Vous avez dit durable ?

Le dirigeant écologiste poursuit le dialogue entamé avec Robert Hue dans le précédent numéro de regards.

En réponse à nos interrogations, Robert Hue nous dit promouvoir « …l’intégration des dimensions environnementales, des dimensions durables dans [sa] conception du développement et de la société »… Dont acte ! Mais, au-delà de la déclaration incantatoire sur la nécessaire « conjugaison de l’économique du social et de l’écologique » que retiendront les observateurs de l’évolution du Parti communiste ? Rien, si telle déclaration n’est pas suivie d’engagements concrets. Soyons pragmatiques. Concentrons notre attention sur un des principaux enjeux : la question de l’énergie. Qu’on aborde le sujet par l’économie, le social ou l’écologie, il nous faudra bientôt faire des choix fondamentaux qui, si on le veut bien, autoriseront des politiques de développement vraiment durable ou, si l’on n’y prend garde, consacreront le « changement dans la continuité » et nous mèneront « dans le mur ». Cette question est en fait une équation à deux paramètres principaux : le nucléaire et l’effet de serre.

Le nucléaire représente, en France, une part considérable de notre production électrique. Mais cette suprématie ne tient pas à quelques avantages comparatifs évidents qui auraient motivé un choix argumenté d’après concertation pluraliste. Dans la pure tradition française, cette option a été imposée en dehors de tout débat démocratique mais pas sans certaines alliances objectives avec des partis ou des syndicats.

Le nucléaire, dans le monde entier, vit aujourd’hui un mouvement de recul considérable. Cette énergie représente moins de 6 % de la consommation planétaire. Les gisements d’économie d’énergie sont, eux, de l’ordre de 15 %. Il paraît dès lors évident qu’il est possible de vivre dans un monde sans nucléaire. D’ailleurs, l’Europe, hors exception française, s’engage vers la sortie du nucléaire et les Etats-Unis ont, de longue date, gelé leur programme. Restent nos voisins russes empêtrés dans leur histoire nucléaire, un peu comme nous le sommes. L’ouverture programmée en Russie d’un site international de stockage de déchets nucléaires fait frémir ceux qui donnent un sens au développement durable. Avec « durable » il y a « responsable ». Les pays nucléarisés doivent donc assumer la pleine et entière responsabilité des déchets que génère leur activité, sur leur sol et pour les temps immémoriaux qu’impose leur radiotoxicité. Le problème « écologique » reste entier : depuis quarante ans, personne n’a su identifier une solution fiable pour gérer les combustibles irradiés.

L’économie du nucléaire est aussi problématique que son écologie. Sans les soutiens publics considérables (30 milliards de FF annuels) le kWh atteindrait un prix bien supérieur aux 22 centimes annoncés par EDF. Sans parler du coût du démantèlement et de la surveillance de centres de stockage des milliers d’années qu’on oublie d’intégrer dans ce calcul… Que dire enfin du social fait de précarisation croissante des travailleurs du nucléaire et de recours accru aux intérimaires, cette « chair à rayon », version moderne de la « chair à canon ».

Le nucléaire n’a de durable que sa toxicité. Il est l’exemple caricatural d’une conjugaison erronée du social, de l’économique et de l’écologique. Ainsi sa « non-durabilité consubstantielle » ne peut être retenue comme une alternative crédible aux combustibles fossiles responsables de l’effet de serre.

Pour aborder ce deuxième terme de l’équation, nous soulignerons cette partie du propos de Robert Hue qui concerne « la rupture avec le productivisme…, le gâchis, les gaspillages… la recherche effrénée du profit »… Les compagnies pétrolières ne sont-elles pas la caricature de ces pratiques dévastatrices pour les hommes et pour l’environnement ? Au cours de la récente Assemblée générale du groupe Total Fina Elf, M. Desmarest n’a pas eu plus de considération pour les professionnels du littoral souillé par la marée noire que pour les salariés inquiets face à la fusion et son cortège, maintenant classique, de suppressions d’emplois. Peu importe, les dividendes, eux, seront préservés sinon augmentés ! Comment admettre dans ces conditions que ce p.-d.g. se réclame, lui aussi, du développement durable ? Visiblement, nous n’utilisons pas le même glossaire pour lire le monde qui nous entoure.

Nous ne pouvons laisser ces compagnies explorer de nouvelles réserves pétrolières en feignant d’ignorer les signes tangibles du réchauffement de la planète dont les tempêtes atlantiques de la fin de l’année 1999 n’ont été que le signe avant coureur. Nous devons rapidement inverser la tendance : en imposant un programme ambitieux d’économie d’énergie qui conduirait à proscrire le chauffage électrique : maillon essentiel de l’entêtement nucléaire : si contraire à l’idée de service public par son prix prohibitif, ou en engageant des investissements massifs dans les énergies renouvelables, secteur créateur de richesses et d’emplois.

Pour engager cette réforme de la politique énergétique, il nous faut impérativement un débat de fond, argumenté, ouvert, enrichi des contributions des scientifiques et des organisations de la société civile. Monsieur Robert Hue, par le poids de votre parti, par votre participation gouvernementale, par votre représentation parlementaire, vous avez la capacité de provoquer ce débat. Voilà une avancée concrète qui marquerait votre souci de dépasser les déclarations et de passer aux actes ! Dans cette attente…

* Directeur général de Greenpeace France.

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