Trois ministres de première importance ont été remerciés faute d’avoir su négocier le contenu et le rythme des réformes qu’ils voulaient promouvoir dans l’Education nationale, aux Impôts et dans la Fonction publique. La méthode Jospin serait-elle en train de patiner, mettant ainsi en difficultés, voire en danger, l’avenir politique de la gauche à la direction du pays ? On pourrait conclure des turbulences de ce printemps qu’il faut être plus attentif à la concertation, revenant ainsi plus fermement à l’esprit de la méthode initial. C’est en tout cas la leçon que semblent tirer à la fois le gouvernement, les partenaires sociaux et les formations de la gauche plurielle.Est-ce suffisant ? Je ne le crois pas. Il y a en France depuis maintenant vingt ans un déficit de débat politique pour déterminer le sens des transformations du pays. Cette absence de débat n’a pas bloqué la société : la France s’est transformée en profondeur durant ces décennies. Mais elle l’a fait sous les seuls arguments de la contrainte et de la nécessité : contrainte extérieure, nécessité de la modernisation. Il en résulte un fort sentiment de dessaisissement éprouvé par les citoyens et un doute profond sur la capacité de la politique à orienter les changements.
De la cohérence
Or il n’y aura pas d’avancée sérieuse sans revitalisation de la controverse politique sur le fond des problèmes. Car il ne s’agit pas seulement d’équilibrer des budgets mais de définir des priorités d’action. Il ne s’agit pas seulement de défendre le service public, il faut le transformer pour qu’il soit au service du public d’aujourd’hui. Il ne s’agit pas seulement de discuter du nombre d’annuités pour la retraite mais de réenvisager l’organisation des rythmes de vie. Il ne s’agit pas seulement de renforcer les moyens pour l’école mais d’inventer une école pour tous les jeunes de France. Il ne s’agit pas seulement de régulariser les sans-papiers : il faut repenser notre rapport au monde. Il ne s’agit pas seulement de promouvoir la place des femmes en politique mais d’inventer un nouvel âge démocratique, etc. Tout cela se dit souvent, mais on ne prend pas assez conscience de ce que cela suppose comme discussions dans la société toute entière, projets contre projets, finalités contre finalités.
Or ces débats ne peuvent être menés sous la seule houlette du gouvernement. Pour que se dégage à nouveau un espace propre à la politique, les partis devraient retrouver leur place dans l’animation du débat. Ils ne le feront toutefois pas à la manière du « bon vieux temps ». Qu’ils assument à frais nouveaux leur fonction sociale suppose qu’ils s’ouvrent vraiment à la société, qu’ils travaillent avec toute la société, militants, intellectuels, associations, revues, syndicats. Interpeller le gouvernement ne suffit pas : le plus important est d’avancer des cohérences et des propositions alternatives. Si ce n’est pas fait, la technique maintiendra sa prérogative sur la politique.
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