Esprit de Lomé, où es-tu ?

La dernière convention de Lomé, dite Lomé V, dit adieu aux préférences commerciales entre l’Europe et les pays ACP. Elle met leurs relations en conformité avec les règles de l’OMC, s’alignant sur le classique modèle inégalitaire de coopération. Les pays ACP, les ONG et les organisations professionnelles reprochent à l’Europe d’avoir enterré l’esprit de Lomé.

La nouvelle convention de Lomé qui a vu le jour jeudi 3 février 2000 n’a qu’un but : la mise-en-conformité avec le libre-échange prôné à l’OMC en particulier et avec le modèle classique du partenariat Nord/Sud en général. Renouvelé tous les cinq ans, l’accord de Lomé régit depuis 1975 les relations d’aide et de commerce entre l’Union européenne et les pays d’Afrique-Caraïbes-Pacifique (ACP). Son objectif : promouvoir un partenariat Nord/ Sud « progressiste » fondé sur de nouvelles pratiques de solidarité. Une sorte de modèle pour la coopération internationale reposant sur quatre piliers. Primo, la contractualité. L’aide de la convention de Lomé est la seule au monde qui donne lieu à un contrat négocié entre les pays donateurs et les pays récipiendaires. Secundo, la cogestion. La convention, qui lie aujourd’hui les 15 pays de l’Union européenne à 71 pays ACP, est cogérée par les deux parties dans le cadre d’institutions paritaires. Tertio, la prévisibilité. L’aide fait l’objet d’un protocole financier alimenté tous les cinq ans par les contributions volontaires des Etats européens. Elle est destinée à soutenir les programmes nationaux ou régionaux de développement pour l’agriculture, la santé, l’éducation, les infrastructures, le secteur privé… Et à financer une série d’instruments de soutien aux budgets nationaux des Etats ACP. Enfin, quatrième pilier, une approche intégrée de l’aide et du commerce. En gros, l’esprit de Lomé reconnaissait que les pays pauvres n’avaient pas les mêmes obligations commerciales que les pays riches, ce qui se traduisait pour les produits ACP par des préférences sur le marché européen.

Des droits de douane faibles, voire nuls pour la plupart des produits et des quotas réservés pour la viande bovine, le sucre, le rhum et bien sûr les bananes. A l’inverse, les produits européens n’avaient aucun privilège à l’entrée des marchés ACP.Une cinquantaine de milliards d’euros et quatre conventions après, que reste-t-il de ces beaux principes ? Du point de vue du développement humain, la plupart des indicateurs (santé, éducation…) sont en recul, hormis celui de la pauvreté. Sur le plan du développement économique, à l’exception de quelques pays, le groupe ACP s’est enfoncé dans le sous-développement et s’est marginalisé dans le commerce mondial.

Tout ça de la faute de la convention de Lomé ? Sûrement pas. Toutefois, selon la plupart des observateurs, elle a contribué à quelques dérives en favorisant indirectement la spécialisation des pays ACP dans les produits de base à faible valeur ajoutée et en alimentant une relation ambiguë donateur-récipiendaire contraire à un véritable partenariat… De plus, dès les années 80, Lomé a mis en sourdine sa vision progressiste de l’économie pour se ranger du côté de la Banque mondiale, du FMI et de leurs programmes drastiques de réformes économiques. En tentant d’en réduire l’impact social, mais sans en contester les fondements. C’est avec ce bilan mitigé que s’est ouverte en septembre 1998 la négociation pour renouveler la quatrième convention de Lomé. L’Europe a alors décidé de réorienter profondément le partenariat euro-ACP. Elle s’est même longuement interrogée sur la pertinence de poursuivre cette coopération et de renouveler la Convention. Avec la fin de la guerre froide, la zone ACP est en effet devenue pour elle une priorité géostratégique « moyenne », l’Europe centrale et orientale, les pays de la Méditerranée et de l’Amérique latine : régions proches ou dynamiques : reprenant à ses yeux le devant de la scène.

Le commerce, l’aide mais aussi la coopération politique euro-ACP vont du coup connaître de profonds changements. Côté aide : 13,5 milliards d’euros, soit plus de 90 milliards de francs, pour les six années à venir : la principale innovation de Lomé V est le renforcement des conditionnalités économiques pour accroître l’efficacité de l’aide via l’adoption de critères de performance. Encore un peu flous… Mais aussi des conditionnalités politiques pour encourager la démocratie dans les pays ACP et lutter contre la corruption. Ce que certains traduisent par « accroître l’ingérence politique » de l’Europe dans ses anciennes colonies. Autre point nouveau, l’intégration de la réadmission des immigrés. L’Europe voulait que les pays ACP réadmettent non seulement leurs clandestins nationaux, mais aussi ceux qui transitent sur leur territoire pour venir en Europe et ceux qui n’ont plus de papiers d’identité. Des protestations de ces pays, la convention de Lomé V a retenu la seule réadmission conforme à la législation internationale…

Généralisation des principes du libre-échange

Côté commerce, la mise en conformité de Lomé avec les règles de l’OMC constitue la principale nouveauté. L’Union européenne considère que la zone ACP ne mérite plus un conflit comme celui de la banane, avec ses autres partenaires économiques. La solution la plus simple était alors de supprimer progressivement les préférences commerciales non réciproques porteuses de discriminations dans le commerce mondial selon les règles multilatérales. Lomé V prévoit donc des accords de libre-échange entre l’Union et les pays ACP regroupés dans des ensembles régionaux.

La libéralisation totale des pays ACP devrait donc intervenir en 2020, à l’issue de huit ans de préparation et de douze de mise en oeuvre. Un examen de mi-parcours sera réalisé en 2004. Cette banalisation de la convention de Lomé : l’Europe applique les principes du libre-échange dans tous les accords qu’elle négocie avec les autres régions en développement : a suscité de vives réactions des pays ACP, mais aussi des ONG et des organisations professionnelles.

Tous dénoncent les risques liés à l’ouverture des frontières des pays ACP aux produits européens. Risques dans les secteurs d’activité soumis à la concurrence européenne et sur les recettes fiscales des Etats ACP qui sont pour l’instant fortement dépendantes des droits de douane. Tous reprochent à l’Europe d’avoir surtout pensé au développement du commerce et non au développement grâce au commerce. Bref, d’avoir enterré l’esprit de Lomé et de ne pas avoir pris en compte les conséquences économiques, sociales, environnementales de la création des zones de libre-échange. Mais les discussions ne sont pas finies, les modalités de mise en oeuvre de Lomé V étant aussi importantes que les principes adoptés. Une nouvelle bataille débute.

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