de valises » et recueille des cotisations en petite coupures qui sont acheminées jusqu’au siège du FLN. En décembre, il est arrêté par la DST. Huit jours de prison, durant lesquels il est fermement interrogé, menacé, mais ne subit aucune violence : elle est réservée aux nationalistes algériens. Quelques années plus tard, la fédération française du FLN chargera son groupe de préparer l’évasion de 5 ministres algériens, dont Boudiaf et Ben Bella, détenus au château de Turquan, à côté de Saumur. A cause de « fuites » malvenues, l’opération sera ajournée.
Cette même année 58, un soir, Bernard Vallat est dans la voiture qui le ramène à la ferme. Une embuscade est dressée sur la route. Son père et sa mère sont tués par le commando, devant les trois garçons. Bernard a 11 ans, ses frères en ont 10 et 8. Ils vivront désormais avec leur grand-mère maternelle à Mascara et reviendront, parfois, visiter la maison familiale de Thiersville.1962. Les accords d’Evian sont signés. Pour eux, c’est l’exode : « C’était le mois de juin, se remémore Bernard. On crevait de chaleur. Je me souviens de ces immenses convois de civils qui quittaient le pays, protégés, encadrés par l’armée française. » En septembre, Bernard et ses frères entrent au lycée de Montpellier.
L’accueil n’est pas terrible pour les enfants de pieds-noirs. Les « événements » ont été impopulaires en France. Eux ont le sentiment d’avoir été trahis par leur pays. S’ensuivent quelques saisons de castagne dans les cours d’écoles. A Saint-Eugène, le père de Leïla revient dans son pays. Durant son absence, Leïla a dévoré la littérature française, celle qui rayonne sur la bibliothèque paternelle. Victor Hugo, Baudelaire sont venus nourrir son imaginaire. Il avait quitté une adolescente, il retrouve une jeune femme qui se lance dans l’enseignement.
Durant une année, elle est institutrice à la Casbah. Puis, elle entre comme journaliste à la radio nationale. Elle va y passer trente-deux ans. Après l’indépendance, Denis Berger se rend enfin en Algérie, ce pays pour lequel il s’est battu mais qu’il n’a jamais vu. Le voyage tourne court : il décèle les risques de dérive autoritaire qui guettent le FLN.
En France, Guy Thibault, démobilisé en octobre 1962, « reprend du service » en 1963. Comme bénévole, « pour répondre à l’appel des Harkis menacés, obligés de quitter leur pays et qui se retrouvaient accueillis, c’est beaucoup dire, dans les camps de Rivesaltes et de Saint-Maurice l’Ardoise, dans des conditions lamentables. Merci la France ! »
Retours, ici et là-bas
Avril 2000, Leïla est rentrée à Alger. Elle avait quitté le pays au plus fort des années de plomb, en 1995. Partie pour Toulouse avec son chat, des valises de livres, et quelques habits. « On part… sans projet, sans savoir ce qui nous attend ailleurs ni ce que l’on va y faire, sans savoir si l’on reviendra. On part, tout simplement… » Elle est revenue. Et se réinstalle définitivement à Alger. Bernard Vallat : « Aujourd’hui seulement, je commence à penser qu’un retour en Algérie devient possible. Avant, il ne l’était pas. Il aurait réouvert des plaies trop douloureuses. »
Denis Berger, parle encore d’une « belle aventure » et d’un « moment décisif pour toute une génération« . Guy Thibault : « Il y avait dans cette histoire place à la diversité d’opinion selon que le légitimité se conquiert et se défend, se mérite et se donne, ou bien se négocie dans la confrontation. La France a mis bien longtemps à accepter cette troisième voie.«
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