Le remaniement gouvernemental et les départs forcés de Claude Allègre et de Christian Sautter ont donné lieu à une campagne d’opinion massive, portée par l’ensemble des médias audio-visuels et la quasi-totalité de la presse écrite, dans un unanimisme qu’on n’avait plus guère rencontré depuis 95 et la présentation du plan Juppé.
La campagne ne brillait pourtant pas par son originalité. Elle se contentait d’emprunter au thème récurrent : l’Etat, les services publics, notre pays même, sont ir-ré-formables ! Et de désigner les coupables de façon non moins convenue : l’immobilisme des fonctionnaires et le corporatisme de ses syndicats. Et c’est ainsi que tout un courant réformiste se retrouve à partager la déploration libérale sur l’impossibilité de la réforme et l’archaïsme du peuple.
L’explication « inverse » n’est pas plus convaincante. Pour elle, l’échec de la réforme n’est plus à rechercher dans le conservatisme des salariés : en tout cas, plus seulement : mais dans la maladresse des ministres, dans leur rigidité relationnelle, dans leur incapacité à conduire une concertation véritable : question de méthode, donc. L’explication a fait florès sous Allègre, elle a resservi à propos des embarras de C. Sautter.
Aucun de ces arguments ne convainc pleinement, sans doute parce que l’explication fondamentale de l’échec de la réforme est ailleurs : ni dans le corporatisme des uns, complaisamment amplifié pour les besoins de la cause, ni dans l’autoritarisme des autres, bien réel mais lui aussi second ; il semble bien plutôt à rechercher dans l’épuisement du modèle même de la réforme.
La « réformite » imposée aux services publics, le transformisme incessant de l’Etat : une réforme d’ampleur de l’Education nationale en moyenne tous les deux ans, prouvent assez la vacuité. La lassitude muette et croissante des réformés mue aujourd’hui en colère ouverte à la Santé, aux Finances, comme à l’Education. « Non aux réformes » revendiquent aujourd’hui les banderoles des défilés.
L’échec du ministre de l’Education nationale est de ce point de vue exemplaire. S’y mêlent, en effet, comme en une sorte de précipité bouillonnant, tous les ingrédients de l’épuisement du modèle de la réforme : la pauvreté du diagnostic, la méfiance envers les acteurs, l’incapacité à désigner un enjeu de société et à faire partager une vision. Comme il est révélateur que la crise de l’école, à bien des égards historique, ait été abordée sous l’angle du « dégraissage du mammouth » et de « l’absentéisme », révélateur que la souffrance qu’éprouve une institution lourdement ébranlée par le libéralisme ait été confondue avec des « dysfonctionnements », voués à la stratégie manageriale du « zéro défaut » ! Comme il est non anecdotique, ce mode de relations avec les enseignants, cassé non par des maladresses d’expression, mais par le refus fondamental de reconnaître l’autonomie enseignante, par le refus de voir, dans leur capacité d’expertise fine et de formulation de propositions précises, un potentiel considérable à responsabiliser et à valoriser, et non à combattre ! Comme il est significatif, cet effondrement dans une gestion vite ressentie comme incohérente, incapable de faire longtemps illusion, contrainte bientôt à chercher à dresser entre eux les professionnels de l’école, les parents et les jeunes, réduite à prendre à témoin l’opinion, faute d’emporter l’adhésion de la société.
Il n’y a pas là matière à procès d’un homme, mais objet d’une indispensable réflexion collective.L’école et ses acteurs sont au centre de cette réflexion. Mais ils ne peuvent la mener seuls. Il est urgent de dépasser la contradiction d’une école qui se sait malade de la société mais rêve encore de s’en sortir sans la société, à l’abri d’elle, à l’ombre de la ligne Maginot d’un Etat central renforcé, comme si cet Etat n’était pas, lui, éclaté et exsangue, et comme si sa légitimité n’était pas à refonder. L’école doit tirer toutes les conséquences de ce que lui dit sa crise et de ce qu’elle nous révèle : une crise profonde de société que nous ne résoudrons qu’en sachant mettre en oeuvre des dynamiques convergentes de transformations sociales et de transformations éducatives, qu’en sachant faire naître des alliances nouvelles entre les acteurs dans l’école et les citoyens hors l’école.
Comment aborder autrement les questions essentielles aujourd’hui posées ?Celle du statut du savoir dans une société où la connaissance et de plus en plus instrumentalisée et marchandisée, où la culture est de plus en plus confondue avec l’industrie des biens culturels.Celle du travail, face à une crise profonde du salariat, à l’épuisement des modèles de formation et d’insertion professionnelle. Celle de l’échange et du partage, alors que dès l’enfance on apprend à voir dans l’autre un concurrent, alors que s’effondre l’ancien projet démocratique de mixité sociale. Celle de l’intervention des citoyens dans la vie de services publics qui ne peuvent se penser seulement comme des services d’Etat.
Tout réformer pour ne rien changer ? L’illusion est aujourd’hui dissipée. La crise de l’école ne relève plus du remède usé de la réforme. L’école a besoin de transformations radicales et nous avons besoin, nous, pédagogues, syndicalistes, parents, jeunes, chercheurs, élus, citoyens, de repenser l’école comme une question décidément politique.
* Membre du collège exécutif du PCF, coordinateur du projet « Réussir la transformation progressiste de l’école ».
Laisser un commentaire