La rue, la gauche et la réforme

Une nouvelle articulation entre le mouvement social et le politique se cherche, fait l’objet de recherches et de tâtonnements. Pistes pour passer de la subordination ou même du soutien réciproque à la construction commune.

Les rapports entre mouvement social et construction politique ont structuré, positivement ou négativement, toute l’histoire sociale française dans les trois dernières décennies. À la fin des années 60 et dans les années 70, la conflictualité sociale est à son zénith. Les luttes salariales classiques sont denses et des actions se multiplient, de la revendication régionaliste en grèves d’OS, en passant par l’essor du féminisme : le temps est désormais aux « nouveaux mouvements sociaux ». Mais le raccord au politique se fait de façon déséquilibrée : tout le champ politique est organisé autour de la coalition du Programme commun, qui rassemble la gauche politique mais laisse à l’écart le mouvement syndical et le monde associatif.

La lutte sociale, faute de s’appuyer sur un projet solide élaboré conjointement par la société civile et les partis, est prise de plein fouet par le retournement de conjoncture économique et les premiers feux de l’offensive néolibérale. La fin des années 70 et les années 80 sont ainsi celles des échecs, du reflux des conflits, du repli et de la crise du syndicalisme. La gauche, unie ou désunie, dominée par un PS quasi hégémonique, gouverne mais dans un contexte national et international difficile qui, une fois passés les premiers enthousiasmes de 1981-1982, laisse la place aux reculades, aux désillusions, puis à l’échec politique.

Il faut attendre le milieu des années 90 pour voir des amorces de retournement. Le temps est venu du « mouvement social » et des nouvelles espérances. La droite arrogante de 1993-1995 vacille et l’on se prend à rêver d’une vie politique rompant son atonie et sa crise par l’influence vivifiante du mouvement social. Mais si le retournement social a un effet politique évident : la victoire de la « gauche plurielle » aux législatives anticipées de 1997 : le lien entre social et politique a été plus ébauché qu’accompli. Le monde associatif hésite, par crainte de nouvelles subordinations, et les partis politiques, plus ou moins en panne de renouvellement profond, ne savent pas aller à la rencontre de la société civile. La nouvelle donne gouvernementale est ainsi scellée par l’accord, conclu à la hâte, des organisations politiques, tandis que le « mouvement social » s’en tient au rôle d’observateur intéressé dans un premier temps, puis d’aiguillon dans un deuxième temps.

Quels raccords ?

Les remous politiques de ce début 2000, la combativité sociale et la constitution du gouvernement Jospin II disent toute la complexité de la situation. Le mouvement social, une fois de plus, a fait éclater les consensus trop simples sur des réformes qui devraient suivre « leur » train, celui voulu par un PS resté dominant. Mais pour l’instant, ce mouvement social a joué un rôle critique salutaire sans pour autant apparaître comme porteur d’alternative claire. Quant au monde politique, toutes tendances confondues, il est mis en demeure de travailler à de nouveaux rapports avec la société civile. Mais rien ne dit qu’il a réglé ses problèmes majeurs. Le PS est emprisonné dans sa logique gouvernementale ; les Verts hésitent entre un réformisme classique et leur radicalité originelle ; l’extrême-gauche s’en tient à la dynamique protestataire. Le PCF peut-il donc jouer un rôle majeur dans cette réarticulation du politique et du social ? Sur la base de son désir de novation franche, il veut s’y atteler. Il a pour lui une tradition ancienne de raccord entre dynamiques sociale et politique. Mais il ne pourra jouer un rôle que s’il emprunte des voies originales. Car nous ne connaissons pour l’instant que deux modèles de raccord : celui de la subordination et celui de la séparation fonctionnelle. Ou bien le parti donne le ton à l’ensemble, ou bien partis et syndicats se partagent les tâches : le mouvement social exprime la demande et fait pression sur les sommets ; les partis politiques traitent la demande et font les choix cruciaux. Or tout laisse à penser que les deux modèles ont fait leur temps. La subordination n’est plus acceptée et devient de plus en plus inefficace ; mais la séparation reproduit en fait une division des rôles qui va à l’encontre de la modernité en politique : la réappropriation par les citoyens des choix qui les engagent et qui façonnent le corps social tout entier.

Le PCF contribuera-t-il à ce que se tissent des rapports originaux entre société et politique, mouvement social et constructions politiques ? S’il ne le pouvait pas, il resterait en panne. S’il y parvient, il fait oeuvre utile ; il conforte sa place et son image ; il aide fortement à ce que le mouvement populaire construise la perspective sans laquelle sa combativité s’émousse et son efficacité se réduit. .

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